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Organisation et mise en espace des connaissances

1996
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    Organisation et mise en espace des connaissances

    Par Bruno Carbone, Médiathèque de La Rochelle

    La Rochelle, ville de 72 000 habitants (1) , est depuis mars 1993 le siège d'une université de plein exercice (6 000 étudiants actuellement, 10 000 prévus en l'an 2000) et disposera d'une bibliothèque universitaire. La médiathèque est réalisée dans le cadre de la Communauté de villes de l'agglomération de La Rochelle (122 500 habitants) qui la finance avec l'aide de l'État au titre des bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR).

    L'actuelle bibliothèque centrale est une bibliothèque de type traditionnel, aménagée dans un ancien palais épiscopal également occupé par le musée des Beaux-Arts au deuxième étage. Elle est constituée d'une section d'études au premier étage et d'un embryon de lecture publique au rez-de-chaussée du même bâtiment. Elle dispose cependant de l'une des premières bibliothèques pour la jeunesse, inaugurée en 1936. Autour de cette bibliothèque centrale, un réseau de lecture s'est constitué progressivement avec trois annexes de quartier ainsi que l'une des premières bibliothèques d'hôpital en France, mise en service en 1936. Dans les années quatre-vingt, une modeste annexe de quartier a cédé la place à une médiathèque de 1 500 m2conçue selon le schéma traditionnel et cloisonné que prônait à l'époque la Direction du livre : lecture publique enfant, lecture publique adulte, discothèque et vidéothèque de consultation. L'extension et le rajeunissement du réseau ont également été recherchés à travers la mise en place d'une arto-thèque, la constitution d'un Centre de documentation des arts du spectacle dans le cadre de la Maison de la Culture, aujourd'hui Scène nationale, et la mise en service de deux bibliobus.

    Bibliothèque universitaire et médiathèque centrale

    Le projet de construction d'une médiathèque centrale à La Rochelle remonte au début des années quatre-vingt. Un premier site avait d'ailleurs été choisi, et un concours d'architecture organisé en 1984, pour un projet qui n'a pas vu le jour. Les bâtiments entourant un ancien cloître ont ensuite été achetés par la ville en 1988, pour être rénovés et transformés en médiathèque (2) . Le projet tardait à se réaliser lorsque le développement de l'université est venu changer les données du problème, en 1992.

    Afin de mieux intégrer l'université à la ville et d'échapper au phénomène de campus, Michel Crépeau, maire de La Rochelle et président de la Communauté de villes de l'agglomération de La Rochelle (l'une des trois communautés de villes de France !) a souhaité que le projet de bibliothèque universitaire et de médiathèque municipale puisse se réaliser sur un site unique et que l'intégration de certaines fonctions soit étudiée. C'est en effet la Communauté de villes qui, dans le cadre du contrat Université 2000 propose le terrain de construction de la bibliothèque universitaire.

    Une première réflexion s'est engagée. Elle a abouti au choix d'un nouveau site, avec vue sur le port de La Rochelle et ses tours, ainsi qu'à la rédaction d'un schéma de programme bibliothèque universitaire/ médiathèque municipale (mars-mai 1992). Les changements politiques intervenus en 1993, avec la disparition du ministère commun Éducation/Culture, ainsi que des raisons de politique locale, ont conduit la Communauté de villes à maintenir le choix d'un site unique pour deux projets juxtaposés, réalisés par deux équipes d'architectes distinctes, mais constituant un objet architectural unique quant à l'aspect extérieur. Le projet de construction de la bibliothèque universitaire est géré par le ministère de l'Éducation nationale via le rectorat de Poitiers. La mise en place de ces équipements reste inscrite dans un schéma général de développement urbain qui implique une évolution du centre ville traditionnel.

    La construction de la médiathèque ainsi que celle de la bibliothèque universitaire a démarré en juillet 1995 et s'achèvera fin 1996.

    De la médiathèque

    Bien souvent, la mise en place d'un projet de médiathèque s'appuie essentiellement sur le souci des professionnels d'offrir aux lecteurs des locaux plus vastes, plus confortables, bien situés dans l'agglomération, présentant différents types de documents en plus grand nombre. Mais l'on oublie bien souvent que toute bibliothèque reflète la société qui l'a construite, un état du savoir, une vision du travail intellectuel (3) -. Une réflexion préalable en ce domaine est indispensable pour qu'un projet trouve toute sa justification aussi bien sur le plan culturel que sur le plan économique et social. Bien sûr cette remarque vaut, quelle que soit la taille du projet.

    La réflexion sur le programme de la médiathèque centrale est partie de l'existant, déjà évoqué, de la place de l'information dans un siècle où la matière grise sera la source principale de valeur ajoutée et d'emplois ainsi que de l'évolution des pratiques culturelles et des loisirs.

    Un axe fort sur le son, l'image, les arts et les arts du spectacle (le son et l'image étant compris ici dans un sens artistique et non pas documentaire) s'est imposé immédiatement. Il convenait d'équilibrer ce premier axe avec les sciences et les techniques, la littérature et enfin les sciences humaines et sociales, de façon à composer quatre grands espaces thématiques structurant un ensemble encyclopédique et multisupport.

    En 1992, c'est-à-dire vers la même époque, la bibliothèque municipale de Lyon réfléchissait à ce qu'elle a appelé la départementalisation, cependant qu'un groupe de travail mis en place par la Direction du livre avec Jean Goasguen mettait également en avant cette notion d'espaces thématiques pour la développer dans un ouvrage sur la Médiathèque qui doit paraître aux éditions du Moniteur. À l'époque, totalement investis dans notre propre projet, nous ignorions que des réflexions convergentes s'organisaient et nous n'avons pas eu l'occasion d'y réfléchir ensemble. Cette convergence tient sans doute au bilan que, les uns et les autres, nous avons été conduits à faire de la médiathèque des années quatrevingt - qu'il convenait de dépasser sur le plan conceptuel.

    Médiathèque et hypertexte

    L'organisation de la médiathèque en grands espaces thématiques ne doit pas déboucher sur la juxtaposition de bibliothèques spécialisées. Aussi la notion de relations entre les espaces devient très importante et doit trouver sa traduction architecturale afin que les usagers puissent circuler librement d'un espace à l'autre et que le projet d'ensemble garde sa cohérence. Ces espaces doivent, si possible, être visibles d'un niveau à l'autre par la recherche d'une certaine transparence (puits de lumière ou toute autre solution architecturale) permettant à un usager situé dans un espace d'apercevoir d'autres espaces où il aura le désir de se rendre. Des circulations parallèles viendront compléter les circulations principales. L'équipe d'architectes retenue pour réaliser la médiathèque de La Rochelle a de ce point de vue remarquablement bien interprété l'esprit du programme.

    On retrouve ainsi l'esprit de Diderot et d'Alembert qui, dans le Prospectus de l'Encyclopédie, traitaient « des branches générales des connaissances humaines », des points qui les séparent » et des » routes secrètes qui les rapprochent », et précisaient également que celui de tous les arbres encyclopédiques qui offrirait le plus grand nombre de liaisons et de rapports entre les sciences mériterait sans doute d'être préféré (4) ».

    Nous ne sommes pas très éloignés non plus de Montaigne dans sa librairie lors-qu'il écrivait, non sans coquetterie : « Là, je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein à pièces décousues, tantôt je rêve, tantôt j'enregistre et dicte en me promenant mes songes que voici (5) ,. En réalité, ces déplacements au sein de la librairie de Montaigne ou au sein de la médiathèque sont le propre d'une recherche, parfois inconsciente, mais le plus souvent tout à fait cohérente tant sur le plan intellectuel que sur le plan humain.

    Avec le développement du multimédia et de la numérisation, des recherches se sont développées sur la notion d'hypertexte. Les informations sont organisées en éléments reliés entre eux dans un réseau au sein duquel on peut effectuer des parcours multiples et non séquentiels. Les ensembles clos et hiérarchisés sont ainsi remplacés par des systèmes ouverts qui n'imposent pas de parcours prédéfinis et immuables (6) .

    À l'image du multimédia, la médiathèque se doit d'intégrer au sein des mêmes espaces les différentes formes d'expression : son, image, texte et multimédia, en faisant disparaître tous les cloisonnements artificiels établis jusqu'alors. La réflexion sur le multimédia rejoint ainsi la réflexion sur la médiathèque et cela n'est pas très étonnant puisque dans les deux cas il s'agit de réfléchir à l'organisation des connaissances. Il s'agit également de trouver le meilleur moyen d'accéder à ces connaissances et de favoriser leur développement.

    Bibliothèques encyclopédiques et bibliothèques spécialisées...

    Comme l'écrit Joël de Rosnay : « Après le temps des gens cultivés sachant un rien sur tout, après l'ère des spécialistes qui, eux, savent tout sur un petit rien, voici venu le temps des passeurs, aptes à tirer des corrélations entre les choses Il Il serait par conséquent dangereux d'abandonner la vocation encyclopédique des grandes médiathèques pour les transformer en bibliothèques spécialisées, juxtaposées. L'organisation en grands axes thématiques permet de maintenir l'unité de l'ensemble, de l'organiser et de le structurer.

    En une période de désintégration idéologique et culturelle ou d'envahissement de loisirs abêtissants, la médiathèque doit être un outil d'intégration et de recomposition des connaissances, des pratiques culturelles et des loisirs, dans toute leur unité, leur diversité et leur interrelation.

    1. L'intervention faite lors de la journée Médiathèque ayant été développée depuis dans un article publié dans le Bulletin des bibliothèques de France (1995, n° 3, pp. 27 à 33), Bruno Carbone a préféré n'en reprendre ici que certains aspects. retour au texte

    2. Ces bâtiments sont devenus depuis le siège de la Communauté de villes. retour au texte

    3. La matérialité même des livres, l'économie de leur accumulation et de leur mise en ordre, les stratégies de maîtrise et de réduction de leur accroissement, autant de facteurs qui génèrent des effets intellectuels propres, et font de la bibliothèque l'un des lieux centraux de toute histoire culturelle. Christian Jacob, in Libération, 14 novembre 1993. retour au texte

    4. Discours préliminaire de l'Encyclopédie / D'Alembert. - Gonthier, 1965. p. 59. retour au texte

    5. Les Essais Des trois commerces / Montaigne. retour au texte

    6. Réflexion sur l'Hypertexte / Jean-Louis Lebrave in Culture et Recherche, n° 51, février 1995 ; - La bibliothèque virtuelle. / Yannick Maignien in Bulletin des bibliothèques de France, n° 2, 1995, pp. 8-17 et Numérisation et nouvelles pratiques de lecture - / Yannick Maignien et Jean-Didier Wagneur in Bulletin d'informations de l'ABF, n° 167, 2" trimestre 1995. retour au texte