Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Organisation des collections dans l'espace

    Par Alain Pansu, Médiathèque des Temps modernes, Taverny

    Il est difficile d'expliquer, de justifier, ce qui a été fait par l'équipe de Taverny, même si ce qui a été entrepris le fut sans négliger le poids des habitudes ni sous-estimer les risques de l'innovation.

    Trois éléments ont une importance vitale dans un projet de construction. Le premier, c'est la qualité architecturale ou sociale du projet. Le deuxième, c'est l'équipe qui va travailler dans cet équipement, l'idée qu'elle se fait du fonctionnement à venir et les bases d'organisation qu'elle souhaite. Le dernier, qui n'est pas sans importance, l'enveloppe budgétaire du projet.

    Il faut mettre en synergie : le bâtiment, les collections, le personnel. Ces trois éléments ne sont mis en oeuvre que pour leur destinataire : l'utilisateur final. Même s'il n'apparaît jamais distinctement dans chacun de ces trois éléments, c'est en son nom que sont prises les décisions.

    La visite de bâtiments ouverts dans la période qui a précédé la réalisation du projet, l'analyse des conversations, voire des confidences des collègues rencontrés, nous ont servi de support pour avancer dans nos choix, confirmer nos options.

    Parmi ces idées, quelques-unes forment le socle de l'organisation de l'équipement :

    • une médiathèque, ce ne sont pas des « thèques juxtaposées ;
    • le catalogage n'est pas une fin en soi ;
    • l'imprimé n'est pas tout ;
    • il n'y a pas un, mais des publics ;
    • non à l'usager monomaniaque.

    Une médiathèque ce ne sont pas des « thèques juxtaposées. Cette affirmation est la pierre angulaire de l'édifice. Elle s'est trouvée renforcée par un article de Michel Sineux dans le Bulletin des bibliothèques de France sur la médiathèque des Halles.

    Les bibliothèques publiques fonctionnent souvent sur un schéma trinitaire : bibliothèque des adultes/discothèque/section jeunesse. Ce schéma définit trois entités qui ont chacune leur propre logique. Chacune semble être animée d'une finalité différente des autres, liée à la fois à l'organisation des espaces, à la constitution des équipes, à la définition des objectifs.

    Une médiathèque pour qui ? Comment ?

    C'est à partir de la définition de ses publics que s'élabore la définition de la médiathèque. Est-ce pour les publics conquis d'avance ? Pour les consommateurs naturels de culture ?

    L'organisation des collections s'appuyait jusqu'ici sur le support majoritaire, l'imprimé. Sans vouloir minimiser son rôle et sa place, notre idée était qu'il devait se trouver conforté, au niveau de l'offre documentaire, par la richesse d'autres supports. Cette règle édictée, il fallait la traduire dans l'utilisation des espaces. Allions-nous reproduire une section jeunesse sacralisée dans son isolement, une discothèque-vidéothèque réduite à une portion congrue de 150 m2située aux confins de la section adulte avec l'espoir que le passage obligé par cette dernière inciterait les utilisateurs de la discothèque-vidéothèque à devenir des lecteurs ? Notre volonté de ne pas créer de « thèque » s'est affirmée dans le désir de n'avoir que deux sections multisupport : une section adulte et une section jeunesse avec de larges facilités de passage de l'une à l'autre.

    Le travail sur les plans, le dialogue avec l'architecte, M. Jaussaud, du Cabinet Lévy, a permis de trouver facilement des réponses à nos suggestions, à nos désirs. Est-ce parce que nous étions déjà convaincus ? Que les locaux s'y prêtaient ? L'architecte a su mettre à notre disposition les espaces, à charge pour nous de les occuper, et d'en assumer l'aménagement. Était-ce tellement difficile? L'aménagement des espaces aujourd'hui est bien plus facile qu'il n'était. C'est la responsabilité des professionnels d'y être prépondérants. Cette démarche, liée aussi au volet économique, interdit toute fantaisie : mobilier sur mesure, matériels non testés, peu fiables, etc.

    L'équipe inventa la destination, l'occupation des espaces en utilisant un mobilier actuel, choisi dans les gammes des grandes firmes présentes sur le secteur. Toutes ces sociétés proposent aujourd'hui des lignes de produits qui permettent aisément l'intégration des différents supports à l'intérieur d'un même linéaire. À partir de ces mobiliers qui s'assemblent comme des Lego, il est facile de définir des structures finies, complètes, destinées à un thème.

    Un thème ?

    Des thèmes ! Car après avoir conquis la liberté d'organiser les espaces, encore faut-il les remplir. Décider de mélanger les supports à l'intérieur d'un linéaire est élémentaire. La difficulté réside dans la cohérence du classement qui va rassembler ces documents. Quels que soient les moyens mis en oeuvre pour l'accueil, l'aide à l'utilisateur, il ne faut pas oublier que la plus grande partie du temps qu'il passera à l'intérieur de l'établissement, il sera seul.

    Pour lui permettre de s'y retrouver, il faut lui offrir un cadre de classement qui englobe l'ensemble des supports. Mais avoir des documents, sur chaque support, en nombre suffisant, fait aussi partie de l'aide à l'utilisateur. Ainsi définissions-nous, par rapport aux utilisateurs, les conditions d'organisation des collections.

    Nous avions retenu comme cadre de classement, commun à l'ensemble des supports et des sections, la classification Dewey. Avec quelques adaptations, tous les supports s'y intègrent sans difficultés majeures. Parallèlement nous avions décidé de gérer un nombre d'indices limité pour réduire au maximum la fragmentation du fonds et éviter une multitude d'indices secondaires. Cette démarche s'est appuyée sur deux idées :

    • l'organisation du fonds n'est pas destinée au plaisir du bibliothécaire mais à rendre service au public ;
    • la mise en espace des documents, grâce à la classification, doit casser toute hiérarchie entre les supports.

    Le résultat est de définir une zone de recherche adaptée aux utilisateurs en limitant un indice à une tablette dans la grande majorité des cas. Mais un cadre de classement n'est jamais neutre. Depuis sa mise en place, nous nous sommes aperçus que notre façon de classer les documents avait évolué. Nous privilégions la destination du document, son usage, plutôt que le contenu. En cela nous rejoignions les tenants des centres d'intérêt !

    Après avoir intégré les supports audiovisuels que l'on range sous la rubrique « Musiques du monde » avec la géographie, notre interrogation se porte aujourd'hui vers d'autres rubriques.

    Qui lit ? Qui écoute ? Qui visionne ?

    Les réponses à ces questions sont connues de tous ou presque tous les professionnels. Pourcentages, sexes, tranches d'âges, niveaux d'études, tout a été décortiqué.

    Dans Les pratiques culturelles des Français, ou dans l'étude d'Olivier Donnât Les Français face à la culture nous retrouvons les 17 % de lecteurs qui fréquentent nos établissements. L'enquête de l'Observatoire pour l'Économie du livre donne une population de 29 % qui fréquente sur un an des bibliothèques de tous types.

    Ces enquêtes nous donnent les moyens d'analyser, et pas seulement pour le livre, ce qui se passe dans les bibliothèques. Qu'il faille attendre une enquête sociologique lourde pour se dire que l'on a raison est sans doute l'un des paradoxes de notre profession ! Mais il est toujours réconfortant, même a posteriori, de se dire que l'analyse de notre pratique quotidienne, nos intuitions ou impressions, sont bien en prise avec la réalité.

    Quand on connaît la composition sociologique de ce qui va constituer naturellement le noyau dur des utilisateurs, ceux pour qui on doit tout faire, ou qui vont tout réclamer, on peut penser aux autres publics : ces publics absents de nos équipements, ceux qui n'osent pas pousser la porte de nos cathédrales. Ces publics comprennent principalement les deux extrêmes des couches sociales. À la fois ceux qui considèrent que la médiathèque ne leur apportera rien - qu'ils n'aient déjà - et ceux qui pensent qu'ils n'ont pas leur place à l'intérieur, en raison d'une longue suite d'échecs scolaires et du non-intérêt de ce que nous pourrions leur proposer.

    C'est vers ces extrêmes que nous avons organisé notre offre et décidé de l'organisation des collections. Nous ne leur avons pas dit: " venez chez nous, il y a des livres-, car nous savions que ce discours ne les toucherait pas. Nous avons opté pour un discours qui s'appuyait sur un double message. Nous sommes neufs, nous sommes modernes, venez chez nous il y autre chose que des livres vieux, sales, sans intérêt. Nous vous proposons des vidéos, des CD, nous vous proposons d'utiliser nos CD-ROM. Si l'utilisation de l'écrit est pour vous un problème, d'autres supports, qui correspondent mieux à vos capacités, sont à votre disposition.

    Dans le temps où nous décidions de ce discours, nous mettions tout en oeuvre pour que les différents supports - autres que l'imprimé - soient en nombre suffisant pour répondre aux demandes et aux prêts. On ne peut passer sous silence un comportement que nous avions détecté lors de nos visites d'équipement : le syndrome de la grenouille, lié à la constitution de fonds numériquement faibles, qui représentent cependant des investissements financiers importants.

    Qu'est-ce qu'un fonds de 3 500 CD pour une ouverture, mis à part que cela représente à peu près ce que recommandaient les normes de construction ? Comment ce fonds est-il composé ?

    La présence d'un nouveau type de document : CD, vidéos, logiciels, CD-ROM, etc., a pour effet de drainer de nouveaux publics. Ce fonds, faible numériquement, se trouve d'autant plus sollicité et donne rapidement le spectacle désolant de bacs vides. Cette situation est grave car elle engendre des pratiques perverses au niveau du prêt. L'utilisateur qui s'est déplacé, éventuellement inscrit, et qui ne trouve pas ce qu'il souhaitait en arrive à emprunter par dépit n'importe quel titre qui ne l'intéresse pas ou peu, ne serait-ce que pour justifier son déplacement. Deux ou trois répétitions du même épisode et il déserte...

    L'offre multisupport est aussi un moyen pour tenir en échec ce type de comportement. La relative faiblesse de tel ou tel support n'apparaît pas de manière trop ostensible. Mais si la volonté est de renforcer l'offre documentaire par l'ensemble des supports sur un thème, il faut quand même envisager des chiffres plancher. Une collection de supports vidéos de 2 000 documents est le minimum pour une ville de 20 000 habitants. Surtout quand on connaît le taux d'équipement en magnétoscopes des familles. Six à sept mille CD sont aussi à prévoir pour faire face à la demande et avoir une bonne répartition par genre.

    Suite à cette dispersion des supports, on se trouve confronté à l'hostilité du monomaniaque. Celui qui ne s'était déplacé que pour emprunter des vidéos est désemparé dans un premier temps devant ces murs de documents, principalement des livres, où il doit chercher l'objet de son choix. Il lui faudra bien deux ou trois visites pour s'acclimater et s'organiser. Mais il faut aussi évoquer celui qui, enthousiaste, vient de découvrir sur un sujet précis l'ensemble des supports proposés.

    L'équipe

    Est-ce parce qu'il a fallu traiter un nombre important de documents sur différents supports ou parce qu'il fallait mettre en place une présentation multisupport ? L'organisation du travail, des tâches bibliothéconomiques, a dû s'adapter.

    L'organisation du fonds a permis de casser les frontières entre les différentes sections et de définir un fonctionnement basé sur la polyvalence : polyvalence au niveau des supports, des sections et des fonctions. Cela veut dire que les spécificités bibliothéconomiques propres à chaque support ne peuvent servir à délimiter un territoire.

    Une des questions fondamentales pour beaucoup d'entre nous est le sacro-saint problème du catalogage, de son niveau de fiabilité, etc. Bibliothécaires de notre temps nous ne pouvons ignorer ce qui se fait, ce qui se fera. Quel est l'intérêt de cataloguer en détail le double album de Johnny Halliday au Parc des Princes. Quel est le coût de cette notice, quel est son intérêt, son utilité ? Demain cataloguera-t-on encore ? Les CD-ROM comme Électre, la BN-Opale, Opaline ou leurs successeurs, seront rattachés à la base de données de la médiathèque.

    À partir de ces remarques, de bon sens pour certains, iconoclastes pour d'autres, nous avons tenté de mettre en place un service où tous les membres sont solidaires, polyvalents et conscients que notre travail n'a qu'une justification : celui du renforcement du service public.

    Je souhaiterais citer pour conclure un article paru en 1985 dans le Bulletin des bibliothèques de France. Donald Urquhart sous le titre Question de principes » proposait 18 commandements de la bibliothéconomie. Je n'en cite que quelques-uns qui me semblent significatifs et susceptibles de s'adapter aux bibliothèques de lecture publique, donc aux médiathèques :

    • les bibliothèques sont faites pour leurs utilisateurs ;
    • les utilisateurs doivent disposer de catalogues de manière à pouvoir choisir les documents qui les intéressent ;
    • les bibliothèques peuvent être utiles à la société ;
    • l'inaptitude d'un système d'information à satisfaire ses utilisateurs n'apparaît pas, en règle générale, avec évidence ;
    • l'offre suscite la demande ;
    • les bibliothèques, individuellement ou collectivement, doivent tenir compte de leur rendement ;
    • le mieux est l'ennemi du bien ;
    • les prix unitaires pour une activité donnée devraient décroître à mesure que cette activité augmente ;
    • aucune bibliothèque n'est une île ;
    • un poste de bibliothécaire n'est pas une sinécure pour chercheur [ ... 1 ;
    • des données objectives sur les besoins des utilisateurs devraient constamment guider tous les projets bibliothéconomiques.

    Notre projet est un projet collectif auquel l'ensemble de l'équipe adhère. Nous avons même l'impression, avec maintenant un recul de deux années, que nous avons conquis des publics difficiles, non pas à la vidéo ou aux CD, ils étaient venus appâtés par eux, mais à d'autres supports comme l'imprimé car le classement multisupport à un gros avantage : il désacralise la culture écrite en la faisant cohabiter avec les autres supports culturels.