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Un projet d'équipe propre à chaque collectivité

1996
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    Un projet d'équipe propre à chaque collectivité

    Par Danielle Taesch, Bibliothèque municipale de Mulhouse

    Mon propos restera relativement général, à la fois synthèse et résumé de ce qui aura été dit au cours de la journée. Il me semble que la médiathèque est un projet d'équipe propre à chaque collectivité. C'est une démarche culturelle qui s'enracine dans la vie locale et ce projet de médiathèque ne peut pas être le même d'une commune à l'autre, d'une région à l'autre parce qu'il y a une histoire dont il faut tenir compte, des contraintes : quand une nouvelle équipe municipale arrive au pouvoir, elle a eu des prédécesseurs, elle rencontre des difficultés financières, elle a des contraintes de temps, (elle est là pour six ans, mais elle ne sait pas combien de temps elle durera). Elle a aussi des atouts, un environnement et des réalisations précédentes. L'histoire d'une ville lui est propre et il faut être prudent dans l'établissement des comparaisons.

    En Alsace, par exemple, la bibliothèque de Colmar et la bibliothèque de Mulhouse n'auront pas du tout le même avenir parce qu'elles n'ont pas la même histoire.

    C'est aussi un projet qui s'inscrit dans une volonté politique. Depuis la fin des années quatre-vingt, les équipes municipales qui sont arrivées en place sont des équipes relativement jeunes, elles ont eu envie de démontrer qu'elles étaient capables d'entreprendre et ont eu des réflexions globales sur leurs villes. Il y a plusieurs exemples de projets de villes, réels, avec des orientations et des objectifs définis clairement dans lesquels la médiathèque ou la bibliothèque va pouvoir s'insérer. Je prendrai l'exemple de Mulhouse où la volonté politique s'est traduite d'abord par la décision du Conseil municipal en 1947 de créer un réseau de bibliothèques, de quatre bibliothèques. L'équipe municipale a connu une continuité de près de trente ans, ce qui a permis de poursuivre l'action.

    La nouvelle municipalité élue en 1989, décide d'un projet de ville, avec des orientations très précises dans lesquelles le réseau des bibliothèques s'intégrait ou disparaissait. Avec une volonté politique affirmée, la médiathèque devient un outil de promotion pour la ville et aussi un outil de développement. C'est enfin une démarche qui est une recherche d'identité, la médiathèque devenant très souvent le pivot de l'action culturelle. Elle constitue en effet un repère visuel par son bâtiment. Elle est une référence au passé, avec les missions touchant la mémoire, et une référence à l'actualité avec sa mission d'information. Elle apparaît aussi très souvent comme une garantie de liberté, et on peut dire qu'à l'heure actuelle, la médiathèque est ressentie comme une nécessité et une priorité de l'action culturelle pour les villes.

    La médiathèque, c'est aussi un projet architectural, avec un bâtiment, un projet d'architecte. On a vu que toutes les nouvelles médiathèques ouvertes récemment ont été confiées à des architectes de renom. C'est une opération de prestige pour la ville qui pose la question de savoir si le bâtiment répondra simplement à une conception architecturale ou aura une réalité fonctionnelle. De nombreux collègues se sont heurtés à des difficultés de fonctionnement par rapport à des bâtiments qui étaient des repères visuels forts, des projets d'architecte intéressants, mais qui fonctionnellement étaient difficiles à gérer. Et se rajoutent les moyens de fonctionnement que l'architecte, très souvent, méconnaît complètement. Un projet architectural, c'est un bâtiment, mais ce sont aussi des espaces à organiser, qu'ils soient sectorisés ou non. Il y a des circulations à prévoir et des volumes à faire fonctionner, et bien sûr un aménagement intérieur à imaginer. Le mobilier est-il intégré au bâtiment ? Beaucoup d'architectes ont des idées très précises sur le mobilier qu'ils souhaitent intégrer au bâtiment. Or, un mobilier non modulable rend l'évolution des services difficile et risque de figer la fonction d'accueil, pourtant essentielle dans une bibliothèque.

    La médiathèque comme projet global

    Pour les professionnels, je dirais que la médiathèque est un état d'esprit. Je m'explique : elle repose sur une politique d'ensemble et c'est une problématique dont il est question dans la profession. La médiathèque est-elle un projet global conçu comme un tout ou une juxtaposition de services, "une strate de thèques ? Et ce projet peut concerner un bâtiment ou un réseau dans une ville plus grande. À l'intérieur d'un bâtiment, les contraintes architecturales, les contraintes de niveau devront être prises en compte. La médiathèque comme projet global aura une organisation décloisonnée malgré les cloisonnements physiques. La cohérence d'un réseau et des actions est à ce prix.

    Au moment où la médiathèque centrale s'ouvre, il est nécessaire de se poser la question du fonctionnement des bibliothèques de quartier ou des annexes qui existent. La réalisation d'un nouveau bâtiment doit s'intégrer dans le réseau. Veiller à la cohérence d'un réseau, c'est aussi se demander si on aura une médiathèque centrale, et des bibliothèques de quartier qui vont devenir elles aussi des médiathèques en réduction ou si c'est le réseau de bibliothèques tout entier qui devient médiathèque, avec des fonctions et des orientations précises selon les lieux. C'est une question importante, vitale même pour l'avenir.

    Une médiathèque est donc un projet d'ensemble, une organisation décloisonnée, dans les esprits du moins. Il peut y avoir des salles fermées ou qui s'enchaînent les unes aux autres, mais des interactions entre les services (plutôt qu'une autonomie négative dans un esprit de concurrence) permettront de remédier au système bibliothèque adulte/bibliothèque jeunesse/discothèque, vertical et étanche d'une section à l'autre. Une organisation décloisonnée n'est ce pas dans un projet global, un travail sur les publics, un travail sur les missions, sur les orientations qu'on va se donner plutôt que sur les supports ? On s'interroge sur la polyvalence ou la spécialisation du personnel ; il me semble que dans un projet global de médiathèque, la polyvalence des personnels est nécessaire.

    Cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas recruter de vidéothécaires ou de discothécaires, de bibliothécaires spécialisés jeunesse. Non bien sûr, cela veut dire que ces différents secteurs doivent travailler ensemble et que les personnels peuvent bouger. On n'est pas bibliothécaire pour la jeunesse à vie et on n'est pas discothécaire à vie non plus. Et quand on travaille dans une médiathèque où les supports sont mélangés, on a forcément affaire à tous les types de documents.

    Enfin, un projet global repose sur une logique, une logique de partenariat, une logique de service à l'intérieur d'un bâtiment. Si l'on veut être intégré à un projet culturel, il faut aussi avoir cette logique de partenariat avec les autres acteurs culturels potentiels. Si l'on n'apprend pas à travailler avec les autres, on ne peut pas développer les médiathèques.

    La première question sera celle de la définition des missions des médiathèques, les missions liées à l'histoire ou à la mémoire, les missions qui peuvent être liées aux collections, d'autres missions qui sont plus liées aux publics : les bibliothèques outils de formation ou lieux de démocratisation du savoir, et puis toutes ces missions naissantes dont on a parlé, l'outil social en particulier, ou l'outil pédagogique qui reprend de plus en plus de place. Il est clair que les médiathèques ne peuvent pas remplir toutes ces missions, et qu'il faut faire des choix ! Des bibliothèques dans des villes de 20 000 habitants ou de 100 000 habitants n'auront pas exactement les mêmes missions et une bibliothèque qui a une histoire patrimoniale importante n'aura pas non plus les mêmes priorités qu'une bibliothèque dans une ville nouvelle.

    Travailler par objectifs

    Une fois qu'on a privilégié un certain nombre de missions on va pouvoir travailler par objectifs car la médiathèque, ce sont aussi des objectifs, c'est-à-dire des axes de travail, pour décloisonner les services. Au lieu de travailler de façon verticale, mettre en place des axes de travail transversaux permet effectivement de partager des expériences, de dynamiser le travail. Un exemple peut illustrer cette démarche : on a beaucoup parlé des adolescents ou de la place des jeunes dans la bibliothèque. Ils ne sont pas la priorité d'une section ou d'un service. Cela concerne l'ensemble des services parce que les adolescents se retrouvent à la section jeunesse, mais aussi à la section adulte, et même à la section patrimoniale quand il y en a une, et dans les sections études quand il y en a, et dans les secteurs audiovisuels. Réfléchir à la place des ados dans la bibliothèque, c'est un axe de travail transversal qui va permettre à la section jeunesse, à la section adulte, à la section audiovisuelle de travailler ensemble sur des points précis, ce qui est une chose importante.

    Si on veut avoir des objectifs, il faut aussi une gestion rationnelle. Des ressources humaines tout d'abord, c'est difficile, mais la redéfinition des fonctions s'impose. Qu'est-ce qu'un bibliothécaire en 1995 ? Travailler sur les profils de poste est très instructif, y faire participer le personnel qui a une fonction précise à la bibliothèque et lui demander de formaliser ce qu'il fait, comment il le fait, le temps qu'il y passe. On s'aperçoit que la participation du personnel est acquise à beaucoup de choses.

    Gérer rationnellement, c'est aussi évaluer les résultats. Le contrôle de gestion est entré désormais dans beaucoup de bibliothèques et c'est un bon outil qui permet de savoir où on en est, et pourquoi on le fait. Gérer rationnellement, c'est aussi travailler par délégation ce qui responsabilise les personnels et permet de formaliser les attentes. La médiathèque, c'est une équipe de travail et pour qu'elle soit optimale, il vaut mieux qu'elle soit soudée. Une équipe de travail avec une répartition des tâches et une organisation par objectifs avec une équipe de direction pour impulser et coordonner les actions avec l'équipe municipale. Une équipe de direction, cela sous-entend des réunions de travail régulières, une transparence par rapport à un certain nombre de décisions qui sont prises, et des secteurs d'intervention transversaux.

    S'il y a une équipe de direction, il faut aussi qu'il y ait des chefs d'équipe, qui doivent être des relais, relais responsables d'un secteur, de bibliothèques de quartier. Qui soient responsables et responsabilisés : donc à qui on donne une autonomie de manoeuvre dans leur secteur ou dans leur bibliothèque, avec un budget, avec un certain nombre de définitions mais auxquels on a donné au préalable une formation. Si on veut travailler en transparence, si on veut que le personnel soit responsable il faut qu'il sache de quoi il s'agit. La mise en place d'un plan de formation est une des composantes essentielles.

    Et quand on a une équipe de travail, la mise en place de groupes de travail fait beaucoup avancer les choses, des groupes de travail qui sont thématiques et qui contribuent au décloisonnement entre les services. Ces groupes de travail peuvent être temporaires, avec un objectif qui leur a été assigné. Et une fois cet objectif atteint, le groupe de travail peut ne plus exister. Un projet d'équipe, c'est une démarche et une attitude.

    Médiateur : une nouvelle définition du métier

    Dans les médiathèques, les bibliothécaires deviennent des médiateurs avec une nouvelle définition du rôle et du métier de bibliothécaire dans la mise en relation des collections et d'un public. Aujourd'hui, les postes et les fonctions restent définis par rapport à la gestion des collections et non pas par rapport aux capacités de médiation dont on fait preuve avec le public. Or, l'efficacité de la médiation repose à l'intérieur des locaux à la fois sur l'accueil du public et sur l'organisation des collections. Si on veut que la médiathèque soit intégrée dans un projet culturel plus vaste, et c'est le sens du partenariat, c'est par cette médiation avec les différents acteurs culturels que cela sera possible.