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    Mécénat d'entreprise et patrimoine

    Par Lionel Bertinet, Délégué à l'information d'Admical

    Les tendances actuelles du mécénat d'entreprise

    La professionnalisation du mécénat

    Rares étaient les entreprises qui, avant les années 1970, pratiquaient le mécénat. Certaines, anglo-saxonnes, avaient importé en France une pratique récemment découverte dans leur pays d'origine (car, contrairement aux idées reçues, tant aux États-Unis qu'en Grande-Bretagne, le mécénat a longtemps été un acte personnel avant de relever de l'engagement des entreprises).

    Le mécénat d'entreprise est donc né en France à la fin des années 1970, au moment où les entreprises ont découvert les vertus de la communication. Si elles utilisaient depuis bien longtemps la publicité ou le marketing afin de promouvoir leurs produits, il ne leur avait pas semblé nécessaire jusqu'alors de réfléchir à une stratégie de communication permettant de valoriser leur image institutionnelle. Le mécénat est apparu, dans une vaste panoplie, comme un outil subtil, novateur et peu à peu stratégique.

    Des responsables du mécénat, directeurs de fondation, consultants spécialisés... ont peu à peu vu le jour et sont devenus les professionnels du mécénat. Mieux informés, mis en réseau par Admical et d'autres organismes (la Fondation de France, l'UDA, l'IMH...), ils ont acquis des compétences, se sont dotés d'outils au service d'une politique d'entreprise.

    Le mécénat d'entreprise a désormais ses acteurs, ses règles, ses techniques et son éthique. La plupart des entreprises ne se lancent dorénavant plus dans une opération de mécénat avant d'avoir défini une politique globale d'intervention en fonction d'attentes externes et de facteurs internes, sans oublier la dimension régionale et parfois internationale de l'action de mécénat.

    Mais le mécénat s'est aussi professionnalisé du côté de ceux qui en cherchent. Mieux informés sur les méthodes de recherche de fonds, avertis des pièges à éviter, conscients que le mécénat est un partenariat, donc un échange mutuellement bénéfique, les « porteurs de projets », de plus en plus nombreux, sont aussi de plus en plus efficaces et pertinents.

    Du mécénat de contribution au mécénat d'initiatives

    Ce qui caractérise peut-être le plus l'évolution du mécénat en vingt ans, c'est le passage d'un mécénat « passif à un mécénat actif ».

    Jusqu'à une époque très récente, le mécénat était en effet conçu comme une réponse des entreprises à une demande émanant du secteur culturel, social ou de l'environnement, l'entreprise guichet » mettant à disposition ses moyens avant tout financiers mais aussi matériels, technologiques, voire humains. C'est ainsi que le mécénat a fonctionné et que, largement, il fonctionne encore.

    Une autre conception du mécénat s'affirme toutefois depuis plusieurs années : il s'agit du mécénat d'initiatives. Dans ce cas, l'entreprise ne se contente plus de choisir un domaine d'intervention. Elle définit une méthode, un mode d'action, ce que l'on pourrait appeler une « politique de mécénat ", et se met à la recherche de partenaires. L'entreprise joue ainsi un rôle plus actif, plus autonome et souvent plus novateur.

    La plupart des fondations récemment créées témoignent de cette évolution, tant dans le domaine culturel que dans celui de la solidarité et de l'environnement. Elles deviennent des acteurs à part entière, de véritables chefs de projets, au service de l'intérêt général.

    La fondation Banques CIC pour le livre, créée par l'Union européenne de CIC, en est un exemple emblématique. Elle est en effet totalement à l'initiative de la collection « Patrimoine des bibliothèques de France publiée avec la collaboration de la Direction du livre du ministère de la Culture, mais demeure cependant le véritable chef de projet.

    Moins de « coups », plus de pérennité

    Le mécénat est de moins en moins un geste ponctuel ou un coup médiatique. Pour inscrire leur action dans la durée et obtenir les fruits de leur mécénat, de nombreuses entreprises tendent à suivre leurs partenaires sur plusieurs années, par le biais de conventions pluriannuelles et/ou renouvelables.

    Un mécénat plus proche des métiers de l'entreprise

    Outre la contribution financière, le mécénat en nature (ou en compétences) n'a cessé de croître, même s'il n'est pas toujours valorisé par les entreprises. Depuis la crise, les entreprises mécènes utilisent davantage leurs produits, leurs technologies et leurs compétences dans la mise en oeuvre de leur politique de mécénat.

    Ces aides en nature peuvent parfois prendre une ampleur considérable. Rhône-Poulenc a ainsi mobilisé tout son savoir-faire scientifique et technologique dans le but de restaurer le palais Senatorio à Rome et la Cité impériale de Huê au Vietnam. Cette entreprise a en outre renforcé sa visibilité en créant la Fondation Rhône-Poulenc sous l'égide de l'Institut de France.

    Les fondations Elf et EDF ont également mis en oeuvre les compétences technologiques de leurs entreprises pour de nombreux projets, et notamment en 1995 pour les fouilles effectuées sur le site du phare d'Alexandrie enfin sorti des eaux. Le mécénat en faveur de l'archéologie est suffisamment rare pour que ces initiatives soient saluées.

    La croissance du mécénat de solidarité, complément au mécénat culturel

    La naissance d'un mécénat de solidarité remonte à la fin des années 1980. Ni mécénat de charité ni bonnes oeuvres d'un patron, mais véritable outil au service d'une politique d'entreprise, il a ses propres règles et objectifs.

    Longtemps plus discret que le mécénat culturel, davantage dirigé vers le personnel de l'entreprise, il séduit de plus en plus d'entreprises qui n'agissaient que dans le domaine culturel ou ne faisaient pas de mécénat.

    En 1998, plus de 65 % des entreprises mécènes actives dans le domaine de la solidarité intervenaient également dans celui de la culture, preuve s'il en est besoin que ces deux domaines, loin d'être en concurrence comme le clament certains, sont bien au contraire complémentaires. La culture est aussi, ne l'oublions pas, un vecteur privilégié de solidarité, un facteur d'insertion et de rapprochement entre des mondes qui s'ignorent.

    En outre, nous soulignons depuis plusieurs années l'émergence d'un mécénat « croisé », qui relève de plusieurs domaines : du programme Actions culturelles dans les quartiers » de la Caisse des dépôts et consignations aux opérations menées dans le cadre de « Lire la ville par la Fondation du Crédit mutuel pour la lecture, en passant par les actions d'insertion par l'environnement de la fondation d'entreprise Novartis, le mécénat croisé est riche d'innovations.

    L'implication croissante du personnel

    a Les motivations des entreprises

    Quatre raisons principales semblent avoir conduit les entreprises à souhaiter la participation de leurs salariés à leurs programmes de mécénat :

    • La première, d'ordre général, tenait dès la fin des années 1980 à la rigueur économique ambiante et au climat d'austérité, qui imposaient que le mécénat s'inscrive dans une stratégie acceptée par tous les collaborateurs de l'entreprise. À la recherche de l'adhésion de leurs salariés, les entreprises n'ont eu de cesse de développer des méthodes nouvelles de communication interne. Le mécénat s'est révélé en être une.
    • La deuxième, toujours liée à la crise économique, tenait à la volonté de valoriser les savoir-faire de l'entreprise, ses services et ses technologies. D'où le développement d'un mécénat de compétences ainsi que d'un véritable mécénat technologique.
    • La troisième fut la révélation par de nouvelles enquêtes de l'aspiration générale des Français, et partant des salariés, de s'impliquer dans des actions culturelles et surtout sociales (enquêtes Cofremca, IMH-Sofres et Ifop sur la solidarité).
    • Par ailleurs, il faut noter que la loi du 4 juillet 1990 régissant le statut des fondations d'entreprise impose la présence d'au moins un salarié au sein de leur conseil d'administration. Ce fut, par ailleurs, une demande d'Admical qui fut l'un des promoteurs de ce nouveau dispositif juridique.

    Cette mobilisation des salariés offre nombre d'atouts aux employeurs :

    • Le mécénat est, en premier lieu, un outil fédérateur. Surtout au sein de grands groupes (et force est de reconnaître qu'à coups de fusions, OPE et OPA, la taille des entreprises ne cesse de croître), le mécénat permet de créer un discours mobilisateur. Ce fut ainsi l'une des principales raisons qui présida à la création de la fondation d'entreprise Vivendi. En effet, premier employeur privé en France, Vivendi est implanté sur tout le territoire dans des métiers fort divers (traitement des eaux, téléphonie, communication...).
    • Le mécénat permet également de donner aux salariés un champ d'expérience nouveau, de les confronter à un monde qu'ils ignorent, et ce d'autant plus que leur implication se renforce. Nous sommes passés de l'information du personnel à sa participation effective aux programmes de mécénat.

    e De multiples formes d'engagement

    De façon schématique, huit grands modes d'implication des salariés peuvent être distingués :

    • Formation régulière du personnel : journaux internes, conférences, soirées réservées aux salariés, invitations...
    • Consultation lors de la mise en place de la politique de mécénat : les entreprises peuvent interroger leurs salariés pour qu'ils choisissent les axes de mécénat.
    • Proposition de projets : la totalité ou une partie des projets soutenus par l'entreprise émanent du personnel.
    • Choix des projets : le personnel est associé au processus de sélection des projets soutenus.
    • Accompagnement (ou parrainage) des projets : le personnel consacre du temps à l'accompagnement des projets soutenus et à leur évaluation.
    • Participation à un club de bénévoles : certaines entreprises ont créé une telle structure, qui s'associe alors aux projets de mécénat.
    • Offre de compétences : il s'agit du transfert gratuit de savoir-faire.
    • Mécénat associé : implication financière du personnel en faveur de projets soutenus par leur entreprise.

    La régionalisation du mécénat : le rôle croissant des PME

    Si le mécénat s'est fortement transformé, en vingt ans, dans ses méthodes, ses motivations et ses champs d'intervention, ses acteurs ont eux aussi changé.

    En premier lieu, et contre une idée reçue, le mécénat n'est pas (ou n'est plus) l'apanage des grandes entreprises. Les petites et moyennes entreprises (moins de 500 salariés) constituent en effet, depuis 1991, la majorité des entreprises mécènes (58 % en 1996, cf. tableaux 3 et 4).

    Ajoutons que le mécénat collectif contribue largement à cette grande diffusion du mécénat.

    Le développement récent du mécénat collectif

    Phénomène relativement récent, les clubs d'entreprises mécènes (regroupements d'entreprises autour d'un projet de mécénat commun) suscitent une forte adhésion, de la part des entreprises ou des bénéficiaires de leur action. Admical en a recensé en 1998 plus de quatre-vingts, essentiellement actifs dans le domaine culturel.

    Il existe, en fait, deux types de clubs d'entreprises. Les plus nombreux sont nés à l'initiative d'établissements culturels et/ou leur sont directement et exclusivement rattachés (l'AROP pour l'Opéra de Paris, l'association Regards et entreprises pour le musée d'Art moderne de Villeneuve-d'Ascq, Aïda pour l'Orchestre du Capitole à Toulouse...).

    Plus récents, les clubs du second type sont nés à l'initiative des entreprises elles-mêmes, et sont le plus souvent créés par l'entremise d'une chambre de commerce ou d'une union patronale. Citons Mécènentreprise Rhône-Alpes, Mécènentreprise Centre-Val de Loire (créé par l'Union patronale du Loiret) ou le Club des entrepreneurs-La Borie en Limousin (lauréat de l'Oscar du mécénat Club d'entreprises 1998 et du prix Télérama 1998), créé grâce à l'initiative de quelques entrepreneurs de la région de Limoges soucieux de soutenir l'activité de l'Ensemble de musique baroque de Christophe Coin. Dans le domaine du patrimoine, Mécènentreprise Centre-Val de Loire a participé à un important programme de restauration de toiles flamandes du musée des Beaux-Arts d'Orléans.

    L'émergence des clubs se situe entre 1985 et 1995, et leur nombre connaît une forte croissance depuis 1996 (il est intéressant de noter qu'en 1992, en pleine période de récession économique et de chute du mécénat, leur nombre s'est accru).

    Être membre d'un club offre de nombreux avantages aux entreprises de toutes tailles, en particulier aux PME : une faible cotisation en général et une souplesse d'intervention financière directe, une mise en réseau avec d'autres entreprises, des services proposés par le club (souvent constitué en association), la possibilité de contribuer collectivement au rayonnement d'une région...

    Également pour le partenaire, le plus souvent un établissement culturel, le mécénat collectif présente bien des avantages. De nombreux organismes culturels arguent de la « capitalisation de leurs efforts de recherche d'entreprises mécènes et de la moindre dépendance vis-à-vis de leurs mécènes pris individuellement.

    L'internationalisation des pratiques

    Si le mécénat de solidarité a tendance à se recentrer sur l'Hexagone, le mécénat culturel est, lui, de plus en plus international. Les mécènes suivent les voyages des expositions ou les tournées des spectacles qu'ils soutiennent, impliquent leurs filiales à l'étranger, quand ils n'interviennent pas directement et/ou exclusivement en dehors de la France.

    La création récente du club AFAA Entreprises répond à ce besoin croissant des entreprises d'accompagner par une action culturelle leur pénétration commerciale dans un pays étranger. Enfin, la création en 1991 du CEREC (Comité européen pour le rapprochement de l'économie et de la culture), qui regroupe seize associations de promotion du mécénat d'entreprise en Europe et qui vient de s'ouvrir aux entreprises (la fondation Paribas a déjà rejoint le CEREC pour la France), témoigne de l'intérêt croissant des entreprises pour la dimension européenne. Admical, qui coordonne pour deux ans le CEREC, vient de publier la première étude comparée du mécénat culturel en Europe.

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    Quelques chiffres