Les lecteurs aiment les périodiques bien qu'ils soient nombreux à ne savoir que très vaguement ce que veut dire ce terme. Ils parlent de la presse, de quotidiens, d'hebdoma- daires, de canards, de revues, d'illus- trés, de magazines... Ils les aiment non seulement pour animer leurs loisirs car la presse peut être légère, voire super- ficielle, sans autres buts que le plaisir et la détente, mais aussi ils la lisent pour s'informer sur un sujet et en ont de plus en plus besoin pour alimenter leurs études et recherches à mesure que leur niveau d'étude avance. Ne parlons pas de la recherche qui repose majoritairement sur eux ainsi que sur les actes de congrès, les rapports de re- cherche et autres documents de littéra- ture grise. En lecture publique ou en bibliothèque universitaire, les lecteurs sont unanimes à réclamer une salle de périodiques en accès libre s'il n'y en a pas et découvrent avec émerveillement le fonctionnement de MYRIADE. Pour- quoi ne pas dépouiller la presse pério- dique pour eux ?
Or, d'un côté, certains bibliothécaires rejettent le dépouillement de périodi- ques parce qu'il se « périme très vite. Les livres ne se périment-ils pas et l'in- formation n'est-elle pas datée dans les deux cas ? D'autre part, les bons articles de périodiques, comme les bons livres, ne servent-ils pas de référence pour la recherche sans que le temps les dé- grade ? Enfin et surtout, le lecteur n'en a-t-il pas besoin ?
D'un autre côté les documentalistes préfèrent le dépouillement de périodi- ques parce qu'il fournit une information plus à jour. Y a-t-il une réelle antinomie entre les synthèses de qualité ou les ou- vrages de réflexion et l'information de pointe ? Les obstacles insurmontables que l'on dresse entre le traitement des livres et des périodiques n'existe-t-il pas uniquement dans les mentalités des bibliothécaires et documentalistes qui refusent de refondre banques de don- nées de dépouillement de périodiques et catalogues de livres ? Ainsi, les nu- méros spéciaux et thématiques des pé- riodiques ressortissent des catalogues de livres et les banques de données de dépouillement de périodiques incluent des actes de congrès, des mélanges, des livres. Des bibliographies et index de dépouillement de périodiques parais- sent sous forme de livres sur des thèmes précis, particulièrement en an- glais et en allemand, pour des do- maines comme la musique, l'art, Sha- kespeare, les voyages... Les frontières en deviennent floues et on se demande si elles ne sont pas dressées artificiel- lement pour distinguer deux sortes de professionnels qui ne devraient pas être antagonistes puisqu'ils servent tous deux l'information.
Si les périodiques sont traités habituel- lement par les documentalistes et sont honorés dans les centres de documen- tation et bibliothèques spécialisées (Bulletin analytique de documentation politique, économique et sociale contemporaine ainsi qu'ESOP de la Fon- dation nationale des sciences politi- ques, le CIDIC (1) et son dépouillement de la presse internationale à la Documen- tation française...), il n'en est pas de même en bibliothèque publique. Les choses n'avaient pas beaucoup évolué depuis dix ans malgré une évolution technologique qui aurait pu résoudre le » problème du dépouillement de pério- diques ». En effet, il aurait été simple de s'organiser pour partager les respon- sabilités de dépouillement au plan ré- gional comme au plan national, grâce à l'informatique et aux structures de co- opération. Cependant, même la conser- vation partagée des titres de périodi- ques n'est pas encore une réalité par- tout en France et n'est pas toujours organisée rationnellement régionale- ment et encore moins nationalement.
Qu'entendent les bibliothèques par « dépouillement » ? Selon que la biblio- thèque est publique, universitaire ou spécialisée, le dépouillement peut si- gnifier uniquement l'indexation des ar- ticles de périodiques et la constitution de dossiers de presse ou, plus large- ment, l'indexation de tout ce qui peut servir la recherche spécialisée, comme les monographies, les congrès, les rap- ports de recherche, les thèses, les notes de synthèse...
Le « grand public » a été moins privilégié jusqu'en 1992 que le public d'étudiants, d'enseignants et de chercheurs à l'ex- ception de celui de la BPI qui peut bé- néficier de dossiers de presse, de bibliographies sur des sujets particuliers intégrant des numéros de périodiques thématiques ou des articles de périodi- ques, des collections d'index de la presse spécialisée dans les différents points d'information spécialisée, ainsi que la possibilité de s'adresser au ser- vice spécialisé dans l'interrogation des banques de données... A la médiathè- que de La Villette aussi, le public peut consulter les Bulletins signalétiques du CNRS, FRANCIS ou PASCAL, ou les Cur- rent contents... puis, si besoin, être orienté vers le service d'interrogation des banques de données.
Nous n'avions rien de comparable au dépouillement destiné à la lecture pu- blique de Bill Katz en Amérique du Nord, ou bien aux Humanities index britanniques, à l'IBZ ou Dietrich (2) ...
La société canadienne MICROFOR avait bien essayé de diffuser sa banque de données et son bulletin de dépouille- ment de la presse française au début des années 1980 mais le journal Le Monde lui avait intenté un procès re- tentissant qui avait agité les cercles de bibliothécaires et de juristes. Il s'agissait de découvrir si un dépouillement bibliographique attentait « à la propriété littéraire et artistique et si le fait de signaler des titres d'articles de périodi- ques et des auteurs dans un bulletin bibliographique de dépouillement de périodiques était une atteinte à ce droit. Après de nombreux renvois et appels, MICROFOR a gagné en cassation au bout de dix bonnes années. Cependant, il était trop tard car France-Actualité avait été interdit et de fait n'avait pu s'im- planter en bibliothèques publiques ou universitaires pour combler une lacune qui n'est plus d'actualité.
Il y avait bien eu, également vers les années 1980, les tentatives de Réperto- riex : French periodical index, publica- tion annuelle qui essayait de nous par- venir depuis son université du Michigan natale bien que son concepteur soit de bonne souche française. En 1983, le CNDP (Centre national de documenta- tion pédagogique) et la Centrale des bibliothèques, organisme à vocation pé- dagogique pour le Québec à Montréal (3) , avaient envisagé de coopérer, l'un et l'autre dépouillant la presse périodique et pouvant offir ce dépouillement aux lecteurs des bibliothèques publiques.
Toutes ces expériences ont fini par avorter, insuffisamment soutenues par les professionnels bibliothécaires et do- cumentalistes.
Il a fallu attendre 1992/1993 pour que paraissent différents produits pour le grand public en France.
Index presse, banque de données de la presse française, s'adresse au » grand public » (4) . Livrées chaque mois sur dis- quettes, ses notices en format UNIMARC indexées selon la liste Blanc-Mont- mayeur/Danset et selon RAMEAU, peu- vent, soit être intégrées au catalogue général de la bibliothèque, soit être ex- ploitées, grâce au logiciel PHIDOC, sur un micro-ordinateur indépendant monoposte ou servies en réseau. Ses 71 titres ne comprennent pas de quoti- diens et les bibliothèques peuvent, soit choisir de s'abonner à quelques titres (abonnements compris entre 300 et 3 900 F par an), soit à toute la banque de données (pour 35 000 F par an).
La BPI, consciente dès sa création de l'enjeu que représentent les périodi- ques, vient de tenter l'expérience de numériser les tables de sommaires d'un certain nombre de périodiques géné- raux afin de permettre au lecteur de mieux utiliser la presse. Elle vient de concevoir le CD-ROM CD-Actualité : in- dex de l'actualité de la presse française, avec Chadwyck-Healey France. Index cumulatif d'articles d'environ 450 titres de périodiques vivants de la presse française, depuis le 1erjuin 1992, on y trouve les sommaires de périodiques tels que Elle, Connaissance des arts, L'Express, L'Événement du jeudi, Lire, Le Magazine littéraire, Le Nouvel Observa- teur, Télérama, La Vie, Valeurs actuelles et bien d'autres titres... Certains articles sont résumés et tous sont liés à la notice du périodique extraite visiblement de MYRIADE. Produit simpliste mais facile à réaliser et à utiliser, il comble une la- cune importante et pourra peut-être s'étendre et s'améliorer par la suite. Par exemple, on y trouve 28 articles sur « Barnes et l'interrogation par Spiel- berg ressort des articles sur l'holo- causte et sur furassic Park.
Le Monde, dépouillé jusque-là réguliè- rement tous les mois par Research publications sous le titre Index: Le Monde, a sorti un CD-ROM qui l'offre tous les six mois à la consultation en texte intégral. Il n'est pas simple à in- terroger, et on se demande ce que lui rajoute ou lui retranche l'indexation. « Barnes » ne ressort rien à l'interroga- tion par sujet, trois références par in- terrogation par mots du titre, huit par interrogation du texte intégral.
Quant aux bibliothèques universitaires ou spécialisées, elles proposent un ac- cès aux banques de données de l'infor- mation scientifique et technique desti- nées à la recherche spécialisée qui per- mettent aux chercheurs et étudiants de troisième cycle, quelquefois de fin de deuxième cycle, d'accéder au dépouil- lement de documents aptes à servir la recherche. Bien que soutenues par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, les interrogations sont pratiquées à titre onéreux et les lecteurs hésitent souvent devant le coût pour un résultat incertain. Ce service est également proposé dans des biblio- thèques publiques importantes en ré- gion parisienne comme en province.
L'avènement des CD-ROM ainsi que l'ac- cès aux banques de données par minitel dans la bibliothèque ou chez soi per- mettent de dépasser ce problème. Il a déjà été souvent calculé et démontré que le temps passé à une recherche do- cumentaire à l'aide d'outils biblio- graphiques de type traditionnel compa- ré au temps passé à préparer une in- terrogation puis à l'exécuter en ligne revenait beaucoup plus cher non seu- lement à l'usager mais aussi à l'établis- sement documentaire. De plus en plus de banques de données dépouillant en- tre autres des périodiques spécialisés sont stockées et mises à jour régulière- ment sur des disquettes ou des CD-ROM (Current contents, MEDLINE...). Les bibliothèques peuvent enfin les offrir à la consultation publique de façon illi- mitée à un prix de revient fixe.
Les documentalistes des centres de re- cherche travaillent de la même façon organisant le plus souvent le partage du dépouillement entre eux. Cela nous vaut les CD-ROMdes banques de don- nées du CNRS, PASCAL et FRANCIS, ceux d'ABI-inform et des PREDICASTS pour le monde des affaires, et de l'économie, de LEXILASER pour le droit, EUROSTAT pour les statistiques européennes, Le Monde, et bien d'autres... comme « In- side information on CD-ROM » qui édite un million d'articles par an extraits des 10 000 titres de périodiques les plus fré- quemment demandés au British Library Document Supply Centre (BLDSC (cf ar- ticle sur la Grande-Bretagne). La plu- part de ces produits sont cumulatifs, of- frent du texte intégral, sauf Le Monde et PASCAL qui sont édités chaque se- mestre sur un CD-ROM sans cumulatif. L'interrogation de PASCAL entre 1992 et 1994 présente l'inconvénient d'obliger à lancer une même recherche sur les six CD-ROM successivement.
L'AFNOR, enfin, consciente du manque de normalisation pour le dépouillement, s'efforce de sortir rapidement la norme en documentation 244-078 sur la notice de dépouillement ou «parties compo- santes ». Sera-t-elle encore utile avec des produits tels que les CD-ROM de dépouil- lement, les logiciels hypertextes alliés au texte intégral des articles ?
Si les lecteurs apprécient unanimement le dépouillement, les bibliothécaires concepteurs des catalogues de biblio- thèque ne désirent pas, en général, mê- ler dépouillement de périodiques et ca- talogage de livres, à part de rares ex- ceptions. Peu nombreuses sont les bibliothèques, en France, qui offrent ce luxe à leurs lecteurs. Seuls les biblio- thécaires des fonds locaux et régionaux présentent le traitement documentaire le plus exhaustif possible, dépouillant la presse, recueillant des témoignages, collectant la documentation quel que soit son support, produisant des outils de grande diffusion tels que des disques optiques à lecture laser si besoin. La nu- mérisation du texte intégral à la source permet de dire que dès l'an 2000, plus de la moitié des documents scientifi- ques seront servis sous forme électro- nique assortie de logiciels de recherche performants et d'une indexation complémentaire pour compléter les re- cherches et leur permettre d'être plus pertinentes.
Les publications en série : les périodiques, gestion et traitement / Jacques Watrin. - Liège : Éd. du Céfal, 1993. - 156 p. - (Col. bibliothèque du bibliothécaire ; 3) - ISBN 2-87130-033-X