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    Par Marc Chauveinc
    Marie-France Blanquet

    Science de l'information et philosophie

    Une communauté d'interrogations

    Paris: ADBS Éditions, 1997. - 149 p. 24 cm (Collection Sciences de l'information - Série Études et techniques). ISBN: 2-84365-001-1. - Prix : 200 FF.

    La collection « Sciences de l'information éditée par l'ADBS s'enrichit d'un ouvrage original et différent des titres précédents analysés dans le Bulletin d'informations de l'ABF. La plupart de ceux-ci sont consacrés à des problèmes techniques, comme les coûts en documentation, le dossier documentaire ou l'analyse de la valeur en documentation. Avec l'ouvrage de Marie-France Blanquet, docteur en sociologie et professeur à l'IUT de Bordeaux III, nous abordons un tout autre domaine : les relations de la philosophie et de la science de l'information. Certains penseront sans doute qu'il y a peu de rapports spécifiques, mais, si Marie-France Blanquet n'apporte pas beaucoup de réponses définitives, comme elle le reconnaît elle-même page 119, elle soulève de nombreuses et intéressantes questions philosophiques, liées à toutes les sciences et sans doute à toutes les activités humaines, donc à la science de l'information.

    L'ouvrage est découpé en deux parties : « Que pouvons-nous connaître? et « Que pouvons-nous faire? .., précédées par une introduction et suivies d'une conclusion.

    Dans l'introduction, l'auteur reconnaît que la science de l'information est bien difficile à définir, car manquant d'objet et de méthode spécifiques, mais essaie quand même de lui en donner une : « analyser les processus de construction, de communication et d'usage de l'information Elle admet aussi, quelques pages plus loin, que le mot science de l'information est mal choisi, car trop large (l'information c'est aussi, et surtout, la radio, la télévision, le journalisme, les médias en général), et trop flou pour désigner le travail des documentalistes. La définition, citée par Yves Le Coadic et reprise ici, le confirme puisque l'information est définie comme « une connaissance inscrite sous forme écrite, orale ou audiovisuelle ", c'est-à-dire un document. Le document est donc une mise en forme de l'information en vue d'une mise au courant, d'une transmission. Le mot documentation est, me semble-t-il, beaucoup mieux adapté, bien qu'il soit moins prestigieux. L'auteur le reconnaît d'ailleurs page 48.

    Marie-France Blanquet tente ensuite, difficilement, de démontrer que la science de l'information a des relations privilégiées avec la philosophie, puisqu'elles reposent toutes deux sur des bases communes. Il est vrai « qu'on ne peut être un scientifique sans s'interroger sur le sens à donner à cet immense projet de l'homme occupé à savoir, à amplifier, à engranger ce savoir et à le mettre en application Mais c'est prendre la partie pour le tout, puisqu'il s'agit ici du scientifique en général. On peut reconnaître cependant que les processus de création, de mémorisation, de transmission du savoir, bref le traitement de l'information, peuvent recouvrir effectivement des sujets d'étude communs avec la philosophie, mais celle-ci repose sur « l'aspiration éternelle de la raison humaine vers la connaissance de l'inconnu ,, et les regarde d'un point de vue métaphysique, fondamental, en recherchant les origines et la justification, alors que la science de l'information en analyse plutôt les techniques, le fonctionnement, l'évolution. Ce sont deux regards différents sur le même objet. Rien n'interdit à un documentaliste de réfléchir en tant que personne aux causes premières, mais il faut ramener les choses à de plus justes proportions. Dans la question métaphysique fondamentale : qu'est-ce que l'homme? la science de l'information n'a qu'une petite part.

    Dans la première partie intitul'ée : « Que pouvonsnous connaître? ", l'auteur cherche à définir la notion de connaissance et « les processus mentaux activés pour conserver, traiter et communiquer l'information ". De nombreux auteurs (Platon, Aristote, Berg-son, Descartes, Hegel, etc.) sont appelés judicieusement en renfort pour développer la notion de forme qui transforme une connaissance en information. L'auteur distingue différents niveaux de connaissance : vulgaire, publicitaire, journalistique pour terminer sur la connaissance scientifique, résultat de la rationalité qui, seule, permet le partage des connaissances. Est scientifique ce qui peut être reproduit par d'autres.

    Au-dessus il y a la philosophie, tentative de connaissance de l'essence des choses et recherche de la vérité absolue. Mais, est-ce encore une science puisqu'elle est intuitive » et non démontrable? Personne n'a encore pu démontrer l'existence de Dieu. La littérature est-elle aussi une « science de l'imagination » comme l'écrit Marie-France Blanquet page 54? On peut en douter.

    La science de l'information arrive au-delà, puisqu'elle est architectonique, outil permettant de systématiser les savoirs et surtout de les transmettre. La science ne peut se développer que par la science de l'information (vérification, classification, analyse, indexation, mémorisation, transmission). Dans ce chapitre sont examinés les différents procédés de la documentation, en terminant par l'hypertexte qui imite la pensée humaine en recourant aux liens et aux associations, et par la mémoire, elle aussi outil essentiel de la documentation (conserver), qui est constamment examinée sous ses aspects psychologiques et documentaires.

    La deuxième partie concerne la morale : « Que pouvons-nous faire? " Avec l'appui de nombreux auteurs, les problèmes moraux de la science sont décrits (science sans conscience, la fin et les moyens), en montrant bien que l'évolution scientifique va de la science pure aux techniques, ce qui révèle le pragmatisme des civilisations industrialisées, mais aussi le danger potentiel de certaines applications. « La science devient une sorte d'immense commande sociale pour le mieux-être des individus. La science de l'information témoigne de cette évolution par l'importance relative des différentes banques de données.

    Mais les dangers sont là et l'auteur décrit les cas de conscience de documentalistes face à la transmission d'informations fausses ou dangereuses. Cela rejoint le cas de certains bibliothécaires récents. Quelle est leur responsabilité morale? La question est longuement étudiée avec les notions d'idéologie et de solidarité collective, mais pas totalement résolue, car ce n'est pas l'objectif de l'auteur, qui préfère susciter la réflexion plus qu'apporter des solutions toutes faites.

    Cette interrogation se poursuit avec l'aventure technique en général, et, plus spécifiquement pour le documentaliste, avec les nouvelles technologies de l'information (NTI). L'intelligence artificielle et la mémoire informatique mettent-elles l'homme en danger? Quel est l'avenir de la pensée humaine avec l'arrivée massive de toutes ces machines qui, petit à petit, le remplace ? Notamment est bien décrite l'évolution de la notion d'espace-temps avec les nouvelles technologies de la communication. Les autoroutes de l'information annoncent-elles une nouvelle étape de l'hominisation ou son recul?

    Après toutes ces questions pertinentes, la conclusion semble apporter une solution avec : « Que pouvonsnous espérer? " Tout d'abord, l'auteur démontre que la science, au-delà de la description du monde, doit s'interroger sur le sens du monde et de l'homme, sur le pourquoi, puisque son travail est de retrouver le calcul du « Géomètre premier ". De toute façon, avec ou sans Dieu, le devoir de l'homme est de construire une société dont tous les membres puissent vivre en paix. Débouchant ainsi sur la « totalité » humaine, l'auteur analyse en détail dans sa dernière partie le problème de l'exclusion, car c'est le plus « grand crime social de notre temps ». Exclusion de ceux qui n'ont pas l'information, à commencer par les illettrés, privés de leur condition d'homme, et les analphabètes. Il y a aussi les exclus par le contenant qui ne peuvent avoir accès à l'information par manque d'équipement d'une part, et d'autre part ceux, plus nombreux, exclus par privation du contenu. Cette dernière est provoquée soit par une idéologie (ésotérisme, obscurantisme, ce dont témoignent certaines doctrines politiques), soit par le divertissement pascalien (médias). Même les autoroutes de l'information risquent d'apporter un « prêt-à-porter idéologique excluant du savoir des récepteurs passifs. Cette conclusion pessimiste, encore que seulement suggérée par des questions plus qu'affirmée par des réponses péremptoires, manifeste en tout cas le souci moral et humain de l'auteur.

    L'ouvrage est donc passionnant et les analyses bien construites par quelqu'un qui connaît la philosophie. Il est rafraîchissant de se replonger de temps en temps dans les « causes premières et dans la responsabilité de l'homme au cours de son activité, mais il semble que la liaison, privilégiée par Marie-France Blanquet, entre philosophie et science de l'information ne soit pas aussi évidente que ce que croit l'auteur. Beaucoup de ses rapprochements concernent, en réalité, toutes les sciences et tous les scientifiques, voire toute activité humaine et pas seulement la science de l'information.

    Même si le rapprochement surprend, il passionne car il n'est pas inutile d'effectuer « un retour de l'esprit sur nos connaissances, sur nos actions dans la science de l'information pour en trouver le sens, en apprécier la valeur ».