Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Le patrimoine écrit en Poitou-Charentes

    Par Jean-Pierre Brèthes, conseiller DRAC Poitou-Charentes

    Le conseil régional de Poitou-Charentes a placé l'année 1999 sous le signe du patrimoine. Le mot patrimoine est ici utilisé dans le sens, relativement récent (1829 d'après le Robert), de ce qui est considéré comme un bien commun transmis par les ancêtres. Mais ce vocable peut recouvrir bien des choses : des bâtiments, religieux, militaires et civils, du mobilier, des objets, des paysages et des sites sont ainsi partie intégrante d'un patrimoine qui peut être classé et protégé par la loi. L'État se montre vigilant et dépense des sommes importantes chaque année pour inventorier, protéger, restaurer, sauvegarder et animer ce patrimoine. On trouve dans les directions régionales des affaires culturelles des services très actifs dans les domaines suivants : les monuments historiques, l'inventaire, l'archéologie, l'ethnologie. La Région Poitou-Charentes est particulièrement riche en patrimoine monumental et architectural, notamment en églises romanes.

    Mais il existe aussi un patrimoine moins voyant extérieurement, celui qui est conservé dans les musées, les archives, les bibliothèques, un patrimoine extrêmement varié également en Poitou-Charentes. Dans les bibliothèques, ce patrimoine est bien entendu avant tout écrit, manuscrit ou imprimé, mais aussi graphique, mobilier, oral. Ce patrimoine a même été le point de départ constitutif des collections des bibliothèques municipales. Les confiscations révolutionnaires ont dans cette région concerné les biens des émigrés mais surtout les biens ecclésiastiques, car les monastères et les collèges religieux étaient particulièrement nombreux et vivants. Parmi les congrégations qui ont fait l'objet de confiscations, nous citerons entre autres les augustins (Niort, Saintes), les bénédictins (Niort, Saintes), les capucins (Angoulême, Châtellerault, Niort, Rochefort), les charitains (Niort), les cordeliers (Châtellerault, Saintes), les dominicains (Saintes), les jésuites (Poitiers), les lazaristes (Rochefort, Saintes), les minimes (Châtellerault), les oratoriens (Niort, La Rochelle), les récollets (Saintes). De là viennent les fonds les plus anciens des principales bibliothèques municipales de la région : Angoulême, Cognac, La Rochelle, Rochefort, Saintes, Niort, Poitiers, Châtellerault.

    Mais, si ces confiscations ont pu se révéler fructueuses, c'est aussi parce que la Région avait une forte tradition de l'écrit. L'implantation d'imprimeries a été importante dès le XVesiècle, avec une apogée au XVIe siècle, avant de décliner au XVIIe : on trouve ainsi à la bibliothèque municipale de Poitiers un incunable imprimé dans la ville en 1479, à la bibliothèque d'Angoulême un incunable imprimé à Angoulême en 1488. Le Poitou-Charentes a vu naître et prospérer de nombreuses papeteries, notamment en Charente. Aujourd'hui encore, l'imprimerie Aubin à Ligugé, dans la Vienne, est une des plus grandes et des plus modernes de France dans le domaine du livre. Et le dépôt légal régional à Poitiers est très important.

    Une autre raison historique de cette importance du patrimoine écrit est l'intensité de la vie intellectuelle dans la région. L'université de Poitiers est très ancienne. Le protestantisme a connu de vigoureux foyers, principalement dans les Deux-Sèvres et en Charente-Maritime. Les controverses entre protestants et catholiques ont donné lieu à de multiples publications. La première « librairie publique, à La Rochelle, est protestante et date de 1604. Le besoin de pensée personnelle et de critique directe, qui fonde la foi des protestants, a eu une influence certaine sur René Descartes, originaire de la Vienne, puis au siècle suivant sur le fort développement des Lumières. À Niort, la bibliothèque municipale fut fondée en 1771 sous l'impulsion de la bourgeoisie et de la noblesse éclairées, et sans doute aussi sous l'influence des milieux calvinistes, persécutés mais restés très vivants.

    On trouve donc dans ces fonds anciens issus de la Révolution des manuscrits, nombreux à Poitiers et à La Rochelle, dont certains sont très rares, des imprimés comprenant nombre d'incunables et d'éditions originales, des estampes, des cartes et plans.

    Le deuxième développement des fonds de bibliothèques est dû aux dons et legs de notables et personnalités tout au long du XIXesiècle, qui se sont poursuivis au XXe grâce à une active politique de bibliothécaires et de conservateurs soucieux d'enrichir des collections très largement destinées aux érudits. Il s'agit de personnalités de l'enseignement (Mourier à Angoulême, Frigard et Andrinople à Niort, Sarrailh à Poitiers, Dubois à la bibliothèque universitaire de Poitiers), de grandes familles locales (Sazerac de Forge à Angoulême, Eschassériaux à Saintes), du monde de l'écriture (Guillemot, traducteur d'Edgar Poe, à Châtellerault, Corneille à Niort, Jean-Richard Bloch à Poitiers), de sociétés locales (Ligue de l'enseignement et Société cartésienne à Châtellerault, Société des antiquaires de l'Ouest à Poitiers), de personnalités politiques (Pagé à Châtellerault, Proust qui fut maire de Niort), de membres du barreau et de la magistrature (Albert à Cognac, Arnauldet à Niort), de négociants (Couraud à Cognac), de médecins (Guillemeau, Chebrou et Gourier à Niort, Pilastre à La Rochelle), d'érudits locaux (La Fontenelle de Vaudoré et Merle à Niort, Ledain et Jozereau à Poitiers, Saint-Hilaire à Rochefort), d'architectes (Segrétain et Bouneault à Niort), de militants (Darbois à Niort), d'archivistes (Richard et Beauchamp à Poitiers), de banquiers (Labbé de La Mauvinière à Poitiers), d'ecclésiastiques (Ber-naud à Poitiers), de savants (Lesson, botaniste, et Thieullen, préhistorien, à Rochefort), de militaires (Bellot à Rochefort, Faucher de La Ligerie à Saintes). L'État mit en place dès le début du XIXesiècle une politique de donations, entre autres la fameuse Description de l'Égypte pour laquelle on fit construire un meuble à cartes monumental à Niort. Enfin, chaque ville impulsa également une politique d'acquisitions qui permit notamment de récupérer des collections mises en vente après le décès de bibliophiles locaux.

    C'est ainsi que, outre l'enrichissement des fonds anciens proprement dits, se sont constitués et régulièrement augmentés au fil des ans des fonds locaux ou régionaux et des fonds spécialisés. Ces derniers ont pu faire suite à des dons et legs, ou développer un secteur documentaire propre à chaque commune, qu'il s'agisse d'une thématique générale (médecine à Niort et à Rochefort, musique et urbanisme à Niort, astronomie, protestantisme et traite des Noirs à La Rochelle, voyages scientifiques à La Rochelle et à Rochefort, Moyen Âge à Poitiers), d'une thématique locale (Théâtre populaire poitevin à Niort), d'un fonds consacré à un auteur local (Gaston Chérau et Agrippa d'Aubigné à Niort, Jean-Richard Bloch à Poitiers, Pierre Loti à Rochefort) ou de fonds particuliers (la littérature de jeunesse à Châtellerault et à La Rochelle, un curieux fonds Louis XVII à Poitiers).

    Cette politique d'acquisitions patrimoniales se poursuit et, ici ou là, des documents sont achetés dans des ventes publiques ou chez des libraires d'anciens. Ces acquisitions sont avant tout destinées à développer les fonds locaux et régionaux, les fonds spécialisés déjà existants, ou bien concernent des auteurs du cru. On citera un exemplaire acquis par Angoulême en 1992 des Marguerites de la Marguerite des princesses de Marguerite d'Angoulême, soeur de François Ier et protectrice des humanistes et des réformés, imprimé en 1547, ou le manuscrit de Dominique, l'unique roman d'Eu-gène Fromentin, acheté par La Rochelle en 1996, dans les deux cas avec l'aide de la Direction du livre et de la lecture (DLL). En l'absence d'un FRAB (fonds régional d'aide aux acquisitions pour les bibliothèques) en Poitou-Charentes, les demandes d'aide sont en effet soumises directement à la DLL. Le conseil régional ne s'est pour l'instant pas engagé dans ce domaine. Pour en finir avec les acquisitions patrimoniales, on notera l'intérêt porté par certains conservateurs aux acquisitions de livres d'artiste, notamment à Poitiers et à Niort. Mais, pour autant qu'on puisse le vérifier, les opérations budgétaires patrimoniales sont assez faibles en regard de celles consacrées à la lecture publique. Elles comprennent d'ailleurs, outre des acquisitions, des crédits affectés à la reliure ou à la restauration de documents. Une politique de numérisation devrait se mettre en place dans la décennie qui vient, avec l'aide de l'État et sans doute de la Région.

    Du fait des crédits relativement faibles accordés au patrimoine, les bibliothèques alimentent assez peu l'économie régionale du patrimoine consacré à l'écrit, selon notre sondage. Si l'on en juge par l'annuaire, il y aurait dans la région dix-sept libraires d'ancien, dont certains sont plutôt libraires d'occasion, auxquels on ajoutera autant de bouquinistes, plus ou moins fréquentés par les conservateurs et bibliothécaires. C'est un commerce qui reste modeste, affecté lui aussi par la crise du livre et par le non-renouvellement des acheteurs traditionnels, érudits locaux, notables, bibliophiles, enseignants, qui ont, d'après les libraires, porté leurs intérêts ailleurs. D'ailleurs, les acquisitions patrimoniales de nos bibliothèques ne se font pas toujours dans les commerces locaux. Les autres artisans du livre, relieurs, restaurateurs, doreurs, enlumineurs, sont peu nombreux dans la région et ne survivraient pas s'ils n'avaient que le travail donné par les bibliothèques dépendant des collectivités.

    Il faut noter que la notion de patrimoine conservé dans les bibliothèques se diversifie considérablement depuis 1945. Certes, on y trouvait déjà des estampes, des cartes et plans, des globes terrestres, des cartes postales, des monnaies et médailles, voire du mobilier, etc. Dans le domaine du livre, les éditions originales, les éditions numérotées et tirages limités, les livres pour la jeunesse, certaines littératures marginales sont désormais regardés comme du patrimoine digne d'intérêt. L'image a acquis une importance décisive au xxe siècle, et cela explique la constitution d'une bibliothèque entièrement consacrée à la bande dessinée, abritée actuellement dans les locaux du Centre national de la bande dessinée et de l'image (CNBDI) d'Angoulême. Là, un patrimoine nouveau d'éditions rares et de planches originales se met en place, en lien avec le musée de la Bande dessinée qui lui est consubstantiel. Par ailleurs, les documents sonores prennent aussi valeur patrimoniale, et l'on peut trouver une intéressante collection de 78-tours dans les collections de la bibliothèque municipale de Niort.

    Ici et là, des fonds spécialisés sont conservés dans des cadres associatifs : un fonds sur la mer au Centre international de la mer de Rochefort, un fonds pédagogique au musée de Niort, un fonds sur le marais au parc régional de la Ronde, un fonds sur le folklore et les langues locales à la Société d'ethnologie et du folklore du Centre-Ouest de Saint-Jean-d'An-gély. Le Centre d'études et de recherches sur la documentation orale (CERDO) de Parthenay, émanation de l'UPCP (Union pour la culture populaire en Poitou-Charentes-Vendée), a recueilli des manuscrits, des documents sonores de collectage ethnographique, des livres sur le monde rural disparu, qui sont à la disposition des chercheurs. Un fonds du même type est conservé à la bibliothèque universitaire de Poitiers, qui détient aussi un fonds ancien important ainsi que les archives d'Argenson.

    Ce tour d'horizon doit signaler l'existence de fonds patrimoniaux écrits importants conservés dans les archives départementales et municipales. La Direction des archives de France (DAF) au ministère de la Culture et de la Communication aide d'ailleurs financièrement les acquisitions patrimoniales. Il existe aussi des fonds privés importants qui mériteraient probablement inventaire ou restauration, avec, pourquoi pas, le soutien des fonds publics : par exemple, la bibliothèque des La Rochefoucauld en Charente ou celle des Murat en Charente-Maritime.

    Il peut aussi y avoir des fonds patrimoniaux dans les bibliothèques municipales de petites communes qui ont conservé ici ou là les vestiges des collections de l'ancienne bibliothèque populaire du XIXe siècle, ou qui ont reçu des legs importants, comme le legs fait par Dubois-Meynardie, médecin, à la ville de Marennes (6 500 volumes du XVIeau XIXesiècle). En prenant de l'âge, les bibliothèques départementales, même si leur rôle de conservation n'est pas directement établi, ne sont pas éloignées de tout souci patrimonial : ainsi, la bibliothèque départementale des Deux-Sèvres a commencé il y a plus de cinquante ans et développe toujours un fonds théâtral très important, qui peut être considéré comme du patrimoine.

    Il est d'ailleurs du ressort des directeurs de bibliothèque départementale de veiller à ce que le désherbage, nécessaire dans les bibliothèques des petites communes comme ailleurs, laisse à chaque commune le soin de ne pas éliminer ce qui lui revient en matière de patrimoine.

    Enfin, tout ce patrimoine ne serait rien s'il ne faisait de temps à autre l'objet d'expositions car, pour n'être pas extérieur comme le patrimoine monumental par exemple, il est aussi fait pour être vu et éventuellement consulté.

    Bien entendu, les Journées du patrimoine ou le Mois du patrimoine écrit sont des moments privilégiés où l'on montre les trésors des collections. Toutes les grandes bibliothèques de la Région et les archives départementales ont à coeur de montrer ces trésors, avec ou sans l'aide de l'État : Niort a pu exposer des documents du fonds Pierre Corneille, fondateur du Théâtre populaire poitevin, et Poitiers le fonds Jean-Richard Bloch dans le cadre des expositions sélectionnées du Mois du patrimoine écrit en 1997 et 1998. C'est un signe de la qualité du patrimoine écrit de la Région.