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    Ce que l'IMEC apporte

    Par Olivier Corpet, Directeur Institut Mémoires de l'édition contemporaine

    Les raisons qui expliquent, sinon justifient, que l'Institut Mémoires de l'édition contemporaine (IMEC) soit devenu en une petite décennie une des principales collections d'archives contemporaines sont nombreuses et variées. Le développement extrêmement rapide et largement inattendu de ce projet a pu surprendre (y compris et même d'abord ses initiateurs), étonner, voire contrarier, parfois exaspérer. Outre les sentiments disons contrastés qu'il a provoqués et continue de susciter, notamment dans le milieu des archives et des bibliothèques, ce développement, pour ne pas rester une énigme ou le fruit d'un hasard plus ou moins heureux (suivant l'opinion qu'on en a), doit être expliqué, interprété, pensé.

    En particulier, il importe de faire comprendre que tout ce qui, aussi bien dans les choix stratégiques que dans les fonctionnements pratiques de l'IMEC, peut paraître aux yeux de certains (je dis bien - de certains - donc pas de tous), professionnels des archives ou des bibliothèques comme (trop) atypique et hétérodoxe a été et demeure délibéré, choisi, argumenté. Ce qui ne manque pas d'entraîner des malentendus, des incompréhensions, voire des polémiques (plus souvent futiles que fécondes) sur l'intérêt public de cette création institutionnelle non directement issue du milieu professionnel dans lequel aujourd'hui elle s'inscrit pleinement - et durablement.

    Sans pouvoir prétendre ici dissiper complètement ces malentendus, je voudrais mentionner quelques aspects de la politique suivie par l'IMEC depuis sa création, qui permettent d'expliquer d'une part pourquoi cette institution se différencie nettement et sur des points importants, tant théoriques que pratiques, des autres institutions d'archives poursuivant des objectifs semblables (BNF, Jacques-Doucet, bibliothèques municipales...) tout en se voulant - j'insiste - complémentaire de celles-ci, et d'autre part pourquoi cette institution apporte une solution originale et, d'une certaine efficacité à la question des coûts de la conservation et de la valorisation du patrimoine écrit au coeur de ce séminaire de l'ABF.

    On précisera au passage que cette intervention a lieu à un moment crucial pour l'IMEC : celui où il entame une seconde phase de son développement, avec la mise en oeuvre à l'horizon 2001 de son projet d'installation à l'abbaye d'Ardenne, près de Caen, dans le cadre d'un vaste et complexe projet dit de « délocalisation culturelle » destiné à donner un nouvel espace et une nouvelle dynamique aux programmes de conservation et de valorisation de l'Institut. Or, cette nouvelle phase correspond à la volonté non pas de réduire l'« atypisme » de l'IMEC dans la perspective d'une institutionnalisa-tion inéluctable et au demeurant choisie, mais au contraire de continuer à s'appuyer sur ses spécificités », à les aiguiser, avec l'idée que leur efficacité se renforcera dans ce nouveau contexte, l'IMEC se trouvant doté de moyens matériels et intellectuels accrus, et d'appuis institutionnels consolidés.

    Une des particularités notoires de l'IMEC, celle grâce à laquelle l'Institut a réussi à réunir en un laps de temps relativement (et objectivement) bref une collection privée d'archives privées qui figure désormais aux tout premiers rangs (tant par son volume que par son contenu) des collections françaises d'archives du xxe siècle, est la contractualisation des rapports de l'IMEC avec ses déposants (entreprises d'édition, institutions ou particuliers) qui, tout en demeurant propriétaires de leurs dépôts, acceptent que leur patrimoine soit ouvert le plus largement possible (dans le respect de leurs prérogatives et de celles des différents ayants droit et tiers concernés) à la recherche scientifique et à la valorisation culturelle sous différentes formes : publications, colloques, expositions...

    En échange, si je puis dire, de ce dépôt et de cette ouverture à la recherche, l'IMEC s'engage à faire l'inventaire des archives, à en assurer la conservation, l'expertise, l'assurance, etc. On devine aisément les avantages réciproques qu'en tirent les différents partenaires : les détenteurs d'archives, dont le patrimoine est protégé et valorisé ; les chercheurs, qui peuvent ainsi accéder à des ressources documentaires et archivistiques en majeure partie inédites ; et plus largement l'État et la communauté nationale, qui voient ainsi un patrimoine très important être inscrit, par la médiation de l'IMEC, dans une mission d'intérêt public. Le patrimoine littéraire national s'en trouve de ce fait considérablement enrichi, sans, il faut le souligner, que les pouvoirs publics aient été obligés de l'acquérir, l'ensemble des subventions versées à l'IMEC étant alors pour l'essentiel consacrées à la préservation et à la valorisation des archives ainsi réunies.

    La seconde détermination importante de l'action de l'IMEC, qui découle directement de cette modalité particulière de constitution des collections (1) , et qui a sans aucun doute contribué tout aussi efficacement au développement de ce patrimoine, réside dans le fait que l'IMEC a été dès l'origine conçu et organisé plus comme une institution de recherche que comme une bibliothèque ou un centre d'archives. C'est la cohérence de son projet intellectuel initial (centré autour de l'histoire de l'édition, des revues et des oeuvres à l'époque contemporaine) qui a donné naissance et ouvert un espace à son projet patrimonial, lequel n'a depuis cessé de s'étendre et de se diversifier. Le développement des collections est donc étroitement subordonné à celui des problématiques et programmes de recherche engagés par l'IMEC, seul ou de plus en plus souvent en partenariat avec d'autres institutions d'archives et de recherche, aussi bien en France qu'à l'étranger.

    C'est ce souci de recherche qui a conduit l'IMEC à mettre au premier rang de ses préoccupations scientifiques une réflexion approfondie sur les notions de patrimoine, d'archives, de mémoire, etc., mais aussi sur les questions de conservation, de valorisation, de numérisation, etc., en même temps que ses activités se déploient dans ces différents domaines. Il est apparu en effet évident que la constitution d'un aussi vaste ensemble d'archives contemporaines, liée aux problèmes des nouveaux supports ou de l'utilisation des nouvelles technologies tant dans la recherche que pour la transmission des données, imposait de repenser autant que possible et que nécessaire la plupart des notions qui ont fondé jusqu'ici la théorie et la pratique des archives. Pour produire, justement, ce que j'ai appelé, sans doute avec un peu d'emphase et beaucoup d'ambition, une nouvelle intelligence des archives. Cela désigne, bien sûr, beaucoup plus un chantier et une intention, et donc un travail en cours, qu'une (bien improbable) nouvelle théorie toute ficelée de l'archivage du contemporain.

    Mais cela, je tiens à le souligner, ne relève pas d'une recherche abstraite, désincarnée : grâce au projet de l'abbaye d'Ardenne, il s'agit désormais pour l'IMEC d'inventer et de construire de nouveaux dispositifs de conservation et de recherche susceptibles de matérialiser cette quête d'une nouvelle intelligence des archives. Je ne peux qu'évoquer ici quelques exemples concrets de mise en oeuvre de cette élaboration et (surtout) expérimentation d'une politique patrimoniale qui incorpore les exigences d'une politique scientifique : qu'il s'agisse de l'organisation même des fonds, avec la constitution de fonds d'études spécialisés en complément des fonds d'archives ; qu'il s'agisse d'organiser (dans l'abbatiale de l'abbaye d'Ardenne) une bibliothèque de recherche le plus largement possible en libre accès pour les consultants afin que ceux-ci puissent y retrouver le mouvement même de la recherche libre; qu'il s'agisse encore de l'organisation de réseaux d'échanges (pouvant aller jusqu'à l'échange d'inventaires, voire de copies d'archives) avec des institutions complémentaires, en France et à l'étranger ; qu'il s'agisse de préserver la cohérence et l'intégrité des bibliothèques d'auteurs et d'éditeurs sans se préoccuper d'éliminer de précieux « doublons,,; etc. Sur tous ces points, importants ou mineurs, les exigences et suggestions des chercheurs doivent primer sur les craintes et timidités des bibliothécaires et des archivistes. En ce sens, par exemple, l'inventaire des fonds d'archives constitue la première et la plus cruciale mesure de valorisation d'un patrimoine. La rapidité d'inventaire et de mise à disposition des archives aux chercheurs constitue depuis l'origine pour l'IMEC une exigence de fonctionnement et de programmation. C'est d'ailleurs pour cela que le projet d'installation des collections de l'IMEC à l'abbaye d'Ardenne comprend un important volet (notamment financier) de préparation (inventaire, catalogage, informatisation) de ses collections. Sans quoi, inévitablement, ce projet perdrait de sa cohérence, de son dynamisme, et je dirai même de sa raison d'être.

    Bref, en un mot : conservation et valorisation vont de pair, ne se conçoivent ni ne s'organisent indépendamment l'une de l'autre. Et leur articulation suppose, aujourd'hui plus que jamais, de repenser aussi loin et inventivement que possible ce qui fonde l'ordre habituel des bibliothèques et des archives (fût-ce bien sûr pour en préserver et en reprendre ce qui le mérite, je veux dire : ce qui a fait ses preuves).

    Tout cela tient finalement à une conviction partagée par tous ceux qui ont contribué à la création de l'IMEC et à son développement, qu'ils soient bibliothécaires, archivistes, héritiers, éditeurs, chercheurs, etc. : mieux vaut faire vivre le patrimoine que le laisser dormir.

    1. Pour plus de détails sur cette politique, voir 0. Corpet, « La politique de constitution des fonds de l'IMEC in BBFt 42, n" 2, 1997, p. 30-35. retour au texte