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Le fonds d'Argenson à la bibliothèque universitaire de Poitiers

1999
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    Le fonds d'Argenson à la bibliothèque universitaire de Poitiers

    Par Geneviève Firouz-Abadie, dir BU de Poitiers

    Ilest assez rare de trouver dans les bibliothèques universitaires un fonds d'archives privées aussi important que celui déposé à la bibliothèque universitaire de Poitiers. Les archives de la famille d'Argenson y sont conservées depuis 1976, date à laquelle Marc-René de Voyer d'Argenson les donnait, à charge pour la bibliothèque « d'en assurer la conservation et le rayonnement intellectuel ». Ces archives étaient auparavant au château des Ormes dans la Vienne, où le marquis Marc-Pierre de Voyer d'Argenson accueillait les chercheurs qui souhaitaient les consulter pour leurs travaux historiques. C'est ainsi qu'une équipe de chercheurs poitevins y fut accueillie et, parmi eux, un conservateur de la bibliothèque universitaire, Bernard Delhaume, qui travaillait sur Dom Deschamps. Marc-Pierre de Voyer d'Argenson légua les archives à son fils aîné Marc-René de Voyer d'Argenson en 1975.

    Pour diverses raisons, Marc-René d'Argenson souhaita que les archives quittassent le château des Ormes et fussent remises à une bibliothèque universitaire pour ouvrir largement ce fonds aux chercheurs comme l'avait souhaité son père, c'est-à-dire [je cite] « sans condition d'âge, de nationalité, d'opinions et de titres universitaires ».

    En 1982, la situation administrative des archives changea de plein droit, pour survenance d'enfant, conformément aux articles 960 et suivants du Code civil, Mme d'Argenson ayant eu une fille. Le don se transforma alors en dépôt et un contrat fut établi entre l'université de Poitiers et Marc-René d'Argenson. Ce contrat fut signé en 1984. Le dépôt a été concédé pour une période de dix-huit ans renouvelable par tacite reconduction. M. d'Argenson donne par ce contrat une délégation générale et permanente au directeur de la bibliothèque universitaire pour la communication et la reproduction des documents, ainsi que pour autoriser les publications faites à leur propos.

    Que contiennent ces archives ?

    Ce fonds comprend surtout les papiers de la branche cadette de la famille d'Argenson issue de Marc-René, lieutenant de police en 1697 et garde des Sceaux en 1718. Cette branche cadette commence avec Pierre-Marc, secrétaire d'État à la Guerre sous Louis XV, et se poursuit jusqu'à Marc-Pierre, mort à la guerre en 1915. Les archives couvrent donc deux siècles d'histoire politique et militaire.

    Ce fonds compte 1145 cartons, 64 ouvrages manuscrits, plus de 400 parchemins, des cartes, plans et affiches, et quelques sceaux. Il comprend des papiers personnels, des comptes généraux, de la correspondance générale, la gestion des domaines, les archives de la bibliothèque des Ormes.

    Les archives s'organisent autour de trois personnes principales :

    • * Le comte d'Argenson (16961764), qui fit une brillante carrière sous la Régence et Louis XV. Il est tout d'abord conseiller d'État, lieutenant général de police, intendant de Tours ; puis la mort du Régent met un frein à ce début de carrière, mais il est chancelier d'Orléans. Sa carrière redémarre en 1737, il devient directeur de la Librairie, intendant de Paris puis secrétaire d'État à la Guerre en 1742. Disgracié, il se retire aux Ormes où il apporte les papiers de son ministère ainsi que ceux du maréchal de Saxe, qu'il avait fait saisir après sa mort.
    • * Le marquis de Voyer (17221782), fils du précédent, lieutenant général des armées du roi, directeur des haras et gouverneur du château de Vincennes. Il protégea l'un des philosophes les plus hardis du XVIIIe siècle, le moine bénédictin Dom Deschamps, dont la correspondance fait partie des archives.
    • * Voyer d'Argenson (1771-1842), fils du précédent, préfet des Deux-Nethes sous l'Empire [capitale Anvers], puis député sous la Restauration et la monarchie de Juillet, maître de forges. Favorable aux idées socialistes, il donna asile et protection au babouviste Buonarrotti.

    Ces archives forment un ensemble qui intéresse non seulement le Poitou mais aussi la Tou-raine, la Saintonge (pour les papiers de la famille Faure), l'Angou-mois, la Normandie (famille de Broglie), l'Alsace et la Franche-Comté (familles de Grammont, de Saint-Rémy, de Rosen et de Vau-drey). Les papiers concernant cette dernière région restent un domaine peu consulté car peu connu des chercheurs. Ce sont les archives conservées au château de Saint-Rémy, résidence des Rosen dans la Haute-Saône. Elles furent transportées au château des Ormes après le mariage de Sophie de Rosen, veuve du prince de Broglie, avec Marc-René Marie de Voyer d'Argenson. Elle légua ses archives à son fils Marc-René d'Argenson. La publication de l'inventaire devrait les sortir de l'oubli.

    Le classement

    Accueillir les archives à la bibliothèque universitaire fut une aventure, car le déménagement des Ormes à Poitiers s'est fait dans des conditions désastreuses, la camionnette de l'université n'étant que très peu disponible. Les cartons arrivèrent en vrac, et le classement en fut bouleversé.

    Aux Ormes, le classement du fonds avait connu plusieurs phases. Marc-René Marie de Voyer, marquis d'Argenson (1836-1896), avait classé ses archives par ordre alphabétique de signataire sans tenir compte du sujet. C'est ainsi que les parchemins furent classés à part et qu'ils durent être reclassés lors de notre inventaire.

    Son petit-fils Marc-Pierre de Voyer, marquis d'Argenson, reclassa les archives de façon thématique entre les deux guerres. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Élizabeth Lanjuinais, comtesse d'Argenson (1879-1971), dispersa les archives aux quatre coins du château pour limiter les risques de destruction. Après la guerre, le marquis d'Argenson remit de l'ordre dans les archives. Puis le déménagement à la bibliothèque universitaire brisa ce classement.

    Il aurait normalement fallu remettre en ordre tous les papiers avant classement, mais le volume des archives rendit cette tâche impossible. Mlle Guyotat, directeur de la bibliothèque universitaire, appela à la rescousse des archivistes pour faire un état des lieux et donner leur avis sur ce qu'il fallait entreprendre.

    M. Barbiche, professeur à l'École des chartes, vint plusieurs fois pour cet état des lieux. C'est lui, d'ailleurs, qui a inventorié les papiers de Pierre-Marc, comte d'Argenson, soit quatre-vingts cartons. Ne pouvant continuer, il nous adressa à Mlle Yvonne Lanhers, archiviste, qui accepta de venir quelques semaines par an pour continuer le classement. En même temps, Bernard Delhaume, conservateur à la bibliothèque universitaire, classa et rétablit l'ordre primitif des oeuvres et notes de René-Louis, marquis d'Argenson, de Charles Marc-René et de Marc-René Marie d'Argenson. Il fit aussi l'inventaire des annexes I et II.

    Ce classement prit des années. Ce fut une tâche longue et délicate, car Mlle Lanhers retrouvait sans cesse des documents à réinsérer dans les parties déjà classées. En 1989, il restait à faire l'index. Mlle Lanhers vint de 1991 à 1994 pour le faire. Je renvoie chacun à l'introduction qu'elle a faite à l'inventaire, qui rend très bien compte de la nature des archives d'Argenson. Il reste encore à éditer et à diffuser cet inventaire pour qu'enfin les archives puissent bénéficier du rayonnement qu'elles méritent.

    Le public

    Pendant la décennie 1980-1989, la consultation des archives s'est faite de deux manières. Certains lecteurs privilégiés, adhérents à la Société pour l'étude et le rayonnement des archives d'Argenson, pouvaient consulter directement les archives avec l'aide de M. Delhaume. Il y avait aussi des chercheurs qui écrivaient en exposant leur recherche, et M. Delhaume dépouillait pour eux les archives et leur envoyait des photocopies des documents trouvés. Depuis la fin du classement, et surtout la frappe de l'inventaire, nous avons accueilli des chercheurs qui ont travaillé directement sur les originaux.

    La typologie des chercheurs est constituée d'une majorité d'étudiants et d'enseignants universitaires français et étrangers. Viennent ensuite les chercheurs indépendants, les historiens d'art, les associations ou sociétés savantes. En histoire sociale, des sujets de DEA de l'université de Poitiers ont donné lieu à des consultations très assidues sur la gestion des domaines avant la Révolution et après la Révolution. Les papiers de Voyer d'Argenson ont été très précieux pour ce qui concerne l'étude de l'établissement du cheval de race en France.

    Des historiens de l'art ont consulté pour savoir quels artistes du xvme siècle avaient travaillé lors de la construction ou de la rénovation du château de Neuilly-sur-Seine, du château d'Asnières, de l'hôtel de la rue des Bons-Enfants, du château des Ormes... En effet, les Argenson ont fait travailler des architectes et artistes de renom, comme Charles de Wailly et Pajou.

    Les historiens de Louis XV ont consulté les dossiers militaires, les papiers sur les guerres de la seconde moitié du XVIIIe siècle, ceux concernant le système de Law et des financiers qui ont gravité autour de ses succès et de sa banqueroute, sur la librairie clandestine, sur le club de l'Entresol, sur l'idée de monarchie au XVIIIe siècle, sur les lettres de Voltaire, sur le comte d'Argenson pour sa biographie..... J'arrête là une énumération qui serait fastidieuse.

    Les chercheurs, en principe, s'engagent selon le règlement des archives à nous prévenir de la publication de leurs articles ou de leurs ouvrages, et à nous envoyer des tirés à part. Cette règle est malheureusement rarement respectée, et la bibliographie des travaux est incomplète par rapport aux consultations effectuées. Certains travaux ont été édités au Canada, en Irlande et en Angleterre, ce qui rend leur collecte plus malaisée.

    Les coûts de la prise en charge

    La bibliothèque a dû faire face à des frais qui n'avaient pas été évalués en acceptant le don. Il a fallu cloisonner un magasin d'accès libre pour mettre les archives à l'abri de la lumière et en sûreté. Elles ont été entreposées dans des grands cartons au pH neutre (1 145) qui sont posés sur une dizaine d'épis métalliques. Les cartes, plans et affiches sont pour la plupart dans un meuble à affiches. Seules les très grandes cartes du domaine des Ormes sont accrochées au mur.

    Les voyages, séjours et honoraires des archivistes qui se sont occupés des archives ont été pris en charge sur les budgets annuels de fonctionnement. Depuis dix ans, le conseil général de la Vienne nous a aidé par un crédit annuel de 6 000 F. En 1982, lorsque le don devint caduc, les frais entraînés furent estimés à 100 000 F. Depuis, des dépenses se sont rajoutées et le bilan devra être fait.

    Il reste à l'heure actuelle la charge d'éditer l'inventaire le plus vite possible. Cette édition a été retardée faute de personnel suffisant pour s'en charger. Mais nous espérons venir à bout de cette tâche d'ici à la fin de l'année 1999.

    En manière de conclusion, je dirai que la bibliothèque n'a jamais regretté l'investissement matériel et financier nécessaire à la mise en valeur des archives. Elle a bénéficié d'un enrichissement considérable provenant de la rareté des documents et de leur valeur historique, mais aussi apporté par le dialogue avec les chercheurs. Ce sont eux qui complètent peu à peu notre connaissance du contenu des archives. Enfin, le dépôt des archives à l'université de Poitiers a permis à ce patrimoine de rester proche de la région de la famille d'Argenson. Marc-René d'Argenson continue actuellement le classement de la correspondance privée du XIXesiècle.

    Je souhaite que l'édition tant attendue de l'inventaire soit la source de nouvelles explorations, et que les professeurs d'histoire moderne y trouvent matière à des travaux qui continueront à montrer les richesses de ces archives.