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Le fonds Jules Verne à la Bibliothèque municipales de Nantes

1999
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    Le fonds Jules Verne à la Bibliothèque municipales de Nantes

    Par Agnès Marcetteau-Paul, dir RM de Nantes

    Les Voyages extraordinaires de Jules Verne partent de Nantes. « L'inventeur de tant d'îles mystérieuses (...) ouvrit [en effet] les yeux (...) dans l'étroite cité fluviale (1) » le 8 février 1828, et y passa les vingt premières années de sa vie. Comme il en a lui-même témoigné, ses robinsonnades d'île en île de Loire, ses rêveries sur le port ont durablement marqué son imagination. Aussi peut-on penser avec quelque raison que « la Loire a sollicité ses rêves et lui a inspiré ses premiers désirs d'évasion (2) ». Qu'il la quitte pour Paris en 1848 avec des sentiments mêlés de déception amoureuse et d'ambition littéraire, en fasse le port d'attache du Saint-Michel-M, son plus beau bateau, ou y conserve des liens familiaux, sa ville natale n'a d'ailleurs jamais été absente de la vie et de l'inspiration de Jules Verne.

    Nantes de son côté s'est toujours revendiquée comme la patrie de l'écrivain. Son souvenir, inscrit dans la pierre du monument inauguré en 1910, et entretenu par la piété familiale dans la première moitié du xxesiècle, participe de « la construction de la mémoire d'une ville (3) » à compter du cinquantenaire de sa mort en 1955.

    La constitution d'un fonds Jules Verne à la bibliothèque municipale s'inscrit dans ce mouvement. Prenant le relais des manifestations du cinquantenaire, des expositions sont organisées pour jalonner les grandes dates verniennes : en 1963 pour le centenaire de la publication de Cinq Semaines en ballon, premier des Voyages extraordinaires; en 1966 et 1970 pour ceux de De la Terre à la Lune et de Vingt Mille Lieues sous les mers. Elles s'accompagnent d'un important travail documentaire de rassemblement systématique de l'oeuvre de Jules Verne.

    Les ouvrages qui avaient été régulièrement acquis - et figuraient dans les fonds et catalogues de la bibliothèque à la rubrique des « romans et contes français » depuis que Jules Verne avait lui-même offert les premiers titres « en hommage de l'auteur à la bibliothèque de Nantes » - constituèrent le noyau d'une collection clairement identifiée et organisée autour de la vie et de l'oeuvre de l'écrivain. La politique ainsi instaurée suscita en outre des enrichissements exceptionnels. La famille Guillon-Verne, les descendants de la plus jeune soeur de Jules Verne, fit don d'un important ensemble de correspondance. En 1971, la ville de Nantes acheta la collection de Joseph Laissus, président de la Société Jules Verne, dont les cartonnages et affiches Hetzel constituent les plus beaux fleurons. Dix ans plus tard elle sut, avec l'aide du conseil général de Loire-Atlantique, du conseil régional des Pays de la Loire et de la Fondation de France, mobiliser près de 6 millions de francs pour acquérir quatre-vingt-quinze manuscrits autographes. L'acquisition ayant été réalisée parallèlement à la dation de trois manuscrits (Autour de la Lune, De la Terre à la Lune, L'Île mystérieuse), l'État a reconnu l'importance de la collection nantaise en les déposant à la bibliothèque municipale.

    Cet exceptionnel ensemble représente une source unique pour la connaissance de l'oeuvre vernienne, en la replaçant dans son contexte culturel, familial, historique et littéraire. Un catalogue systématique a été publié en 1978 (plus un supplément en 1983), et présente un panorama raisonné de :

    • l'oeuvre de Jules Verne et ses nombreux « produits dérivés » (jeux, jouets, disques, programmes, prospectus et autres documents iconographiques et sonores...) ;
    • les études qui y ont été consacrées ;
    • " la littérature, la science et la civilisation au temps de Jules Verne » ;
    • la postérité de son oeuvre. L'iconographie (éditions illustrées, affiches Hetzel, affiches des adaptations théâtrales et cinématographiques, jeux et jouets...) y occupe une place importante.

    Les manuscrits restituent, au fil de sa plume, l'inspiration même de Jules Verne et ses modes de composition littéraire. Toute la gamme de la production vernienne y est représentée : C'est un jeune homme amoureux, tout imprégné de Victor Hugo et des romantiques, qui a écrit ces poèmes et soigneusement calligraphié les titres de ces pièces de théâtre ; c'est un travailleur acharné qui, même pendant ses voyages en mer, prenait des notes, rédigeait une première fois au crayon, corrigeait en repassant ses textes à l'encre, corrigeait encore en refaisant des chapitres entiers dans les marges (4) , et corrigeait enfin de multiples jeux d'épreuves ; [c'est] la main rhumatisante du vieillard à barbe blanche qui a écrit ces dernières pages d'une écriture altérée, en dehors des lignes du papier que les yeux malades ne voyaient plus (5) . " C'est enfin son fils Michel qui a porté ajouts, corrections et suppressions sur les derniers manuscrits, quand il n'a pas mis au net ou composé le texte. Les évolutions du travail de Jules Verne et son exigence stylistique se lisent à travers ces textes, ouverts à bien des exégèses. Les annotations de Hetzel qui y figurent renseignent sur les relations entre l'auteur et l'éditeur.

    Le catalogue des manuscrits publié en 1988 n'est pas un simple inventaire, mais un corpus raisonné dont l'ordre chronologique permet de suivre les différentes étapes de la création vernienne, « du stade de l'amateur débutant à celui de l'écrivain professionnel : des premiers cahiers, de tous formats et corrigés dans tous les sens, à la présentation méthodique et presque immuable des romans de la maturité, l'évolution est manifesté (6) . Dans le même souci de large invite à la consultation, les catalogues imprimés de 1978 et 1988 ont fait partie des premiers fonds rétroconvertis et intégrés dans la base bibliographique de la bibliothèque municipale, ainsi que dans le projet du Catalogue collectif de France.

    Entre-temps une autre action de valorisation avait été entreprise, afin de faire connaître les inédits (essentiellement des oeuvres de jeunesse) qui font partie du fonds de manuscrits acquis en 1981 et de révéler ainsi de nouveaux aspects de l'oeuvre de Jules Verne. Quatre volumes ont été publiés à ce jour, aux termes d'une convention entre la ville de Nantes et les éditions du Cherche-Midi (7) . Mais ces inédits furent également à l'origine d'une vive bataille juridique, dont la portée dépasse largement la seule ville de Nantes et intéresse tous les établissements conservant des fonds littéraires. Des copies réalisées avant l'achat des manuscrits originaux furent en effet utilisées dans d'autres publications. La ville de Nantes, s'estimant lésée moralement et financièrement, intenta une action en contrefaçon. Après plusieurs jugements en appel et en cassation, la cour de renvoi d'Amiens a rendu en 1996 un arrêt consacrant les droits de la ville de Nantes, en considérant qu'en matière d'inédits le droit d'exploitation appartient au propriétaire du support matériel de l'oeuvre, c'està-dire du manuscrit original à l'exclusion de simples copies.

    Dès l'origine, ce travail scientifique et la constitution d'un fonds de référence mis à la disposition des chercheurs au sein du Centre d'études verniennes fut inséparable du projet de musée esquissé dès 1955. Exposition permanente des collections verniennes de la bibliothèque municipale, le musée, inauguré en 1978 à l'occasion du cent cinquantième anniversaire de la naissance de l'écrivain, a pour vocation de toucher « les petits et les grands, les littéraires comme les amateurs de science-fiction, tous ceux qui aiment les voyages, les bateaux, les pays lointains, le rêve et l'aventure (8) c'est-à-dire de s'adresser au plus large public. Hommage doit être ici rendu à Mlle Luce Courville, qui dirigea la bibliothèque municipale de 1962 à 1987, et dont l'action fut décisive pour la mise en oeuvre de ce double et indissociable projet.

    Installé en un site vernien à défaut d'une des demeures nantaises de l'écrivain, le musée surplombe la Loire et le port de Nantes, non loin de la maison de vacances où Jules Verne fit ses premiers rêves de voyage. Chaque année, 12 000 visiteurs venus du monde entier sont sensibles à son charme (9) . Une étude-définition est en cours qui doit permettre de dégager de nouvelles perspectives muséographiques et culturelles afin de poursuivre et développer la mise en valeur de l'oeuvre de Jules Verne.

    1. Marguerite Allotte de La Fuye : Jules Verne, sa vie, son oeuvre. Paris, Kra, 1928. retour au texte

    2. Victor-Louis Tapie : préface au catalogue de l'Exposition Jules Verne. Centenaire i De la Terre à la Lune, 1865-1965. Nantes, Bibliothèque municipale, 1966. retour au texte

    3. Cf. Didier Guyvarc'h : La Construction de la mémoire d'une ville. Nantes 1914-1992. Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1997. retour au texte

    4. Jules Verne avait coutume de partager sa page en deux moitiés et d'écrire son texte sur la partie gauche, se réservant ainsi une large marge pour les corrections. retour au texte

    5. Bibliothèque municipale de Nantes: Catalogue des manuscrits de Jules Verne. Ville de Nantes, 1988. retour au texte

    6. Ibid. retour au texte

    7. Ont été publiés sous la direction de Christian Robin Poésies inédites (1989), Voyage à reculons en Angleterre et en Écosse (1989), L'Oncle Robinson (1991), Un prêtre en 1839 (1992), Son Carlos et outres récits (1993). retour au texte

    8. Extrait de la plaquette de présentation du musée. retour au texte

    9. 11 704 personnes ont visité le musée en 1998 : 8806 individuellement et 2 898 en 107 groupes (dont 96 scolaires). Les visiteurs étrangers (33 nationalités en 1998) représentent 20 % du public. retour au texte