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Pour n'en jamais finir avec l'utilisateur final

1994
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    Pour n'en jamais finir avec l'utilisateur final

    Par Anne Curt , Bibliothèque Sainte-Geneviève

    Pour exercer les droits à la for- « mation permanente, à l'infor- mation et à la culture re- connus par la Constitution, tout citoyen doit pouvoir, tout au long de sa vie, ac- céder librement aux livres et aux autres sources documentaires. » C'est ainsi que la charte des bibliothèques adoptée par le Conseil supérieur des bibliothèques, le 7 novembre 1991, présente les droits des usagers des bibliothèques à l'infor- mation, au savoir et à la culture dans son article 1. Ces droits sont réaffirmés dans le texte adopté par le bureau na- tional de l'ABF le 21 janvier 1994 pour la gratuité du droit à prêt.

    « Considérant :

    • la fragilité des bibliothèques publi- ques en France, et le retard des biblio- thèques universitaires, en terme de taux de fréquentation mais aussi de budgets d'acquisition ;
    • la nécessité que les bibliothèques du secteur public soient reconnues comme un service public de lecture, d'informa- tion et de documentation, qui ne tire aucun intérêt économique du prêt de documents ;
    • la nécessité de développer l'accès à la lecture et à la documentation pour tous, sans exclusive, et sans discrimina- tion, qu'elle soit liée à l'âge, au lieu d'habitation ou aux revenus (1) . »

    Les bibliothèques respectent-elles tou- jours les besoins d'information du pu- blic qu'elles servent et permettent-elles à tous d'accéder à l'information et aux documents dans un contexte de liberté, de démocratie et d'égalité ? Sont-elles en nombre suffisant pour le faire et en ont-elles les moyens ? Autant de ques- tions auxquelles les enquêtes et les éva- luations tentent d'apporter une réponse.

    Enquêtes sur les besoins et la satisfaction du public

    Pour renseigner le public et le satisfaire, il faut connaître ses besoins. Des en- quêtes sont, en effet, régulièrement réa- lisées pour mieux cerner quels sont les publics des bibliothèques, évaluer quels services les satisfont et quels sont ceux qui ne les satisfont pas, quels sont les besoins qu'ils expriment et comment mieux les satisfaire. Ces enquêtes sont menées aussi bien dans les municipales et grandes bibliothèques publiques telles que la Bibliothèque publique d'in- formation et la médiathèque de la Vil- lette que dans les bibliothèques univer- sitaires ou de grands établissements - à l'initiative des tutelles politiques et ad- ministratives ou des établissements eux- mêmes.

    La Bibliothèque nationale de France est, actuellement, en train d'en lancer une afin de découvrir quel public va la fré- quenter, quel sera le type d'information dont il aura besoin, et quels efforts fi- nanciers il est prêt à faire.

    Lorsqu'on analyse ces enquêtes, on s'aperçoit qu'elles se recoupent, quels que soient le public et la bibliothèque concernée.

    Qui sont ces usagers ?

    Une grande partie des grands établisse- ments comme la BPI, la médiathèque de la Villette ou la bibliothèque Sainte- Geneviève ou de grandes municipales telles que celles de Lyon, de Valence et bien d'autres... reçoivent un public très diversifié comprenant tout l'éventail d'usagers imaginable. Les étudiants de premier cycle représentent un public important et fidèle, même si a priori les bibliothèques qu'ils fréquentent n'ont pas été conçues spécialement pour eux. Ce phénomène propre à de grandes métropoles ou à des villes ayant passé convention avec l'université pour sou- tenir des enseignements par des fonds documentaires généraux et spéciali- sées, n'est pas nouveau à Paris où, de- puis de longues années, sont dénon- cées l'absence de salles de travail dans les universités, les restrictions d'ouver- ture des bibliothèques universitaires, ou l'absence de bibliothèques pour les pre- miers cycles dans quelques universités. Le cauchemar, pour les usagers et le personnel, de la surfréquentation des bibliothèques ouvertes six jours par se- maine toute l'année jusqu'à 22 heures, telles que la BPI ou Sainte-Geneviève, recommence à chaque période de va- cances, au moment où l'encadrement est réduit. Le public parisien doit faire entre une et deux heures de queue, quelquefois plus selon les établisse- ments, parce que la plupart des biblio- thèques universitaires sont fermées ou que le mardi est jour de fermeture à la BPI. Le public fait sagement queue, sans se plaindre, si celle-ci ne dure qu'une heure ; au-delà, il devient très nerveux, particulièrement en période d'examens à préparer !

    Que viennent chercher les lecteurs en bibliothèque ?

    En règle générale, le public, qu'il se compose uniquement d'étudiants ou que toutes les professions et classes so- ciales y soient représentées, semble très soumis et s'adapte aux conditions quel- quefois dures des établissements docu- mentaires. Une partie des usagers des bibliothèques viennent seulement cher- cher un endroit pour travailler (étu- diants, chercheurs) ou écrire (journa- listes, écrivains) ou bien consulter un fonds de référence en libre accès. D'au- tres cherchent des documents précis, une information la plus complète pos- sible sur un centre d'intérêt. Certains vont identifier des références et essayer de les localiser, d'autres lisent la presse générale ou spécialisée, d'autres encore visionnent un film, écoutent un compact qui vient de sortir... Si tous les documents ne sont pas en libre accès, certains demandent à consulter le fonds de documents en magasin.

    De la place et des documents !

    Que les lecteurs sachent parfaitement ou approximativement ce qu'ils cher- chent en venant à la bibliothèque, ils expriment divers besoins que l'on peut essayer de classer d'après l'ensemble des enquêtes.

    Le premier de leurs besoins est, para- doxalement, des places en biblio- thèque, soit que le nombre des biblio- thèques, soit que leurs horaires, soit que les deux demeurent insuffisants, particulièrement dans la région pari- sienne (1 800 places à la BPI, 150 en salle d'actualité, 700 à Sainte-Gene- viève). Le public de ces deux biblio- thèques est particulièrement fidèle (37 % du public de Sainte-Geneviève, 25 % de la BPI, ne fréquentent pas d'au- tres bibliothèques et plus de la moitié du public les fréquente assidûment au moins une fois par semaine).

    Après l'obtention d'une place, les usa- gers souhaitent être accueillis et infor- més sur le fonctionnement de la biblio- thèque, être aidés dans leur quête do- cumentaire. Ils souhaitent avoir plus de documents en libre accès ou ils se féli- citent que tout le fonds y soit. Ils aime- raient avoir librement accès aux pério- diques récents (ou ils demandent d'y avoir accès à Sainte-Geneviève qui n'a pas de salle de périodiques, malgré la grande richesse de ses collections en cours ou passées). Ils ne veulent pas de formation organisée à la recherche docu- mentaire mais un accueil personnalisé.

    Les publics expriment le besoin de plus de documentation, plus de livres et de périodiques, en lecture publique comme en lecture universitaire et de re- cherche, au fur et à mesure que leur niveau d'études augmente. Plus de li- vres, plus de documents, quel qu'en soit le support, pourvu qu'ils soient per- tinents, est un des souhaits que même la bibliothèque de Babel ne pourra ja- mais combler ! Par contre, moins leur niveau scolaire est élevé plus les usa- gers sont contents de ce que leur pré- sente la bibliothèque (catégories socio- professionnelles peu élevées, étudiants de premier cycle).

    Information/signalisation/ guides du lecteur... ou comment sortir du labyrinthe

    Le manque d'information sur la biblio- thèque engendre l'insatisfaction à des degrés divers chez certains lecteurs ou chez d'autres l'inhibition. Le manque de lisibilité des bibliothèques, en particu- lier des bibliothèques universitaires, est criant. Les salles sont disséminées et le public a du mal à les découvrir ; elles ne sont pas signalées et leurs horaires sont le plus souvent réduits ou sont trop timidement affichés. Les procédures de communication peuvent être d'une complexité étonnante. Le bouche-à- oreille entre lecteurs fonctionne parfai- tement car beaucoup n'osent pas demander des explications ou sont mal accueillis lorsqu'ils s'adressent aux bibliothécaires de service et repartent bredouilles avec l'impression d'avoir traversé un labyrinthe sans succès. Il ar- rive à certains de s'excuser de ne pas comprendre, puis de venir remercier lorsque leurs recherches ont été cou- ronnées de succès après consultation du bibliothécaire affecté au renseigne- ment. On remarque enfin que si un ou deux usagers osent demander un ren- seignement, ils vont inciter d'autres à les imiter.

    L'efficacité du bibliothécaire chargé du renseignement repose sur un certain nombre de préalables. La signalisation est un premier pas dans la communica- tion que le bibliothécaire franchit diffi- cilement en lecture spécialisée et, dans les bibliothèques universitaires, la si- gnalisation n'est pas toujours très évi- dente pour le public.

    Procédures d'accès, de communication, bornes de renseignement, règlements de la bibliothèque, classement des do- cuments en libre accès, typologie des documents, catalogues... comment ai- der le lecteur à bien s'y retrouver ? Il s'oriente plus facilement dans une clas- sification décimale compliquée que dans la jungle de la typologie des do- cuments avec la distinction entre livres et périodiques. Il a moins de mal à ap- prendre à se servir d'un logiciel d'inter- rogation efficace utilisant les opérateurs booléens «et, ou, sauf" que de savoir par avance si le document qu'il re- cherche sera supporté par du papier ou bien par un microfilm, une microfiche, un CD-ROM, un vidéodisque ou tout simplement une disquette. Comment l'aider mieux que par un accès unique à toutes ces subtiles distinctions ?

    Simplifier et uniformiser

    Comment répondre au souhait de comprendre l'organisation de la biblio- thèque, son fonctionnement, le classe- ment, les règles de communication si ce n'est par la simplification des procé- dures ?

    Utiliser ce qui est le plus universelle- ment pratiqué est la garantie que les lecteurs n'auront pas à s'adapter en pas- sant d'une bibliothèque à l'autre. L'adoption de la classification décimale DEWEY, mode de classement largement répandu en France et dans le monde, en lecture publique comme en lecture universitaire peut sembler un parti sage malgré toutes ses imperfections et ina- daptations.

    Il en est de même de l'indexation des do- cuments selon la liste RAMEAU qui n'a de cohérent et d'intéressant que d'être lar- gement utilisée en France et d'avoir des correspondances certaines avec la liste des vedettes matières de la bibliothèque du Congrès. Si la recherche par vedettes matières construites paraît impossible à pratiquer aux lecteurs ou aux profession- nels non aguerris à ce sport, c'est aux logiciels de recherche documentaire per- formants de corriger ce défaut grâce à l'utilisation des opérateurs booléens, de dictionnaires de mots, de la troncature, de l'affichage de listes de termes, d'au- teurs ou de titres, de la faculté de revenir en arrière, d'utiliser les avantages de l'hy- pertexte - bref, bienvenue aux logiciels adaptés à la stratégie des usagers.

    Libre choix et autonomie ou service à la carte

    Nous voyons, lors des enquêtes, que les lecteurs apprécient de pouvoir accéder librement aux livres et à la documenta- tion ainsi qu'aux ressources d'informa- tion dans de beaux bâtiments, anciens ou modernes, pourvu qu'ils soient spa- cieux et naturellement bien éclairés. Ils aiment unanimement les fonds en accès libre et regrettent que certaines biblio- thèques anciennes ne puissent leur per- mettre de « butiner » l'ensemble de leurs fonds. Ils préfèrent se passer d'intermé- diaire ; ils aiment chercher les docu- ments sur les rayons, les feuilleter, les choisir en connaissance de cause, les découvrir. Analogie et hasard président le plus souvent à la quête documen- taire. Et selon des enquêtes de la British Library sur les besoins documentaires des chercheurs, même ces derniers agissent de cette façon. Si on tient compte de cette démarche, il serait bon de faire voisiner certains textes essen- tiels des siècles passés avec les textes modernes ainsi que l'information très récente des périodiques et autres mé- dias... afin que les lecteurs aient une vision globale plus claire de l'informa- tion dans tous les domaines.

    Si nombre de lecteurs aiment se sentir fondus parmi les autres usagers, en quelque sorte cachés par ceux-ci et li- bres, d'autres au contraire souhaitent un service adapté à leurs propres be- soins. Ils aimeraient pouvoir réserver un (des) document(s) ou une place à l'avance pour un jour, une heure déter- minée. Ils aiment se sentir uniques et non pas perdus dans la masse informe des lecteurs. Ils aimeraient devenir une clientèle privilégiée de l'établissement avec un traitement de faveur. Mais, à moins d'être formés aux techniques do- cumentaires, ils ne distinguent et ne surmontent qu'avec difficulté les bar- rières que les bibliothécaires dressent entre tous les types de documents, li- vres, rééditions, réimpressions, périodi- ques, cartes, estampes, musique, docu- ments électroniques, microfiches de re- production éditée commercialement ou de reproduction de substitution, micro- fiches de thèses. Ces frontières sont- elles de type matériel ou de type intel- lectuel ? Rien ne remplace alors le bibliothécaire, bibliographe avant tout, « accueillant, efficace », qui va au devant du lecteur et lui propose de l'aide. Les personnels que libère l'informatisation peuvent être redéployés au renseigne- ment et au service du public.

    Des constats précédents découlent des évidences sur les conditions essentielles d'un service de qualité :

    • une politique de développement des collections adaptée aux besoins des usagers et concertée au plan local comme au plan national ;
    • une orientation du lecteur de façon à ce qu'il puisse trouver avec certitude ce qu'il cherche, donc des outils d'orientation remis à jour constamment sous forme de banques de données auxquelles il ait accès directement ;
    • une localisation sûre des documents où qu'ils se trouvent, dans l'établisse- ment de préférence mais aussi ailleurs, donc un catalogue collectif unique dans lequel il puisse naviguer facilement ;
    • une pratique uniforme du prêt entre bibliothèques, non seulement pour les publics universitaires mais aussi pour les usagers des bibliothèques publiques ;
    • ou, à défaut, la localisation détaillée des fonds spécialisés ;
    • l'utilisation des CD-ROM, des banques de données distantes en plus du cata- logue local dans toutes les biblio- thèques ;
    • le personnel hautement qualifié capa- ble d'aider le lecteur ou de servir de médiateur entre les moyens d'informa- tion et lui.

    Renseignement à la demande

    Selon Daniel Renoult « acte privé, acte solitaire, la lecture s'accommode à la ri- gueur d'espaces publics mais paraît fer- mée à l'étude collective de la biblio- graphie et de la recherche d'informa- tion (2) ». Il écrit aussi : « On n'est pas étudiant, on le devient ; de la même fa- çon, on devient lecteur en passant pro- gressivement d'un usage rudimentaire des bibliothèques à des pratiques plus savantes : le lecteur occasionnel se transforme, peu à peu, en lecteur pro- fessionnel. » Il faut, par conséquent, ap- prendre aux lecteurs à se servir des ins- truments à leur service au moment où ils sont motivés pour le faire, OPAC, re- cherche en ligne par le minitel (cf liste des accès par minitel aux catalogues des bibliothèques en annexe) ou termi- nal standard, CD-ROM, catalogues et ou- tils bibliographiques traditionnels... Pour cela, il faut que les bibliothécaires fassent du renseignement au public sys- tématiquement à la demande et soient performants eux-mêmes, que leurs connaissances bibliographiques soient toujours remises à jour, complétées, qu'il y ait compétition entre les biblio- thèques pour un renseignement, une in- formation de qualité, une pédagogie de l'autonomie.

    Le bibliothécaire ne devrait jamais avoir honte de dire qu'il ne sait pas et consulter ses collègues car il est en situation d'ap- prentissage continu, nul ne pouvant tout savoir toujours. L'humilité est la qualité première du bibliographe. Le biblio- thécaire/documentaliste aurait tort de croire, en effet, pouvoir égaler le cher- cheur dans sa recherche alors qu'il n'est qu'un professionnel « spécialiste en re- cherche documentaire » à son service. Il est le grand intendant de la culture et de l'information spécialisée qui peut dire où celles-ci se trouvent et tendre les clés qui permettent de les atteindre.

    Ainsi que le soulignait récemment Mar- tine Blanc-Montmayeur dans le Bulletin de l'ABF, il faut favoriser la stratégie de recherche des lecteurs par cette « accu- mulation plus raisonnée qui rende en- core plus visibles les chemins structu- rants de la connaissance ». Cependant, d'abord et avant tout, il faut mettre « di- rectement au contact du public le per- sonnel le mieux formé », ces « jardiniers de la connaissance >, ces bibliothécaires qui cultivent les catalogues, l'organisa- tion, le classement et qui par leur connaissance des collections et de la re- cherche documentaire, leur expérience conjuguée à un approfondissement permanent de leurs connaissances pures et une formation sur la commu- nication » sont les meilleurs médiateurs et pédagogues de la connaissance que l'on puisse offrir aux usagers.

    OPAC et réseaux de CD-ROM

    Outre l'accès aux rayons, le repérage par hasard, les OPAC sont là pour aider les lecteurs à accéder à une information claire. Ils ont souvent des besoins pré- cis et il ressort de toutes les enquêtes qu'en plus du libre accès, le catalogue informatisé et les catalogues sur CD- ROM servis en réseau rencontrent un vif succès auprès d'eux.

    Peu d'études ont été menées, jusqu'ici, pour découvrir comment le lecteur ai- merait voir afficher ce qu'il cherche si- non celles que Nathalie Mitev nous a rapportées de Grande-Bretagne en 1986 à propos des enquêtes sur l'utilisation des OPAC par OKAPI. Après les études de la BPI se déroulent actuellement des recherches très poussées sur les OPAC dans le cadre du programme PARINFO (Programme d'aide à la recherche en in- formation), avec le concours de divers partenaires comme la médiathèque de la Villette, l'ENSSIB, la bibliothèque mu- nicipale de Lyon... Les bibliothécaires pourraient prendre en compte les résul- tats de ces études pour réfléchir sur la conception des OPAC et les faire évo- luer vers une plus grande satisfaction du lecteur.

    1. Bulletin d'informations de l'ABF, n° 162, p. 77. retour au texte

    2. Les étudiants et la lecture / sous la dir. d'Emma- nuel Fraisse. - PUF, 1993. - (Politique d'aujourd'hui). retour au texte