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    Par Marina Weill
    Jean-Yves Mollier

    Louis Hachette (1800-1864)

    Le fondateur d'un empire

    Paris, Fayard, 1999. - 554 p. 150 F.

    Cet ouvrage retrace la vie de Louis Hachette, fondateur au début du XIXesiècle d'un des deux grands groupes éditoriaux français actuels.

    Après les nombreux articles parus à sa mort, une étude de Jean Mistler, ancien cadre de la société, sur la Librairie Hachette (1964) et l'article d'Odile et Henri-Jean Martin dans le tome 3 de l'Histoire de l'édition française, Jean-Yves Mollier a souhaité écrire cette « biographie prétexte » qui replace la vie personnelle et professionnelle de Louis Hachette dans la vie économique et culturelle de son époque. Le dépôt d'une bonne partie des archives de la Société Hachette à l'IMEC et les monographies consacrées à d'autres éditeurs français ou étrangers l'encouragèrent dans cette entreprise...

    La vie de Louis Hachette commence avec le 19e siècle dans une famille des Ardennes. Il reçoit de son père, pharmacien aux armées puis en hôpital parisien, la soif de l'instruction. Devenue lingère après la mort de son mari, sa mère élève ses trois enfants dans une tradition janséniste et conserve jusqu'à sa mort le respect de tous par son énergie et sa droiture..

    Il est élève du Lycée impérial (actuel lycée Louis-le-Grand) de 1809 à 1818. Il intègre ensuite l'École normale, dont il est chassé en troisième année pour cause de fermeture de l'École en 1822 sous la Restauration. Il s'inscrit alors à l'École de droit, où il obtient sa licence. Précepteur des enfants d'une grande famille de notaires, il côtoie un milieu d'intellectuels malmenés par l'emprise réactionnaire de l'Église catholique. Veuf en 1832 d'un premier mariage, Louis Hachette se remarie en 1836, élevant avec sa nouvelle femme quatre enfants de lits différents.

    Lorsque l'occasion lui est présentée de racheter le fonds de librairie d'un petit éditeur, il s'en empare et décide de profiter de sa formation pour améliorer tous les ouvrages nécessaires aux collégiens du royaume.

    Grâce à la protection de François Guizot (auteur de la loi de 1833 sur la liberté et l'organisation de l'enseignement primaire), il renforce cette activité de 1826 à 1851. Il agrandit peu à peu sa librairie au sein du quartier des Écoles, tout en investissant dans la production d'ouvrages de lettres classiques, de manuels d'instruction primaire, puis de dictionnaires. Sa librairie devient ainsi, grâce à une association avec ses deux gendres, Louis Bréton et Émile Templier, la Société Hachette et Cie.

    Grand bourgeois orléaniste et important propriétaire foncier, que ce soit au quartier Latin, dans son château du Plessis-Piquet ou en Algérie (depuis peu colonisée par la France), Louis Hachette est également très présent dans la vie de sa cité. Il est en effet membre du Comptoir national d'escompte (créé le 7 mars 1848), où il participe à la réorganisation du crédit et découvre le monde des financiers et des industriels qui seront bientôt les acteurs de la reprise de l'industrialisation du pays. Il élabore également un projet de statuts pour les sociétés de secours mutuels et de prévoyance en faveur des ouvriers et des employés de l'industrie et du commerce, et entre au conseil de surveillance de l'Assistance publique de Paris. Enfin, il devient membre du Cercle de la librairie en 1848, un an après la fondation d'une institution qui se voulait le pendant de la chambre syndicale des imprimeurs, et qu'il présidera un an avant sa mort.

    Fort de son assise, Louis Hachette, dont l'entreprise a survécu à la crise économique de 1846, s'attaque à la transformation de la distribution du livre. Une visite à l'Exposition universelle de Londres en 1851 lui fait découvrir les bibliothèques de gare anglaises. Pour reproduire ce modèle en France, il doit négocier avec les compagnies de chemin de fer françaises (aidé en cela par le duc de Morny), soumettre les oeuvres diffusées à une véritable censure morale, et surtout ferrailler avec ses concurrents (Napoléon Chaix, Lévy, Firmin-Didot, Marne...). Il cherche aussi à diversifier sa production éditoriale en distribuant des romans, français puis étrangers, des guides de voyage puis un journal populaire (le Journal pour tous) à forte coloration morale, véritable laboratoire pour le recrutement des auteurs.

    Devenu un véritable « empereur du livre », Louis Hachette est aussi un grand chef d'entreprise (tel que l'a conçu Schumpeter 50 ans après ), s'entourant de spécialistes « à fort capital culturel », introduisant des formes modernes de gestion d'une société (la division du travail entre des services clairement identifiés) et défendant les valeurs, chères au second Empire, de « Travail, Famille et Ordre ». À la veille de sa mort, en 1864, il adopte pour sa Société des statuts qui jettent les bases de la future société anonyme où le « manager » sera préféré à l'entrepreneur en cas de litige entre les héritiers.

    Toujours porté par son idéal de départ - faciliter l'accès de tous à l'instruction en faisant entrer la littérature dans tous les foyers -, il développe les collections littéraires, avec pour conséquence une standardisation des produits éditoriaux, introduit les illustrations dans les romans et manuels qu'il diffuse, et négocie âprement avec auteurs et illustrateurs les notions de propriété littéraire, en les amenant à pratiquer la vente à forfait de leurs oeuvres.

    Visionnaire d'une profession dont il anticipait les mutations dans un environnement économique très « porteur », il invente le marketing en distribuant des spécimens de ses manuels aux enseignants. Par contre, esclave de la mode et de l'air du temps, il refuse de prendre des risques pour soutenir les jeunes talents littéraires de l'époque (Hugo, Zola...).

    Quand Louis Hachette meurt en 1864, d'une maladie contractée lors d'un voyage dans le sud de la France, il commençait à pressentir qu'il devrait explorer bientôt d'autres marchés que la France, pour faire face à la concurrence anglaise et allemande.

    Cet ouvrage, un peu ardu mais fort bien documenté, comporte des index et une bibliographie abondante qui en font à la fois une véritable biographie scientifique sur le fondateur de l'édition moderne en Europe, et un outil documentaire indispensable sur l'histoire de l'édition et la distribution du livre au XIXesiècle.