Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓
    Par Jacqueline Gascuel
    Anne-Marie Bertrand
    Anne Kupiec et coll

    Ouvrages et volumes

    Architecture et bibliothèques

    Paris: Cercle de la librairie, 1997. (Collection Bibliothèques). ISBN 2- 7654-0657-X. - Prix 200 F.

    Un ouvrage très riche, d'un intérêt constamment renouvelé, même si parfois le propos est contestable.

    Disons tout d'abord le plaisir que nous avons eu à lire la synthèse de Joseph Belmont sur " Architecture et culture ou la présentation d'une « Géopolitique des bibliothèque par Michel Melot. Joseph Belmont a la sagesse de limiter son étude à la France et à une époque qu'il cerne par la révolution industrielle du XIXe siècle et la révolution électronique du XXIe siècle - et qu'il analyse à travers quatre monuments bien connus : le musée-bibliothèque de Grenoble (Charles-Auguste Questel, 1863), le Palais de Chaillot (Jacques Carlu, 1935), la maison de la culture de Grenoble (André Wogenscky, ancien collaborateur de Le Cor-busier, 1965), le centre Georges-Pompidou (Renzo Piano et Richard Rogers, 1971) (1) . Quatre époques, quatre façons de lier une entreprise culturelle et un immeuble appelé à prendre valeur de symbole. Symbole d'une époque, symbole d'une ambition pour la culture. Bien que, prudemment, Michel Melot connote sa contribution d'un point d'interrogation et affirme se contenter pour l'heure de dresser « un portulan son propos est plus audacieux. Il nous invite à analyser l'architecture des bibliothèques autour de deux grands modèles de civilisation : le modèle « doctrinal " dont la France a hérité, et le modèle « libéral issu du pragmatisme anglo-saxon et dont le rayonnement mondial doit beaucoup à la domination économique américaine. Restent quelques lignées peu classables : les bibliothèques allemandes ou finlandaises par exemple - et beaucoup d'inconnues, dans un monde où l'électronique et l'image gagnent chaque jour de nouveaux territoires.

    Moins construit me paraît le propos d'Anne Kupiec, lorsqu'elle part à la recherche des affinités entre bibliothèque et architecture. Et déjà le singulier me gène : la bibliothèque ou l'architecture seraient-elles des abstractions? Les citations foisonnent, souvent intéressantes et on ne peut qu'admirer l'étendue des lectures. Malheureusement certaines ont été trop rapides (voire escamotées). Et lorsqu'elle me fait dire « que depuis les années d'après-guerre jusqu'en 1975, les bibliothèques furent victimes de l'apparat et du décor ", je sursaute : comment aurais-je pu dire une ânerie pareille, moi qui dirigeais à l'époque la bibliothèque publique de Massy? Petite soeur publique des barres et des tours dont s'étaient ornés les campus universitaires, c'était le symbole même de l'architecture « en morceau de sucre » des années soixante! Architecture qui n'a pas sévi qu'en France, et qu'un architecte britannique a dénoncée d'une jolie formule lors d'un séminaire de l'IFLA : « Nous sommes passés de la cathédrale néogothique à la boîte à chaussures magnifiée ". Mon micro a vérifié : je n'ai employé ni le mot décor, ni le mot apparat dans ma contribution au T.IV de Y Histoire des bibliothèques françaises. Bien au contraire j'y affirme que dès 1969, apparaît une nouvelle « doctrine de la bibliothèque publique qui repose notamment sur « la diversification des formes architecturales, aux audaces justifiées, dessinées parfois par des architectes de grand renom Mais j'ai tort de me plaindre. Même si cela ne me rajeunit pas, A. Kupiec me confond probablement un peu avec Eugène Morel qui au début du siècle dénonce l'aspect solennel de certains bâtiments qui « mettent une barrière entre le peuple et le livre ». Ou peut-être avec L. Barrau-Dihigo lorsqu'il décrit la bibliothèque de la Sorbonne : « Peintures, dorures, fauteuils en cuir jaune, tapis bleu moelleux, voilà pour l'apparat », et dénonce aussitôt l'exiguïté ridicule des locaux, l'incohérence des deux magasins qui ne communiquent pas (2) ... Malheureusement mes propos ne sont pas les seuls à être ainsi curieusement analysés : pourquoi dire que le Manuel de bibliothéconomie de A. Grae-sel ne s'intéresse qu'aux modalités de protection contre l'eau et le feu, lui qui consacre plus de 100 pages à l'architecture des bibliothèques, publie des plans et des dessins et montre à ses contemporains les monuments les plus audacieux de son temps, de la Laurentienne au British Museum en passant par les bibliothèques du Nouveau Monde? Comment écrire qu'il n'y a pas dans les bâtiments de Henri Labrouste de « conception architecturale. puisqu'il a recours à la fonte « matériau emblématique du monde industriel » ? Ou que les « recommandations normées » ont « éliminé l'architecture en rendant « inévitables les répétitions des mêmes modèles,,! Pourtant les premières normes datent de 1974. Elles ont mobilisé les énergies et sont devenues la pierre sur laquelle a pu se construire aussi bien une architecture forte qu'une architecture médiocre. Et s'il y a eu répétition des mêmes modèles, c'est justement avant, à l'époque où les architectes ne pouvaient se référer qu'aux modèles existants : des variations sur le morceau de sucre (de Vire, 1964, à Saint- Nazaire, 1972, en passant par Lille, Saumur ou Creil, et beauccoup d'autres) - ils ne disposaient pas encore de l'image ambitieuse des besoins et des fonctions que leur ont proposée ces normes.

    Il revient à Anne-Marie Bertrand, de présenter une analyse des bâtiments d'aujourd'hui. Un premier chapitre s'intitule la bibliothèque comme projet et s'articule autour de la démarche des décideurs les élus municipaux, mais aussi les animateurs des grands projets d'État que sont la Bibliothèque publique d'information et Bibliothèque nationale de France. Le chapitre suivant, « La bibliothèque dans l'espace et dans le temps ", donne la parole aux bâtisseurs, et leur laisse le soin de définir les caractères propres à un bâtiment de bibliothèque. Les architectes s'expriment par leurs déclarations, bien sûr, souvent imagées, voire percutantes, mais ils s'expriment surtout par le parti pris architectural et les éléments du bâti. A.-M. Bertrand regroupe autour de six thématiques les caractères propres d'un bâtiment de bibliothèque : le bâtiment public, le lieu dans la ville, la dialectique du dedans et du dehors, les arbres et la lumière, l'escalier, le lieu de mémoire. On lira ce chapitre avec d'autant plus de plaisir qu'on aura présent à l'esprit l'image des très nombreux bâtiments répertoriés, car malheureusement l'illustration reste limitée à quelques uns d'entre eux, souvent les plus connus (l'angle vitré de l'atelier Canal pour la bibliothèque Jean-Pierre-Mel-ville à Paris, le puits de lumière de Mario Bota pour Villeurbanne, la verrière de D. Froidevaux pour Nevers, etc). L'histoire des modes architecturales est peut-être un peu chahutée, et perdu de vue le fait que la « banalisation du bâti » des années soixante-dix fait écho à l'uniformité des grands ensembles de banlieue, que les palais de verre nous renvoient aux tours de la Défense, que le réhabilitation de la pierre et du bois, voir des vieilles pierres, se veut retour aux sources, etc. Et ici nous pourrions parler de mondialisation, car le slogan « on va à la bibliothèque comme on va acheter son pain nous est venu de Scandina-vie, après la Guerre, à une époque où nous n'avions pas encore oublié que le pain peut se faire rare - et de Shangaï à Montréal, les tours de verre s'irisent des mêmes teintes.

    Le chapitre qui s'intéresse au « Génie du lieu ,, nous ramène à des préoccupations beaucoup plus bibliothéconomiques, autour de la façon dont la bibliothèque sera habitée. Si Anne-Marie Bertrand regrette que les bibliothécaires ne s'expriment pas plus souvent et ne retient de leur part que « peu d'apports à cette réflexion sur l'articulation entre le concept de culture et le bâtiment elle n'en a pas moins longuement interrogé les très nombreux collègues qui ont su dialoguer autour d'un projet fort avec maîtres d'ouvrage et maîtres d'oeuvre. La multiplication des points de vue et des citations nous fait penser que cet ouvrage vient à son heure et comble heureusement une lacune. L'abondante bibliographie qui le termine témoigne aussi de l'importance des thèmes traités.

    1. Nous retenons ici les noms des architectes à qui la commande a été passée et la date de cette dernière - mais il est bien évident que plusieurs années s'écoulent entre le moment où un projet est lancé et celui où le bâtiment entre en service. retour au texte

    2. Conférences faites à l'Ecole des hautes études sociales, sous le patronage de l'Association des bibliothécaires français. - Paris, Rivière, 1912-1914. T.III, p. 83, (que je cite dans l'article Bibliothèques musées? Bibliothèques outils! du n°l68 de Monuments historiques, 1990). retour au texte