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Lire des livres en France des années 1930 à 2000

2000
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    Par Hugues Van Bésien
    Nicole Robine

    Lire des livres en France des années 1930 à 2000

    Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 2000. - br- 250 F

    Après avoir retracé l'histoire de la sociologie de la lecture en France, en particulier la façon dont ce champ d'étude se constitue sous l'effet de commandes sociales/idéologiques qui en orientent la démarche, l'auteur tente d'extraire, de la masse de matériaux accumulée sous ces auspices changeants, une analyse des évolutions des comportements des lecteurs sur la période considérée. On trouvera en fin de volume une fiche descriptive pour cinquante enquêtes effectuées entre 1955 et 1999, avec les références bibliographiques de chacune.

    L'intérêt pour la sociologie de la lecture est relativement tardif en France. Jusqu'à la fin des années 1960, les chercheurs, au premier rang desquels Robert Escarpit, Joffre Dumazedier et Jean Hassenforder, établissent les inégalités sociales devant la culture et l'éducation. Leurs travaux alimentent l'action de responsables de la culture et de militants de l'éducation populaire dans le sens d'une démocratisation de l'accès à la culture légitime, peu mise en question. L'école est incontestée, la bibliothèque est peu présente. La lecture est une question d'éducation.

    Dans la période suivante, jusqu'au milieu des années 1980, l'école est soumise à la critique, la massification de l'enseignement secondaire bat son plein, la lecture est passée/classée dans le champ des loisirs, on redécouvre des pratiques de lecture populaires, mais aussi on invente l'illettrisme : la lecture devient une question de société et le plaisir de lire « norme scolaire déguisée » devient l'idéologie positive. La situation objective est celle d'un développement sans précédent des pratiques et des compétences de lecture dans la population.

    Depuis 1985 environ, le développement des bibliothèques (scolaires et autres) et de la diffusion marchande (grâce à la vente par correspondance et à la grande distribution) porte l'offre à un niveau jamais atteint. L'élargissement de l'accès à la lecture semble acquis quand les indicateurs commencent à montrer, au contraire, la persistance des inégalités sociales et même une baisse de pratique.

    Selon l'auteur, la massification de la lecture et le fait qu'elle soit devenue de fait une nécessité quotidienne l'ont banalisée, tandis que le discours politique et scolaire continuait de la sacraliser. La lecture a perdu son pouvoir de distinction. Elle s'est aussi dévalorisée en se féminisant, et elle subit la concurrence d'autres formes de loisirs, souvent plus collectives et présentant l'avantage de n'être pas associées au même degré à l'apprentissage scolaire. Il y a à la fois fléchissement des pratiques et mutation des valeurs.

    L'ouvrage se termine par l'énoncé de perspectives de recherche qui dépasseraient les présupposés et les angles morts des travaux précédents : comment les lecteurs « utilitaires » passent-ils de la lecture documentaire à la pratique, comment les pratiques de lecture se déclinent-elles au sein de groupes sociaux réels, que reste-t-il des cultures populaires, quels sont les processus cognitifs enjeu dans l'acte lectoral ?

    On lira avec un intérêt particulier les passages consacrés à la critique de la notion d'illettrisme et à l'idéologie du plaisir de lire, déjà sensible dans quelques parutions récentes dont nous avons rendu compte, qui semblent annoncer une évolution intellectuelle de taille, si les conclusions de la sociologie la plus avancée, comme cela a souvent été le cas, finissent par s'imposer de façon générale.