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    Quels services offrir dans la médiathèque ?

    Par Philippe Debrion, Médiathèque du Canal Saint-Quentin-en- Yvelines

    Avant de tenter de répondre à la question, il me semble nécessaire de situer la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette ville, dont la construction a commencé au début des années soixante-dix, est située à l'ouest de Paris, dans les Yvelines. Elle compte actuellement plus de 145 000 habitants. Cette population est jeune, puisque pour plus de 70 % composée de moins de 40 ans et pour 40 % de moins de 20 ans. C'est aussi une population qualifiée, presque 50 % des actifs sont cadres ou cadres supérieurs. Enfin le taux de chômage est faible puisqu'il touche 6,2 % de l'ensemble des habitants. Le nombre d'emplois est de 60 000 pour 4 900 entreprises dont les plus importantes sont Bouygues, Thompson, Intel-France, Dassault, Technocentre Renault (ouverture en 1997).

    Dans cet environnement à quoi correspondait les services que l'on peut mettre en place dans une médiathèque ? Et quelle démarche a contribué à déterminer cette offre ?

    Programmation

    La rédaction du programme a été terminée en mai 1987, l'ouverture de la médiathèque a eu lieu en octobre 1993, soit six ans plus tard. Durant cette période il a fallu tenir compte des évolutions : du public, de l'arrivée de nouveaux supports, de la modification de la demande...

    Au moment où la médiathèque en est au stade de la programmation, il y a 110 000 habitants à Saint-Quentin-en-Yvelines dont 21 000 pour la commune dans laquelle elle sera construite. Actuellement il y a 145 000 habitants dans la ville nouvelle et 36 000 dans la commune d'implantation. Quand, sur la seule commune où se situe la médiathèque, il y a 15 000 habitants supplémentaires, nous ne pouvons ignorer notre environnement et les modifications auxquelles il est sujet.

    Du fait de l'installation de la médiathèque dans des locaux non prévus à cet usage il a fallu de surcroît modifier sensiblement le programme avant et aussi pendant la construction.

    Définition des services

    Qu'est-ce qui évite de transformer une médiathèque en pharmacie canadienne ou en auberge espagnole ? Il est vrai que la volonté est forte de vouloir chercher à créer de nouveaux services, si possible novateurs. Mais surtout novateurs si l'on privilégie l'effet d'annonce à la notion de service.

    Plus sérieusement, le principe même de la création d'un nouvel équipement contribue à se poser des questions sur le mode de fonctionnement, à se remettre en cause, à examiner avec un oeil critique les usages en vigueur. Toutefois, au-delà des principes d'innovation il y a les principes de réalité : budget, fonctionnement des services, perception par le public. Construire une médiathèque ce n'est pas nécessairement réaliser un service qui aura obligatoirement du succès ou qui sera facile à utiliser.

    Plusieurs perspectives ont déterminé ou orienté les choix à Saint-Quentin-en-Yvelines mais la volonté a toujours été de définir ces choix par rapport à une démarche globale, une orientation générale. Cette démarche s'appuie à la fois sur les missions et les fonctions d'une bibliothèque, sur les publics et sur la politique de lecture publique de la ville.

    La notion de médiathèque

    Cette notion s'impose très vite à Saint-Quentin-en-Yvelines. Elle recouvre bien une transformation de l'image de la bibliothèque, pour les professionnels comme pour les élus, même si derrière le terme les missions restent identiques.

    Pour les professionnels il s'agit d'un terme générique qui permet de grouper plusieurs services en « thèque ». Il est apparu à Saint-Quentin-en-Yvelines avec l'ouverture de la vidéothèque dans la médiathèque des Sept-Mares, auparavant identifiée comme bibliothèque-discothèque.

    Pour les élus il s'agit d'une rupture avec la notion de bibliothèque et surtout avec l'image qu'elle présente. Créer une médiathèque c'est faire acte de modernité, donner à la ville un outil actuel et nécessairement novateur.

    Dans les discours précédant l'ouverture de la médiathèque du Canal, c'est la taille de l'équipement et l'abondance de documents de tous types qui sont les éléments pensés comme représentatifs de cette notion de médiathèque.

    Enquête préalable

    Après la rédaction du programme, une étude a été réalisée auprès des habitants pour connaître leurs attentes en matière de lecture publique et plus précisément celles concernant une médiathèque.

    D'une part les habitants attendaient qu'une médiathèque soit autre chose qu'une bibliothèque, grâce à la multiplication des supports : livres, disques, cassettes vidéo. Et d'autre part, ils espéraient une offre diversifiée de services : une halte-garderie, une salle d'exposition, un laboratoire de langues, une salle de conférence, la mise à disposition d'ordinateurs/logiciels, une salle de visionnement.

    En fait, grâce à cette enquête, nous savions que la médiathèque devait proposer deux types de service différents :

    • les services rendus par une bibliothèque classique (prêt et consultation de livres pour adultes et pour enfants) ;
    • les services liés à l'acquisition de nouveaux savoirs (laboratoire de langues étrangères, informatique).

    Cet établissement était perçu comme un lieu qui devait concentrer savoir et information, mais en outre la demande des futurs usagers intégrait bien les conditions d'accessibilité à ces contenus et cela par l'intermédiaire de nouveaux supports. Les résultats de cette enquête furent utilisés dans le choix de services surtout quand il fallut se déterminer entre logithèque, artothèque ou formathèque, la place et les moyens manquant pour tout réaliser.

    Le très faible impact de l'artothèque auprès du public interrogé facilita son abandon au profit de la création d'une formathèque pour répondre aux attentes de formation. À l'avenir, ce service pourra se cumuler avec celui de logithèque.

    Politique de lecture publique

    Troisième axe qui suscite le contenu de la médiathèque : la politique de lecture publique. Il s'agit d'un projet d'établissement, rédigé en 1989 et validé par les élus, qui détermine les orientations stratégiques et les objectifs à atteindre pour les années futures :

    • renforcer les secteurs formation, information, documentation ;
    • créer un centre de ressources ;
    • développer la qualité du service et des collections et leur mise en valeur ;
    • communiquer (surtout sur le terme médiathèque).

    Ces orientations vont se concrétiser par des opérations particulières :

    • création d'un centre de documentation et d'information appelé « infodoc » ;
    • développement de cycles de conférences ;
    • mise en place de services de consultation sur place ou d'écoute ;
    • mise en place d'un service de consultation d'images (documentation par l'image) plutôt qu'une artothèque ;
    • amélioration de la qualité de l'accueil grâce à des formations adaptées.

    La ligne directrice qui intervient dans la création de services est clairement définie : la documentation et la formation. Par contre, le choix des supports est plus complexe puisque tous contribuent à cette documentation/formation. Or l'accumulation de supports hétérogènes nécessite des instruments de lecture sophistiqués - et leur durée de vie semble être de plus en plus courte, par suite de l'innovation technologique constante. Il est donc nécessaire de prendre des options sur la politique de gestion des collections qui auront nécessairement des conséquences sur l'avenir.

    Un exemple concerne les CD-ROM et les cassettes vidéo. Pour les uns comme pour les autres on annonce déjà leur remplacement par un nouveau mode de stockage. Faut-il dès lors continuer à acheter des cassettes vidéo ? Faut-il ralentir le rythme d'acquisition ? Pouvons-nous croire que les collectivités locales auront dans le futur les capacités d'investissement nécessaires à la constitution d'un nouveau fonds (avec les mêmes titres d'ailleurs) et au changement d'un matériel coûteux ? Il en est de même avec les cassettes audio, si la demande est bien réelle (baladeur, public enfant, autoradio), faut-il leur faire « doubler le fonds de CD?

    L'ouverture de la médiathèque du Canal a été un incontestable succès et l'affluence qui croît constamment est là pour nous le rappeler. Toutefois, nous pouvons nous poser la question de cette affluence, de cette gestion de flux abondant : cela concerne-t-il encore le métier de bibliothécaire ? Que devient ce métier ? La lecture de milliers de codes à barres dans une journée relève-t-il d'un nécessaire professionnalisme ? Que devient l'espace public ? Est-ce encore une médiathèque ou une grande surface de diffusion de produits culturels ? Sommes-nous dans la médiation ou dans la distribution ?

    Peut-être sommes-nous à l'amorce de choix rendus difficiles par la limitation des moyens, par l'évolution des techniques, par l'arrivée de services virtuels par le câble ou le réseau Internet mais rendus difficiles aussi par l'évolution du public ou plus simplement par son affluence. Certains services sont d'emblée condamnés car trop pointus, trop intimistes (pouvoir renseigner une personne un samedi pendant une demi-heure !). Pour cela avant même d'être confrontés à ces choix difficiles il nous a semblé nécessaire d'améliorer la relation entre le public et les collections, que ce soit par la qualité de l'accueil, de la médiation (même si elle est surtout écrite) ou du service. Avant de nous développer encore, il faut peut-être mieux ancrer notre réalité, et pour cela les usagers, quel qu'en soit le nombre, doivent pouvoir utiliser plus facilement la médiathèque. Il ne faut pas perdre de vue la notion de service public, c'est le seul cap qui peut nous conduire à surmonter nos contradictions ou celles que l'on nous impose.