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Entretien avec les Directeurs de la Bibliothèque nationale de France

2000
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    Entretien avec les Directeurs de la Bibliothèque nationale de France


    ABF. - Nous tenons d'abord à vous remercier de votre accueil. Il y a un certain temps que le Bulletin de l'ABF n'a pas été consacré à la Bibliothèque nationale ; le dernier numéro dédié à la BnF était celui du Congrès de 1996, qui avait eu lieu ici même et dont le thème était « De la plus grande à la plus petite ». Quatre ans ont passé, et il était souhaitable de faire le point sur la Bibliothèque nationale de France. Il paraissait logique d'entendre les membres de la direction générale non pas sur les problèmes internes, comme nous vous l'avons écrit - le rapport Poirot l'a fait -, mais surtout par rapport au réseau des bibliothèques françaises afin d'assurer une certaine continuité avec le Congrès de 1996.

    Nous souhaitons vous entendre sur la politique de l'établissement au regard des bibliothèques françaises, de leur intégration, de leur partenariat, tous ces mots qui pour nous signifient quelque chose d'important. Nous nous permettons d'évoquer le passé en citant un texte de Julien Cain.

    « Le personnel de la Bibliothèque nationale ne manque pas non plus d'apporter son concours aux associations professionnelles qui ont, du reste, leurs centres d'activité au sein de la Bibliothèque. Un grand nombre de nos bibliothécaires et conservateurs sont membres de l'Association des bibliothécaires français et font notamment partie des commissions qui établissent des listes critiques de livres ; on a vu [...J qu'ils apportent leur concours à l'enseignement que l'ABF dispense. »

    Nos interrogations sont en continuité avec cette époque-là ; les questions que nous poserons sont celles-là mêmes que vous avez reçues dans notre courrier ; nous espérons que vous n'aurez pas trop de surprises.

    François Stasse. - Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de ce numéro que vous consacrez particulièrement à la Bibliothèque nationale de France.

    La permanence des missions

    ABF. - Depuis sa création, plusieurs législations et réglementations ont donné à la BN, puis à l'Établissement public, puis à la Bibliothèque nationale de France des missions qui sont en relation directe avec le réseau des bibliothèques françaises. Comment voyez-vous leur permanence sur les cinquante années passées, peut-être seulement sur les trente dernières, ainsi que leur évolution aujourd'hui dans le contexte fixé par le ministère de la Culture et de la Communication ?

    F.S. - La première chose à dire, et qui est un faux truisme, est que nous sommes la bibliothèque nationale de ce pays. En effet, si vous observez les pays anglo-saxons, vous constatez que la place des bibliothèques nationales n'y est pas la même que celle qu'occupe, pour des raisons historiques, la Bibliothèque nationale de France. Dans ces pays, je pense en particulier à la Grande-Bretagne et aux États-Unis, il y a, à côté de la bibliothèque nationale, de très grandes bibliothèques universitaires qui jouent vis-à-vis du monde de la recherche un rôle quasiment équivalent à celui de notre BN. C'est ce qui explique que nos amis et collègues de la British Library aient pu, au cours de leur déménagement de Bloomsbury à Saint Paneras, fermer leur bibliothèque pour une durée beaucoup plus longue que celle que la BN s'est autorisée, sans provoquer un collapsus dans le travail des chercheurs. En France, les bibliothèques universitaires sont relativement pauvres si on les compare à leurs équivalentes étrangères. La BnF joue de ce fait un rôle plus central qu'à l'étranger au regard des missions de documentation et de conservation.

    Cela étant, l'évolution des bibliothèques va dans le bon sens. D'autres grandes bibliothèques sont en train de se développer, et leurs moyens financiers s'améliorent par rapport au passé, ce qui permet un élargissement de la politique de réseaux avec des partenaires solides et importants - nous nous en réjouissons. Il faut par ailleurs placer cette réflexion dans le cadre de la révolution technologique du numérique, d'Internet. Elle rend possible l'ouverture des portes virtuelles de la BnF à un public beaucoup plus large qu'autrefois, quand la seule manière d'accéder à cette bibliothèque était de s'y rendre physiquement. Ce sont là des perspectives nouvelles formidables.

    Daniel Renoult. - La permanence des orientations de la Bibliothèque nationale pendant ces cinquante dernières années est réelle, même si les changements en cours sont nombreux et fondamentaux. Si vous lisez les rapports successifs de la BN, vous constaterez qu'elle a toujours participé à la formation professionnelle. La manière d'y contribuer aujourd'hui s'est modifiée, car les structures et les lieux de la formation ont changé. Dans les activités de formation, dans celles de normalisation notamment de l'indexation et du catalogue, qui ont commencé il y a une cinquantaine d'années, les animateurs, les experts ont souvent été des conservateurs de la BN. Autre domaine de permanence : les catalogues collectifs, même s'ils ont évolué dans leur technique et dans leur conception. À peu d'années près, l'IPPEC ou le CCOE ont vu le jour il y a cinquante ans, en 1952. Aujourd'hui, après des années de tâtonnements, où une partie des bibliothèques françaises attendaient une formule de catalogue partagé, la BnF gère le projet de Catalogue collectif, conçu comme un outil de localisation via Internet. Par ailleurs, le développement des pôles associés a créé une dynamique de collaboration scientifique. Tout cela va dans le sens de la continuité par rapport aux grandes missions nationales de la BnF.

    ABF. - Quelles sont les orientations prioritaires que vous donne le ministère de la Culture ?

    F.S. - Dans le prolongement de notre décret fondateur de 1994, les priorités sont liées à la nouveauté du site François-Mitterrand et aux perspectives de l'arrivée de l'Institut national d'histoire de l'art sur le site de Richelieu. Sur le premier point, il faut achever le projet du site François-Mitterrand dans ses différents aspects de constitution de collections, de fourniture de services sur place et à distance, et revoir l'aménagement de certains locaux. Rue de Richelieu, il convient de développer les richesses des différents départements spécialisés et de mieux les faire connaître. Pour un grand nombre d'entre eux, qui auront des liens avec l'Institut national d'histoire de l'art, il faut réfléchir avec nos collègues de cette institution sur la manière de coopérer en harmonie.

    Organigramme

    ABF. - Nous souhaiterions une information qui pourrait sembler triviale mais qui est inestimable pour nous bibliothécaires : c'est l'organigramme de l'établissement, c'est-à-dire connaître les services, les sous-services... Nous souhaiterions le publier dans le Bulletin, car il est un facteur favorable à de meilleures relations entre la BnF et les autres bibliothèques. Il y a pour nous un souci de comprendre comment fonctionne ce très grand établissement.

    F.S. - Cet organigramme est facile à consulter : il figure dans le Bottin administratif. Pour répondre à votre souhait, nous vous donnerons un document plus détaillé.

    Mission de conservation et de mise à disposition des documents électroniques

    ABF. - Vous avez des obligations d'exhaustivité, de conservation, il y a aussi les obligations de mise à disposition. Comment envisagez-vous ces missions par rapport aux autres bibliothèques et quels sont les bénéfices que les recherches de la BnF peuvent apporter à l'ensemble des bibliothèques françaises ?

    F.S. - La difficulté vient, bien sûr, de ce que le savoir devient protéiforme. En ce qui concerne les imprimés, la situation reste satisfaisante même si l'on peut s'interroger sur le nombre d'exemplaires déposés. S'agissant des documents issus des nouvelles technologies, la situation est plus complexe car les habitudes ne sont pas prises. Qu'est-ce qu'un document électronique digne d'être conservé dans la mémoire nationale, sachant que ces documents sont modifiables minute par minute ? Sur le plan conceptuel, le débat est encore ouvert pour ce qui est de connaître l'équivalent électronique de l'imprimé dont on a l'expérience depuis plusieurs siècles.

    D.R. - Sur la conservation des données numériques, la BnF est engagée dans une réflexion au plan international car les moyens à mettre en oeuvre seront considérables. Nous nous appuyons notamment sur les travaux effectués aux Pays-Bas, en Allemagne, et sur ceux du Research Libraries Group, dont la BnF est membre à part entière depuis 1999. Par ailleurs, le Département de la bibliothèque numérique a commencé une expérience concernant un certain nombre de sites Web français utilisant plusieurs méthodes de récolte. Sur le plan de la méthode, la BnF devra traiter les documents électroniques comme les autres documents. Le problème sera de collecter avec discernement et de conserver le mieux possible ces documents dès lors que la décision aura été prise de les faire entrer dans les collections nationales.

    F.S. - Le problème de la conservation des données numériques est un souci pour tous. Assurer la conservation à court terme est possible, mais nous sommes avant tout responsables du moyen terme et du long terme.

    Les publications

    ABF. - La mission scientifique de la BN a été marquée par la publication de grandes bibliographies. Continuerez-vous à les publier sous la forme papier ? Les mettrez-vous sur des sites Web ? Avez-vous des priorités ? C'est là un service important pour les chercheurs et les bibliothécaires.

    F.S. - La mise sur le Web de la base BN-Opale Plus a été réalisée au printemps 1999. Notre stratégie est de rendre disponible l'ensemble de nos bases bibliographiques sur Internet. Cela n'implique pas la suppression d'éditions sur papier ou sur cédérom, mais la recherche d'une nouvelle répartition entre ces formes de publication. Jacqueline Sanson. - Des catalogues et répertoires dont la Bibliographie annuelle de l'histoire de France se font au sein de la Bibliothèque. Un conservateur BnF est détaché depuis deux ans sur la Bibliographie d'histoire littéraire de la France. Nous participons à la Bibliographie internationale d'histoire du livre: nous y contribuons comme les autres bibliothèques nationales. La Bibliothèque produit aussi de grands catalogues scientifiques (répertoire des imprimeurs libraires, catalogues de manuscrits, inventaires d'estampes...). Pour chacune de ces publications, il y a un débat : continuons-nous la forme papier ou passons-nous à l'édition en ligne ? Pour ces grandes publications, il faudrait une formule moyenne, avec numérisation à la carte. Une certaine souplesse est indispensable.

    ABF. - Qu'en est-il du Catalogue de l'histoire de France?

    J.S. - Il n'est plus de mise au-jourd'hui de le poursuivre sous son ancienne forme. Les accès en ligne, la double indexation, consolidée par une indexation propre à l'histoire de France, sont des éléments d'aide à la recherche qui présentent des avantages par rapport à l'ancienne formule.

    ABF. - On parle de la numérisation du Catalogue des manuscrits. Est-ce un bruit qui court ou un souhait ?

    J.S. - La numérisation des catalogues des grands fonds fait partie de la politique de la Bibliothèque ; ce serait utile pour l'extérieur et pour l'ensemble des départements en interne. Mais c'est évidemment une tâche très lourde, qui prendra du temps.

    La coopération et le partenariat ; les pôles associés

    ABF. - Le décret fondateur de la BnF souligne un objectif de coopération avec les bibliothèques françaises et étrangères. La coopération est-elle à sens unique, de la plus grande à la plus petite, ou bien imaginez-vous un partenariat à double sens ? Comment voyezvous la BnF au sein de la carte documentaire nationale ?

    F.S. - Nous sommes mandatés pour développer ce réseau de pôles associés, et il se développe de manière active afin d'assurer la complémentarité de l'offre documentaire. Cette politique de complémentarité est facilitée par la révolution numérique, dans la mesure où des instruments tels que le Catalogue collectif de France mettent à la disposition du public une offre beaucoup plus large.

    D.R. - La couverture documentaire par les grandes bibliothèques françaises de l'ensemble des disciplines demeure un objectif permanent des ministères de la Culture et de l'Éducation nationale. L'objectif est de parvenir à une couverture de la documentation de recherche, ce qui conduit la BnF à travailler avec des bibliothèques qui sont des pôles d'excellence dans une ou plusieurs disciplines. Pour certaines disciplines, la psychologie par exemple, il manque encore des pôles associés et des Cadist. Les nouveaux champs de la recherche scientifique, comme actuellement les sciences cognitives, ne sont pas non plus couverts par notre dispositif. Ces nouvelles disciplines ne s'inscrivent d'ailleurs pas dans nos classifications des connaissances, lesquelles datent énormément.

    Notre deuxième orientation pour les pôles associés réside dans le soutien financier apporté aux bibliothèques municipales qui ont la régie du dépôt légal imprimeur. Durant l'an 2000, nous établirons des conventions avec les bibliothèques d'Angers, de Bordeaux, de Châlons-en-Champagne et de Mar-seille. Il en restera à conclure avec la Réunion et la Polynésie française pour compléter le réseau qui aura été monté entre 1997 et 2001.

    Par rapport aux bibliothèques, une autre des grandes missions de la BN est la mission bibliographique. La BnF s'efforcera de mieux diffuser ses produits, et Internet ouvre des possibilités plus grandes que précédemment. La BnF va prendre d'autres initiatives dans les années qui viennent. L'accès au document lui-même sera facilité : les bibliothèques connectées sur Internet ont un accès direct à Gallica 2000, qui comprend 35 000 ouvrages libres de droit et un grand nombre d'images.

    ABF. - Il y a des grandes bibliothèques qui sont hors des ministères de la Culture ou de l'Éducation nationale, comme celles des administrations centrales, des grands corps de l'État, des armées, ou même les bibliothèques religieuses. Seront-elles un jour dans le projet des pôles associés ?

    D.R. - La notion de « pôle associé » ou de convention ne connaît pas de frontières administratives. La BnF est par exemple en relation avec l'Institut français du pétrole. Les bibliothèques pôles associés sont ouvertes au public, utilisent des techniques normalisées qui permettent de comparer leurs fonds avec d'autres, pratiquent la fourniture de documents et participent au Catalogue collectif de France. Ce sont là nos critères de coopération, qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé.

    J.S. - Un énorme travail se fait à la BnF avec ces bibliothèques. Nos spécialistes coopèrent avec certaines bibliothèques, par exemple avec le Saulchoir. Il n'est pas nécessaire d'établir un contrat en bonne et due forme ; on peut envisager des rencontres thématiques, avec des échanges d'information sur la politique d'acquisition par exemple. Un grand changement est intervenu dans l'organisation de la BnF, lors de l'abandon de sa division imprimés et périodiques au profit d'une organisation thématique. Il faut souligner que, pour chaque spécialité, une coopération informelle avec les bibliothèques spécialisées dans les domaines thématiques est possible sans requérir un comité de pilotage.

    ABF. - Une des missions de la BnF serait-elle d'établir des relations thématiques entre des secteurs de la BnF et différentes bibliothèques même si certaines d'entre elles n'étaient pas réellement des pôles associés ?

    D.R. - Sur ce point, Jacqueline Sanson vient de préciser que nos relations scientifiques n'ont pas toujours besoin d'un fort support institutionnel. La période des réseaux à plusieurs niveaux est un peu révolue. Le réseau Internet permet en effet des relations multilatérales non hiérarchisées. Vue par les usagers, la relation avec les autres bibliothèques se fait aussi sous forme de «rebonds». Grâce au Catalogue collectif de France, on crée de plus en plus des liens sur les sites Web.

    J.S. - La BnF peut faire des propositions, les autres bibliothèques aussi. De nombreuses entreprises peuvent se faire en coopération. Les sollicitations n'émanent pas seulement de la BnF, elles viennent aussi des Régions : la Bibliothèque entend être ouverte.

    ABF. - Bien que ce ne soit pas inscrit dans la convention, ne pourrait-on se poser la question de la possibilité d'un travail de furetage qui serait confié aux pôles associés du dépôt légal imprimeur, sur leur région, en vue d'établir un partenariat réel avec l'équipe des Signets BnF ? C'est ce type de questions que nous nous posons. La BnF apporte beaucoup. Dans quelle mesure, dans le cadre d'un maillage décentralisé, les bibliothèques mettant leurs compétences à disposition peuvent-elles participer à la constitution d'une base bibliographique numérique plus riche ? Auriez-vous comme objectif de développer ce travail en commun ?

    J.S. - Dans notre période, qui est caractérisée par des évolutions très rapides, le brassage des idées est plus que jamais indispensable. Nous avons été très mobilisés par les ouvertures de nos salles, mais ces prochaines années la BnF élargira sa coopération avec ses partenaires y compris sur le plan technique. Les spécialistes d'un domaine (acquéreurs, catalogueurs) y consacrent une importante partie de leur temps de travail. La couverture des Signets est aussi une tâche scientifique ; la difficulté du travail est leur mise à jour.

    Mobilité et formation des personnels

    ABF. - Comment voyez-vous l'inclusion du personnel de la BnF à l'intérieur des corps de la fonction publique ? Comment voyez-vous la circulation de l'information ?

    F.S. - Votre première question touche à la diversité pour ne pas dire à la complexité des situations du personnel ; les personnels statutaires relèvent de deux ministères différents, sans compter les fonctionnaires détachés dont l'origine est plus diverse encore. Par ailleurs, il existe une grande variété d'agents contractuels ainsi que des personnels vacataires. Une de nos tâches consiste à fédérer tous ces personnels autour des mêmes objectifs.

    Concernant l'insertion dans un ensemble plus vaste, par principe et par conviction nous sommes favorables à la mobilité. Elle permet à chacun de connaître des expériences variées et de progresser plus facilement dans sa carrière. Mais on rencontre plusieurs problèmes d'application, dont ceux qui sont spécifiques à la région parisienne. Certaines personnes, après concours, sont affectées à la BnF et n'ont ensuite que le désir de retrouver leurs attaches d'origine, essentiellement en raison du coût de la vie à Paris. C'est légitime, mais cela pose un problème sérieux car, après avoir reçu une formation, elles repartent. Nous sommes loin d'une utilisation optimale des compétences. Il y a aussi le cas inverse de ceux qui, par manque d'accès à l'information, ne parviennent pas à trouver les postes qu'ils souhaiteraient. Des efforts sont entrepris à cet égard, et les nouvelles technologies nous aident. La mise sur Internet des postes disponibles crée une meilleure circulation de l'information.

    J'ajoute un point pénalisant pour la marche quotidienne de l'établissement : le décalage de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, entre le moment où certains agents sont mutés et celui où d'autres sont appelés à les remplacer. Ce déficit conjoncturel est très gênant en pratique.

    J.S. - C'est un verrou à débloquer si on veut une réelle politique de mobilité. Le jour où des commissions paritaires auront lieu en juin, avec des départs en septembre et des remplacements nombre pour nombre au même moment, il n'y a aucune raison pour que la Bibliothèque n'accepte pas les départs.

    ABF. - Il y a aussi le problème du nombre de postes, que vous connaissez bien.

    F.S. - Oui, mais il est plus classique et relève d'arbitrages financiers, alors que la question de la mobilité est un problème d'organisation. Cette question d'organisation des mutations se pose à la BnF à une échelle beaucoup plus vaste que pour tous les autres établissements.

    J.S. - La mobilité doit passer par des procédures toutes simples, mais l'informatique ne remplace ni la voie hiérarchique ni les étapes statutaires. La mise sur Internet de postes à pourvoir a été un succès total par rapport à des non-bibliothécaires. La publicité de ces postes (comme pour les acquisitions en persan ou le traitement des incunables) a entraîné des candidatures du monde entier. Les candidats éventuels ne voient pas que ces mouvements s'inscrivent dans le cadre de la fonction publique.

    ABF. - Nous désirons aborder les questions de formation initiale et continue. On a l'impression que, dans les stages, on ne rencontre jamais de personnes de la BnF.

    J.S. - La raison en est qu'un tel programme de formation lié à la montée en charge existe en interne : il l'emporte pour l'instant sur celui de l'extérieur.

    D.R. - Il faut sans doute rappeler des éléments de contexte. La BnF a dégagé un important budget formation qui lui permet de mettre en place de nombreux stages. Aussi, dans d'autres administrations, on a tendance à accorder la préférence à ceux qui dans leurs établissements ne reçoivent pas de formation sur place. Par ailleurs, la BnF participe à de nombreuses actions de formation ainsi qu'à des examens et à des jurys de concours. Certaines formations sont accueillies dans nos locaux. Aujourd'hui une formation autour des techniques de numérisation est organisée ici par le ministère de la Culture, en raison de l'expérience de la BnF dans le domaine et de la présence des experts sur place.

    ABF. - Dans un stage, le » mixage est intéressant. Il permettrait de faire une certaine publicité pour la BnF.

    J.S. - Vous avez raison, mais c'est un effet d'échelle. Dans une formation aux cédéroms, la BnF enverrait des centaines d'agents, on monopoliserait tout le stage.

    On le fait nous-mêmes ; c'est regrettable peut-être.

    ABF. - Nous regrettons de ne pouvoir contacter les collègues de la BnF dans les stages. Car, entre professionnels, nous parlons de services à l'usager ou de plan de développement des collections, etc. Nous aurions besoin de votre expérience, de vos idées...

    J.S. - Nous intervenons dans les formations à l'Enssib pour les bibliothécaires et les conservateurs, notamment dans le cas de la politique d'acquisition, de l'organisation des collections.

    ABF. - Pour la formation initiale uniquement. Les pratiques et la méthodologie qui vous sont propres peuvent élargir la réflexion d'autres collègues. Par exemple, quand la BnF produit une notice bibliographique, sa cotation est parfois incompréhensible pour une bibliothèque moyenne ; par le dialogue, on arriverait à de meilleurs résultats.

    J.S. - La politique documentaire et la cotation sont les produits les plus " exportés par la BnF. Une collaboration peut être exemplaire : c'est le cas avec la BPI, qui a une bonne expérience dans le domaine du désherbage. Une séance a eu lieu à l'auditorium avec la participation de très nombreux acquéreurs.

    ABF. - De nombreux collègues redoutent les grandes journées organisées par la BnF. Ils préfèrent des journées plus techniques, plus ciblées, comme la dernière sur la documentation numérisée.

    D.R. - Une association comme la vôtre est bien placée pour identifier les sujets intéressant les professionnels qui n'ont pas de statut administratif identique. Les séminaires permettent la rencontre des personnels des ministères de l'Éducation nationale et de la Culture. Vous pourriez faire des propositions, prendre des initiatives auxquelles la BnF pourrait participer.

    ABF. - Ne pourriez-vous pas organiser une campagne de visites par petits groupes, destinées aux seuls professionnels ?

    J.S. - Nous en avons déjà fait. Nous souhaitons poursuivre ces visites, il est même possible de faire des propositions de thèmes. Ces visites seraient limitées à une douzaine de personnes motivées pour être pleinement efficaces ; elles seraient ciblées soit sur certains départements, par exemple celui de l'audiovisuel, soit sur des aspects de l'organisation.

    F.S. - Notre réponse est tout à fait positive sur le principe. Ce n'est qu'une question matérielle de montage, de fédération de besoins et de disponibilité matérielle des uns et des autres.

    Participation au forum de discussion

    ABF. - Le forum de discussion est un nouveau moyen d'échange. La BnF semble peu engagée dans biblio-fr.

    F.S. - Nous sommes ouverts à ces nouvelles pratiques et nous avons récemment mis à jour le cadre déontologique de cette participation. La majorité de nos collaborateurs dispose désormais d'une boîte aux lettres électronique. Il n'y a donc aucun obstacle à ce que ces discussions professionnelles se développent.

    La mise à disposition : le réseau BN-Opale

    ABF. - Être partenaire de la BnF n'est pas toujours un avantage, on met deux ans pour être validé comme catalogueur. On ne peut donc pas mettre les ouvrages à la disposition des usagers avant six mois ou un an.

    D.R. - La mission de concevoir et de diffuser la bibliographie nationale appartient à la BnF. Un de nos objectifs est de gagner sur les délais mais sans perdre la qualité. Sou-venons-nous qu'une tentative de simplification peut aboutir à consommer plus de temps. Réaliser un « Short Tide Catalog » prend autant de temps que de rédiger des notices ordinaires.

    ABF. - Le chercheur a un besoin urgent de la documentation la plus à jour. Le lecteur ne comprend pas, ici ou ailleurs, que le livre arrivé dans la semaine ne soit pas aussitôt mis à sa disposition. C'est également un manque pour le prêt entre bibliothèques aux niveaux national et international.

    J.S. - Dans le domaine français comme dans le domaine étranger, nous sommes pleinement conscients du retard du catalogage. Mais la situation a été particulière cette année.

    ABF. - Les équipes de catalogage devraient être sans doute doublées.

    J.S. - Pas doublées, mais renforcées sûrement.

    ABF. - Sachant que la BnF a du retard, comment imaginez-vous de faire participer au catalogage les bibliothèques associées comme les bibliothèques municipales du dépôt légal, les bibliothèques spécialisées ? La notice pourrait ne pas être signée, homologuée BnF. Mais on aurait au moins une notice, même imparfaite, que l'on pourrait écraser au bout de six mois. Le livre serait alors rapidement exploitable par tous les lecteurs de France. Les bibliothèques seraient mieux associées au catalogue BnF, on ferait une partie du travail des catalogueurs BnF, et il serait complété par les vedettes Rameau qui manqueraient.

    D.R. - Ce sont des questions faussement simples. Rappelez-vous les années perdues à construire des modèles de catalogue partagé qui n'ont jamais abouti. Il faut souligner également qu'en matière de catalogage les objectifs des bibliothèques ne sont pas tous les mêmes, ce qui est normal. Cela étant dit, partager davantage avec le réseau (acquisition, conservation - le catalogue) est notre stratégie : beaucoup de réflexions sont déjà engagées dans ce sens. Nous avons d'abord un effort à faire en termes de fraîcheur, de tarification et de coopération. Les difficultés spécifiques aux lancements de nouveaux sites et au système informatique ne nous ont pas mis dans la situation la plus favorable pour travailler à court terme dans ce sens. Il est clair cepandant que la priorité grandissante concernera les actions en réseau.

    F.S. - Il est vrai que les retards du projet informatique de la BnF n'ont pas facilité les choses. Changer de partenaire industriel n'a pas été facile, mais aujourd'hui nous sommes confortés dans cette décision de changement. Le retard de plus de deux ans apporté au projet informatique sera compensé par des services de qualité. À partir de fin 2000, le public pourra réserver ses places à distance, grâce à Internet. Dans la seconde moitié de 2001 sera rendue possible une application définitive de Rameau ; on pourra y accéder en ligne. Le système gérera le dépôt légal, le traitement des périodiques, les acquisitions et l'atelier de conservation.

    D.R. - D'ici deux ans, chaque bibliothèque pourra faire son marché de notices sur le Catalogue BnF.

    J.S. - Il faudra de plus poursuivre les opérations de reconversion des catalogues des manuscrits, de la musique, etc. Depuis l'ouverture du Catalogue BN-Opale Plus, les consultations ont augmenté de 20 % par mois.

    Indexation Rameau

    ABF. - Comment réellement participer à la base Rameau ?

    D.R. - Des progrès seront accomplis au cours de l'année 2000. La BnF mettra sur Internet le fichier des propositions, ce qui sera plus simple pour les bibliothèques.

    D'autres projets d'amélioration existent. Ils seront soumis au ministère de la Culture : par exemple une diffusion plus large des fichiers d'autorité.

    La fourniture de documents à distance

    ABF. - Par quoi est remplacé le Centre national de prêt, dont nous déplorons la disparition ? Il n'y a pas de solution de rechange aussi peu chère : la reproduction est hors de prix pour une bibliothèque moyenne comme pour un lecteur, qui refuse de payer 350 F pour la photocopie de quelques pages. La fourniture à distance, annoncée au mois d'août 1996, semble s'éloigner.

    D.R. - La BnF n'a jusqu'à présent jamais été parmi les premiers fournisseurs de documents à distance. Le ministère de la Culture nous a demandé de changer cela, et nous y travaillons. Trois éléments pour vous répondre. D'abord, l'évolution montre que la fourniture des documents sera onéreuse. L'accès à des catalogues est gratuit, ainsi que l'accès à la bibliothèque numérique pour les ouvrages libres de droit. Mais, dès lors qu'il y a prestation, il y a forcément facturation. Deuxième élément, nous avons une mission de conservation. Les documents que nous sommes appelés à reproduire sont fragiles et relèvent du patrimoine. La BnF restera une bibliothèque de dernier recours. Troisième élément, nous ne sommes pas seuls ; d'autres établissements fournissent des documents de substitution. C'est pourquoi, au vu de tout cela, l'établissement fera des propositions dans le courant de l'année 2000.

    Il faut s'orienter vers la fourniture de documents numérisés dans le respect de la propriété intellectuelle, ce qui posera le problème de la réglementation. Nous ferons tout cela dans un esprit de coopération avec l'Inist, les pôles associés et en particulier avec les Cadist, qui sont les plus gros fournisseurs de documents. Il faudra définir avec nos partenaires les secteurs dans lesquels la présence de la BnF est indispensable et, de même, nous insérer dans des pratiques tarifaires comparables. Les coûts du numérique vont évoluer dans le bon sens, si toutefois la perception des droits ne vient pas entraver cette évolution.

    ABF. - La technique marche bien, on peut espérer que les questions économiques évoluent favorablement. En revanche, les droits n'avancent pas beaucoup.

    D.R. - Cela bouge moins au plan français qu'au plan international. Cependant, il faut se réjouir de la naissance d'un premier consortium en France.

    Le CCF et le RNBCD

    ABF. - L'absence du Centre national de prêt est un trou dans le fonctionnement ; il est lié au Catalogue collectif. Le Répertoire national des bibliothèques et centres de documentation doit être amélioré, les informations sont parfois très obsolètes.

    D.R. - La BnF a désormais la responsabilité de la gestion du Catalogue collectif de France. Edwige Archier et ses collaboratrices ne demandent qu'à le mettre à jour. Aujourd'hui, si une bibliothèque se plaint d'une notice obsolète, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même.

    ABF. - 10 % des bibliothèques recensées sur 4 000 bibliothèques environ sont connectées au Web. Quelle est donc la visibilité de ce Répertoire si l'on n'est pas connecté sur Internet ?

    D.R. -Je crois, en raison de la croissance très rapide d'Internet, que cette question tombera d'ellemême dès 2001 ou 2002. Les municipalités sont intéressées. L'État donne une impulsion importante. Cette question technique devrait disparaître.

    ABF. - Dans quel délai le Catalogue collectif de France sera-t-il opérationnel ?

    D.R. - Ce n'est pas tant le CCF qui est en retard que ses partenaires. Aux problèmes informatiques de la BnF se sont ajoutés les retards du système universitaire. Le profil Z39.50 est prévu pour mai 2000. Afin de compenser ces retards, nous allons anticiper la diffusion de la rétroconversion des catalogues anciens des bibliothèques municipales si possible dès l'été 2000.

    ABF. - Vos réponses dissiperont, à n'en pas douter, d'éventuelles inquiétudes et réserves de nos lecteurs à l'encontre de la BnF. Elles leur donneront une vision plus juste et plus à jour des réalisations de la BnF. Nous vous remercions de nous avoir si longuement reçues - près de trois heures - et d'avoir répondu à toutes nos questions avec autant d'affabilité que de précision.

    F.S. - Merci. La BnF est à la disposition de vos lecteurs pour toute information complémentaire qui leur serait utile.