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    Présentation du dossier

    Par Jean-Claude Annezer, Vice-Président Coordinateur de la Commission formation

    Quelques interrogations

    1) C'est devenu un lieu commun au-jourd'hui d'affirmer que les usages et les valeurs traditionnelles de notre métier changent, et que ces changements sont étroitement liés à ceux qui apparaissent dans les domaines culturel, social, technologique. Des exigences nouvelles entraînent des formes nouvelles de travail. Cette situation provoque une instabilité des structures, des incertitudes dans les mentalités. Il est moins aisé de définir notre identité professionnelle, de discerner les lignes d'évolution, de dégager un consensus raisonnable sur les systèmes et les contenus de la formation. Même si les mentalités changent, des préjugés perdurent. C'est dans de telles périodes d'instabilité et d'incertitude que l'ABF a toujours su impulser et défendre des idées capables d'accompagner les changements. Ne lui revient-il pas de rendre praticable pour tous le chemin accidenté des évolutions en cours, en proposant des repères et non des lignes de repli ?

    2) La formation professionnelle constitue aujourd'hui un enjeu important. Validation de compétence et de perfectionnement, elle doit répondre aux exigences professionnelles que nous croyons nôtres.

    Il y a des urgences nouvelles dont il faut analyser les mécanismes (réforme du C.A.F.B., statuts des Centres de Formation, ENSB et Ecole du Patrimoine...) mais aussi des constantes dans nos discours et nos pratiques associatives qu'il convient de revivifier et d'exploiter en les mettant en perspective avec les changements en cours.

    3) Notre association doit s'affirmer comme force propositionnelle, surtout dans le domaine des formations professionnelles. Sa réflexion ne doit pas se contenter de n'être que réactive, ou technicienne, elle doit engager un large débat sur notre identité professionnelle.

    Quelles suites seront données au rapport Miquel. quel rôle exercera le Conseil Supérieur des bibliothèques en matière de formation, quel avenir pour le C.A.F.B. et la Commission pédagogique nationale, le CAPES de documentation, le statut de l'ENSB et ses relations avec l'Ecole du Patrimoine, la formation élémentaire de l'ABF et l'homologation du diplôme ?

    La question de la formation est liée à celle des statuts. De ce fait elle est aujourd'hui plus délicate et plus complexe qu'il n'y paraît. Certaines options sont à l'étude au Ministère de l'Education Nationale ; dans l'état actuel des discussions et des négociations nous ne pouvons qu'être vigilants et réaffirmer l'exigence d'harmonisation entre fonction publique d'Etat et fonction publique territoriale ; nous voulons éviter tout réflexe minimaliste face aux incohérences des dispositions envisagées.

    4) L'ABF est riche d'une tradition de réflexions, de convictions et de propositions sur les problèmes de formation et de statut. Mais en la circonstance, pourquoi la réflexion en reste-t-elle souvent à ce constat : "que dire qui ne soit déjà dit", alors que l'actualité témoigne de tentatives d'une réelle politique des bibliothèques et de la formation professionnelle ? Faut-il se contenter d'un aperçu de plus sur les difficultés du moment : colère mêlée de désarroi chez les bibliothécaires adjoints, gêne ici, indifférence morose là. La réflexion n'oscille-t-elle pas entre un discours de légitimation qui cherche à concilier des aspirations contradictoires (préservation des acquis, nouveau corporatisme ?) et une volonté de compétence et de responsabilité (un savoir cohérent partageable ?) Seule une pratique inventive saura augmenter notre lucidité.

    5) L'insatisfaction ressentie ici et là montre que sous ce qui est apparemment logique et rationnel il y a une composante confuse qui compromet l'analyse et le pari de la responsabilité.

    Si les questions de formation nous semblent familières, nous entretenons avec elles une relation ambiguë. On croyait y sentir, depuis 1986, un air de renouveau après des années d'attente et de tâtonnements. Or elles mettent en relief un déséquilibre entre les discours institutionnels et les exigences concrètes du métier. Si elles sont un terrain fertile pour des expérimentations et des innovations, elles participent aussi à une crise, à une remise en question des profils à travers divers prismes (université. statuts...). Sont-elles un thème mobilisateur qui engage une mutation et un profond renouvellement de nos fonctions et de nos compétences ? Les ajustements entre les exigences des emplois et les dispositifs de formation (programmes, contenu, méthodes...) sont plus complexes aujourd'hui. Le sentiment aigu des imperfections et des insuffisances de la réforme en cours ne doit pas nous faire oublier le sérieux des efforts entrepris (CPN, ENSB, centres régionaux...) : la formation, n'est-ce pas là qu'une profession se donne une consistance, construit et adapte son identité, pense et exprime ses objectifs, analyse ses pratiques avec plus d'efficacité ?

    Quelques points de "doctrine" ou la souplesse des invariants :

    1) Le congrès national qui s'est tenu à la Grande Motte du 30 avril au 2 mai 1975, a élaboré un rapport sur la formation professionnelle. Les propositions qui en résultent ont été discutées dans les groupes régionaux puis par l'assemblée générale. Elles ont encore aujourd'hui une singulière vivacité :

    • formation élémentaire : nécessaire concertation entre ABF, Ministères, CNFPT pour une formation commune, devant déboucher sur la création d'un CAP d'employé de bibliothèque.
    • formation moyenne : nécessaire jonction C.A.F.B. et concours de recrutement de bibliothécaires adjoints (programme, épreuves).
    • formation supérieure : l'entrée à l'ENSB devrait se faire après la licence plus un examen professionnel de base (C.A.F.B., DUT...) ; la durée des études : 2 ans.
    • concernant les relations avec les universités : participation des professionnels aux comités consultatifs compétents.
    • Concernant les centres régionaux de formation de bibliothécaires : nécessité d'un statut administratif, de moyens financiers suffisants, de personnels qualifiés et permanents ; seule la région fournit un cadre adapté.

    2) Ces grands principes n'ont rien perdu de leur crédibilité. Confrontés aux épreuves de la réalité institutionnelle (distorsions, changements aléatoires...), les propositions ne sont jamais réalisées d'un coup. Il y a pour un pas en avant des retours en arrière et des déphasages. Leur influence opère souvent par des voies détournées car toute réflexion est tributaire des conséquences qu'on veut en tirer.

    En juillet 1981, au congrès de Monaco, l'ABF souligne que l'unité de la formation est nécessaire si l'on veut une unité des carrières (cf la sixième partie du rapport Vandevoorde). En 1982/1983 les travaux préparatoires du rapport Pingaud-Barreau sont l'occasion de rappeler que la formation professionnelle doit être "enraci-née régionalement dans l'université et viser au décloisonnement des institutions, grâce à l'interdisciplinarité et à la formation permanente".

    3) Le 9 décembre 1985 l'ABF organise à Nancy une journée de séminaire sur la formation professionnelle moyenne après avoir invité tous les groupes régionaux à organiser une réflexion préparatoire. Il s'agissait de tirer les conséquences de la situation nouvelle issue de la décentralisation et de la réforme de l'ENSB, d'étudier les expériences mises sur pied en région et la nécessité d'une structure nationale de coordination. Daniel Renoult, dans son introduction à la journée, a souligné que l'avenir de la formation moyenne dépend désormais de la volonté et des projets mis en oeuvre par les professionnels et non plus par les instances de tutelle.

    "... la question des moyens et des structures va se poser de manière très aiguë dans les deux prochaines an-nées..." "... de nombreux rapports ont été publiés sur la formation professionnelle : rapport Caillet, colloque d'Henin-Beaumont, rapport Nar-bonne, rapport Pingaud-Barreau, rapport Desgraves, colloque sur les métiers du livre, rapport Seguin et d'autres qui sont peut-être en préparation. Il me semble que le temps n'est plus aux commissions d'étude et aux rapports". (Bulletin ABF, n° 130, 1° trimestre 1986, p. 5 et 7). Au cours de cette journée nous avons réaffirmé trois exigences : faire admettre la formation à bac + 2 pouvant déboucher sur la revalorisation du statut des bibliothécaires adjoints, prévoir des possibilités de formation interne aux employés de bibliothèque, quelles que soient les solutions retenues, enfin établir des liens de principe entre cette formation moyenne et la formation supérieure.

    L'ABF s'est engagée à oeuvrer pour sauvegarder l'unité de la formation et poursuivre la revalorisation de la profession. Le n° 131 du bulletin apporte des éléments d'analyse de la situation : collaboration entre centre régional et IUT à Nancy, mise en place d'un DEUST métiers du livre à l'Université de Provence, projet de licence métiers du livre à l'Université de Paris III Censier, formation permanente et concours internes.

    Le 28 janvier 1986, la DBMIST et la DLL lancent un appel d'offre concernant les centres régionaux de formation aux carrières des bibliothèques du livre et de la documentation. Une nouvelle carte est en train de s'esquisser. Les centres seront intégrés aux universités ou dans d'autres structures. Mais quelle sera l'ampleur des transferts de charge et quelles seront les garanties de compétences et d'expériences des nouveaux directeurs ? Comment les professionnels seront-ils associés aux différentes étapes de la mise en oeuvre des projets ? Autant de questions qui exigent notre vigilance.

    4) Le 5 mai 1989 paraissent deux arrêtés au journal officiel pour fixer les modalités de délivrance et le programme du (nouveau) C.A.F.B. et créer la Commission Pédagogique Nationale des Centres de Formation. Lors de son assemblée générale du 22 mai, l'ABF prend acte de cette réforme qui insère plus étroitement le C.A.F.B. dans un cursus universitaire ; elle en approuve les nouvelles spécialisations et les modalités d'examen (2 UC évaluées localement et 2 sur le plan national). Mais elle regrette la disparition d'une spécialisation correspondant à l'ancienne option "Bibliothèques Publiques, adultes" et déplore les lacunes du programme de la spécialisation "Bibliothèques Spécialisées". Elle pense qu'il est grave de porter de 3 à 5 ans la durée d'activités professionnelles exigée pour obtenir une dispense de baccalauréat et le droit de préparer l'examen.

    De même l'obligation de travailler en bibliothèque pour être autorisé à passer une spécialisation supplémentaire, interdit aux demandeurs d'emploi de se placer sur le marché du travail avec une nouvelle spécialisation.

    L'ABF a demandé que ces dispositions soient annulées. Enfin, comme en 1975, il y a toujours la même cohérence entre C.A.F.B. et concours de recrutement de bibliothécaires adjoints d'Etat. En réponse à nos motions, le Sous-Directeur des Bibliothèques (DPDU) s'est dit "prêt à organiser une concertation régulière" avec notre association.

    Perspectives

    1) Le système de formation a été restructuré. Est-ce pour autant que la préparation au métier s'adapte mieux aux besoins de la profession ? Nous mesurons encore mal les performances des nouveaux mécanismes mis en place.

    Ce n'est pas sans raison que le dossier de Livres Hebdo, N° 11 du 16 mars 1990, (pp 57-59) sur les formations de bibliothécaires, parle de flottements. Si le Conseil Supérieur des Bibliothèques veille au niveau général des formations, ne conviendrait-il pas qu'il nous associe à sa réflexion et à son analyse fonctionnelle des niveaux d'emploi dans un paysage en plein changement ?

    Les incertitudes ne doivent pas compromettre l'avancée, même si la refonte des statuts des bibliothécaires adjoints est provisoirement compromise, scandée ou voilée qu'elle est par des négociations en trompe l'oeil.

    2) Même si les repères de notre identité professionnelle évoluent, faisant écho à l'évolution des techniques, des mentalités..., il y a des propositions qui perdurent. Car il s'agit moins aujourd'hui d'un déplacement des perspectives que d'un remplacement pour préciser et renforcer les contours d'une réflexion inscrite dans la durée.

    3) Dans son intervention au colloque de Beaubourg sur les professions du livre en février 1983, Daniel Renoult concluait :

    • "Les évolutions récentes permettent de dégager un certain nombre d'objectifs inducteurs de formation :
    • accompagner les développements technologiques en cours ;
    • amener les futurs professionnels à assurer leurs fonctions sociales et pédagogiques dans le domaine du transfert de l'information et dans celui de l'animation scientifique et culturelle ;
    • préparer l'évolution des rôles professionnels en plaçant l'utilisateur au centre des contenus de formation.

    Pour parvenir à ces objectifs, il est nécessaire que les formations soient à la fois ouvertes et spécialisées, qu'elles constituent une véritable filière du 1er au 3ème cycle ; cela suppose que soient mises en place des passerelles entre les différents dispositifs d'enseignement. Il paraît indispensable :

    • de redéfinir les contenus
    • de décloisonner les structures de formation
    • de former les formateurs."

    4) Aujourd'hui la revalorisation des cursus et des diplômes (CAFB, DEUST, DSB), leur adaptation sur le marché du travail, s'appuient sur le talent des responsables de formation et de stage, sur la qualité des enseignants et la coopération des professionnels d'une région.

    Les centres de formation sont assurément des "gisements" pour demain. Encore conviendrait-il qu'ils puissent disposer de moyens à la hauteur de leurs missions.

    On a regretté ici et là la sélection géographique des centres après l'appel d'offre de 1986 : il y a des régions laissées pour compte.

    Leur mode d'organisation est-il bien adapté ? Leur insertion dans l'Université ne va pas de soi, bien que la contractualisation leur offre au-jourd'hui de nouvelles possibilités.

    Ils seront de plus en plus amenés à prendre en "charge" tous les niveaux de formation en coopération avec divers partenaires (associations professionnelles, CNFPT, collectivités territoriales, lycées). De nouvelles pratiques d'innovation émergent ici et là, productrices de services et de reconnaissance sociales (interprofession des métiers du livre).

    5) Et la formation élémentaire ABF ? Ce serait manquer l'essentiel d'en rester à la reproduction de l'identique. Si nous voulons être foyer de réflexion et de recherche, il importe que nous fassions preuve de lucidité vis à vis de notre propre pratique de formation : organisation, programme, pédagogie, évaluation. Un constat lucide s'impose, de même qu'une gestion saine. Mais ne soyons pas dupes de nos références ni de nos concessions.

    Pour ne pas conclure :

    Nous savons que l'essentiel ne se révèle qu'à la faveur d'une perspective : prendre la mesure des enjeux, des chances et aussi des menaces exige de notre part discernement et solidarité. Quelles sont les urgences du moment :

    • formation élémentaire : revivifier l'échelon régional et la coordination nationale ; étudier des passerelles avec l'Education Nationale (LEP), en vue de BEP et de Bac professionnel ; homologation de notre diplôme.
    • formation moyenne : statut des centres régionaux et de leur directeur (nécessaire ouverture de ces postes aux candidats de la fonction publique territoriale) ; insertion du CAFB dans le DEUST, les licences...
    • formation supérieure : ENSB en 2 ans ; développement de la recherche et lien avec les DESS et DEA des universités ; publications.
    • formation continue : coordination des plans locaux et nécessaire partenariat (DRAC, agence de coopération, CNFPT...).
    • les enjeux européens : harmonisation des diplômes, échanges.

    "... nos oeuvres sont éparses, nos tâches sans honneur et nos blés sans moisson : la lieuse de gerbes attend au bas du soir..."

    St John Perse, Nocturne.