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L'information bibliographique, ses producteurs et ses utilisateurs

1994
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    L'information bibliographique, ses producteurs et ses utilisateurs

    Quelques réflexions pour l'avenir

    Par Jean-Paul Gaschignard , BDP du Cher

    Au terme dece dossier, lepay- sage français de l'information bibliographique (PFIB, pour les intimes) semble bien compliqué. Mul- tiples réservoirs de notices rédigées se- lon des normes variables, présentées dans des formats divers par de multi- ples opérateurs, sur des supports non moins variés, et que l'on cherche à in- tégrer dans des logiciels encore plus nombreux... Un seul mot d'ordre : la di- versité ! Les bibliothécaires, chefs de projet ou d'établissement, les informa- ticiens, des collectivités de tutelle ou des fournisseurs de logiciels ont quel- ques bonnes raisons d'être perplexes.

    L'information bibliographique a changé de nature. Elle a aujourd'hui deux vi- sages.

    Hier, produite pour l'essentiel dans cha- que établissement, matérialisée par des tiroirs de bois et des milliers de fiches bristol, elle était une aide à la recherche de chaque lecteur qui tirait ce qu'il pou- vait d'un instrument long à constituer, difficilement modifiable, obligatoire- ment le même pour tous et relativement opaque. Cette information, comme l'usage qu'en faisait le lecteur, était peu contrôlable. Surtout, elle circulait peu. Les catalogues imprimés, sur papier ou sur microfiches, appartiennent encore à cette ère du catalogue manuel. Ils par- tagent bien des caractéristiques avec les fichiers bristol: obligatoirement les mêmes pour tous, peu modifiables, pouvant tout juste être complétés par des volumes de suppléments, leur usage par le lecteur est difficile à cer- ner. Au fond, de tels catalogues impo- sent leurs caractéristiques au lecteur. Ils lui demandent de faire avec ce qu'il ne peut pas modifier ou influencer.

    Dans un premier temps, à travers les bases de données, cette information s'est délocalisée. Elle a gardé sa fonc- tion d'aide individuelle au lecteur, tout en commençant à s'adapter à ses usages et à ses besoins. Dans un deuxième temps, la généralisation des catalogues informatisés lui a ajouté un nouveau vi- sage : elle était avant tout une aide à des démarches individuelles, elle de- vient aussi un moyen collectif, un ins- trument dans la gestion des établisse- ments. En choisissant notre informa- tion, nous choisissons quel type de bibliothèque nous voulons faire vivre, nous choisissons les lecteurs à qui cette information pourra convenir. Ce deuxième visage, collectif et non indi- viduel, concernant d'un bloc chaque établissement avant de concerner les in- dividus lecteurs, est devenu aujourd'hui le plus important.

    De ce point de vue, la véritable révo- lution n'est pas le passage sur des sup- ports électroniques : elle est dans la co- pie des notices et leur intégration dans des systèmes locaux qu'ils rendent pos- sibles sans peine et à grande échelle. Ses enjeux se chiffrent, dans chaque bibliothèque, en milliers ou dizaines de milliers d'heures de travail par an - si- non plus ; en dizaines ou centaines de milliers de francs de logiciels ou de ma- tériels, par an, en organisation du tra- vail, en recrutements, en qualifications. Contrairement à la démarche du lecteur, relativement peu mesurable, ces enjeux de gestion peuvent facilement être éva- lués. Le temps, les crédits que nous y gagnons ou perdons sont du temps, des crédits, immédiatement gagnés ou per- dus pour le service au public.

    Jamais nous n'avons été aussi près du rêve d'Eugène Morel : supprimer le ca- talogage par une seule source centrale. Si nous en sommes encore loin, ce n'est plus maintenant à cause d'obstacles techniques : ils ont presque tous dispa- ru. Restent d'autres difficultés, d'orga- nisation, de coordination, voire... d'in- formation !

    Il ne paraît pas utile de chercher à construire un nouveau plan de l'infor- mation bibliographique, une nouvelle solution miracle qui aurait toutes les chances de se transformer en usine à gaz ingérable, une nouvelle utopie qui, après avoir fait dépenser beaucoup d'énergie, capoterait sur la triste réalité, un nouveau projet qui ajouterait quel- ques enjeux de pouvoir et quelques cloisonnements supplémentaires.

    Nous voudrions ici exposer quelles re- marques générales, quels principes de- vraient à notre avis guider l'organisation de cette information bibliographique. Plutôt que de faire table rase, il est peut-être possible de progresser pas à pas dans leur direction.

    Unité de l'information bibliographique tous les organismes intervenant dans la production et l'utilisation des notices bibliographiques forment une seule chaîne, un seul système. Nous le véri- fions tous les jours : le choix d'un sup- port pour la récupération de notices de livres intervient sur les choix à faire pour intégrer des notices de documents sonores, le choix du format intervient sur celui des réservoirs de notices, et réciproquement... Cette unité signifie, par exemple, que ces remarques concernent tous les acteurs de l'infor- mation bibliographique, sans en exce- pter aucun : des tutelles aux fournis- seurs de logiciels, des lecteurs aux ca- talogueurs, etc.

    Cette unité, unité de la chaîne d'infor- mation qui est la même du catalogueur de la BNF au lecteur final, unité du champ de cette information où chacune influence toutes les autres, où chaque réservoir influence l'usage qui sera fait des autres, et cela même s'il ne les concurrence pas, est fondamentale. Elle doit pourtant trouver ses limites.

    D'un principe d'unité, on passerait vite au rêve de l'unité universelle. Du constat de l'unité de l'information, on passerait à un nouveau plan où tout le monde devrait faire la même chose, à un carrosse qui deviendrait facilement citrouille, voire pire, à un paradis rêvé qui aurait toutes les chances de se trans- former en enfer bien réel, au mieux pa- vé de bonnes intentions.

    A l'unité de l'information répond le plu- ralisme de ses utilisateurs. Pluralisme des établissements, de leurs fonctions, de leurs tailles, de leurs contraintes, lui- même causé par la variété des lecteurs et de leurs usages.

    Unifier la circulation de l'information, pour la faciliter et l'accélérer. Diversifier ses accès, multiplier les façons de se l'approprier, pour des lecteurs multiples et multiplement divers.

    Quelques principes d'unité

    Primauté de l'utilisateur: le but de cette chaîne bibliographique est de ré- pondre le mieux possible aux besoins des lecteurs et à ceux des biblio- thèques. L'information n'existe pas sans son récepteur.

    Exhaustivité: les réservoirs de notices doivent contenir la plus grande propor- tion possible des notices demandées, de façon à faire gagner le plus de temps possible. Un seul établissement produc- teur ne suffit pas à couvrir l'ensemble des besoins et les réseaux de catalogage partagé sont très lourds à mettre en oeuvre. Entre ces deux extrêmes, pour- rait-on imaginer un réseau de catalo- gage partagé restreint, auquel collabo- rerait un nombre limité de grands éta- blissements représentatifs ?

    Rapidité: les données doivent être dis- ponibles le plus rapidement possible, pour répondre aux besoins en notices de documents récents.

    Qualité: les notices doivent être de bonne qualité pour supprimer les étapes de contrôle et de correction. Si leur qualité n'est pas parfaite, elle doit être constante, contrôlée et clairement décrite.

    Homogénéité du catalogage une seule norme de catalogage, une seule série de règles adoptée par tous les parte- naires pour éviter de dépenser du temps en ajustements locaux et garantir l'intégrité de l'information.

    Homogénéité des accès et des autorités: une seule série de règles pour la construction des vedettes d'accès, un seul fichier d'autorité servant de réfé- rence pour, là encore, économiser le temps et ne pas être obligé d'altérer l'in- formation.

    Normalisation du format d'échange: il devrait être identique, jusque dans les détails, quels que soient les réservoirs et les supports. Nous paierons toute en- torse par de nouveaux coûts de logiciel, en commandant de nouveaux modules de récupération pour garantir l'intégrité de l'information, inévitablement enta- mée quand la normalisation faiblit.

    Deux premiers principes de pluralisme

    Souplesse des supports, permettant à chaque établissement de récupérer l'in- formation de manière adaptée à sa taille et aux fonctions de son logiciel.

    Adaptation des indexations, qui est sans doute un corollaire de la primauté des utilisateurs : que les principaux types de bibliothèques puissent dispo- ser d'indexations adaptées à leurs be- soins (Dewey, CDU, classification des discothèques de la Ville de Paris, in- dexations-matières...) et fournies avec les notices. Quelle logique y a-t-il à ré- indexer les même documents, des di- zaines et des centaines de fois, dans les différentes bibliothèques, selon les mêmes systèmes d'indexation ?

    L'interprétation de chacune de ces re- marques suppose des choix et des ar- bitrages. Les bibliothèques ont des be- soins très différents : l'exhaustivité, la rapidité et la qualité, pour la lecture pu- blique, concernent avant tout le livre pour enfants et le roman, publiés en français. Pour les bibliothèques de re- cherche, il s'agira de livres scientifiques et il sera important d'avoir des notices de documents en langues étrangères. Les règles de catalogage, le format d'échange, les indexations, doivent te- nir compte de tous les utilisateurs et être praticables par chacun, malgré la diversité des fonctions et des tailles des établissements.

    Elle suppose aussi, parfois, de conju- guer unité et pluralisme : compte tenu de l'état actuel des réservoirs de no- tices, les qualités de catalogage et les règles employées sont parfois très di- verses. Le meilleur réservoir sera le plus vaste, mais il devra aussi permettre à chaque établissement de choisir quels types de notices il récupère, pour pou- voir fixer lui-même sa politique de ca- talogage. Les bases hétérogènes de- vraient être organisées en sous-bases, et les fonctions de récupération de- vraient permettre d'exclure facilement chaque type de notice.

    A ces idées techniques, on peut encore ajouter quelques réflexions sur la ges- tion de l'information bibliographique :

    Coordination: traduction administra- tive du principe d'unité de l'informa- tion. Si l'usine à gaz n'est pas souhai- table, il serait en revanche utile de jeter des passerelles entre tous les parte- naires de la chaîne ; de créer, par exem- ple, un lieu de dialogue permanent en- tre producteurs et utilisateurs ; de per- mettre ainsi les arbitrages dont nous parlions un peu plus haut.

    Transparence: autre corollaire du même. Les choix concernant l'ensemble de la chaîne, et les critères de ces dé- cisions, doivent être connus de tous, et surtout des bibliothèques utilisatrices (voir aussi : primauté de l'utilisateur).

    Pilotage par la demande: moins hasar- deux que la politique de l'offre, n'est après tout qu'une application de la pri- mauté des utilisateurs. Cette demande ne peut s'exprimer que s'il existe un lieu de coordination auquel ils participent.

    En quelques années, l'information bibliographique a profondément chan- gé de nature. Elle devient un secteur-clé dans la gestion même des établisse- ments. Ses enjeux sont désormais deve- nus trop lourds pour que l'on fasse l'économie d'un dialogue permanent entre ses producteurs et ses utilisateurs.