En tant que présidente du groupe de travail "Etablissements et réseau", il me revient aujourd'hui l'honneur de vous présenter le résultat de ses travaux.
La décision de créer ce groupe de travail a été prise par le Bureau National de l'ABF le 4 juillet 1989. Pour comprendre cette décision, et ce qu'on attendait de ce groupe, il faut se reporter à cet été 89 et se souvenir du paysage des bibliothèques tel qu'il se présentait à l'époque - et tel que, en fin de compte il demeure.
Cette année-là, on attendait la création d'un hypothétique Conseil National des Bibliothèques et de la Documentation, création qui fut finalement annoncée aux congressistes de l'IFLA par MM. Jospin et Lang.
Cette année-là, on parlait, comme d'habitude, d'une future loi sur les bibliothèques.
Cette année-là, la BdF présentait l'esquisse d'une future organisation en réseau qui s'appuierait sur des bibliothèques spécialisées et des pôles associés.
Cette année-là, un groupe de travail interministériel présentait ses propositions sur le projet de Schéma directeur de l'information bibliographique Cette année-là, à la suite du rapport Miquel, les BU sortaient d'une ère de grand froid.
Cette année-là, la commission Béghain rendait son rapport "Propositions pour les bibliothèques municipales"
Cette année-là, était diffusé le rapport dit Briand-Alessio qui annonçait et tentait de justifier le reflux des crédits accordés par la DLL à la coopération. Cette année-là était-elle pour les bibliothèques, comme pour le monde, une "annus mirabilis" ? L'ABF répondit oui et ajouta que parmi ces changements parfois radicaux qui s'annonçaient, elle, l'ABF, devait, se devait, et devait à la profession de s'affirmer comme force de réflexion et de propositions.
Fut donc décidée la création de ce groupe de travail "Etablissements et réseau" dont la mission originelle était d'aboutir à : "la rédaction d'un texte de référence général ; la rédaction d'un texte en faveur d'un projet de loi ; la rédaction d'un texte en faveur d'un conseil national ; la rédaction d'un texte en faveur d'un réseau cohérent des bibliothèques ; un certain nombre de propositions concrètes concernant par exemple : la complémentarité et le rôle particulier des établissements ; les organismes de tutelle et de coopération ; l'information bibliographique (normalisation, bases bibliographiques, bases d'autorités, etc)". Nous avions du travail pour 10 ans... Plutôt téméraires, nous avons relevé le gant et voici comment.
La composition du groupe de travail fut fixée en tenant compte de deux objectifs principaux : un objectif d'efficacité, qui se traduisit par des critères d'expérience professionnelle et de disponibilité, avec le souci de créer un groupe stable, pas trop nombreux et pouvant travailler vite. Et un objectif de diversité pluraliste, pour que le groupe puisse travailler valablement sur un projet global et cohérent : ses membres venaient donc d'horizons professionnels différents, et il est notamment intéressant de noter que 3 des 4 présidents de section de l'ABF y figuraient.
Le groupe permanent comprenait donc 13 membres, auxquels vont ma reconnaissance et celle de l'ABF et que je voudrais donc citer ici : il s'agit de Françoise Belet, Eliane Bourguignat, Beatrix de Buffevent, Pierre-Yves Duchemin, Thierry Giappiconi, Joëlle Gosselin, Didier Guil-baud, Monique Lambert, Christian Pierdet, Albert Poirot, Nicole Simon et Louis Yvert.
A ces membres permanents vint s'ajouter la collaboration plus épisodique de certains de nos collègues qui accompagnèrent un temps nos travaux : je voudrais donc citer ici et remercier Bertrand Calenge, Alban Daumas, Gérald Grunberg, Claudine Irlès, Caroline Sakoun ainsi que Catherine Schmitt et Jean-François Girardot.
Ce groupe de travail s'est réuni 13 fois, de septembre 89 à juin 90. Son rapport "Pour un réseau des bibliothèques et de la documentation" a été remis aux membres du Conseil national de l'ABF le 26 juin dernier. Il est disponible ici en quelques dizaines d'exemplaires et en deux volumes, qui pourront être remis aux congressistes particulièrement intéressés, pourvu qu'ils ne soient pas trop nombreux. Ce qui m'amène à ma troisième partie : Keskidi ?
La version originale du rapport compte 40 pages, il m'est donc nécessaire de le résumer assez sévèrement.
La première partie "Etat des lieux : analyse et réflexions" a déjà été publiée dans le n° 147 du Bulletin de l'ABF, je ne vais donc l'évoquer que rapidement : cette première phase a été pour nous à la fois une phase de défrichement dans une réalité que nous avons découverte plus complexe que nous ne pensions et une phase de tentative de description typologique. En somme, nos questions étaient : comment les bibliothèques travaillent-elles ensemble ? à quels réseaux appartiennent-elles ? à quels types de réseaux ? quelles activités mènent-elles ensemble ? dans quelles structures ? avec quels outils ? qui paye ? Cet "Etat des lieux" se clôt par une réflexion sur 3 points qui nous ont paru paticulièrement importants : l'information bibliographique, les structures régionales de coopération et la BdF. Cette première partie qui a des aspects un peu balbutiants a, au moins, une conclusion fort claire : LE réseau des bibliothèques n'existe pas, mais DES réseaux existent : il ne s'agit donc pas de créer un réseau, mais d'harmoniser et rendre cohérents tous ces réseaux.
C'est sur ce point qu'a porté notre réflexion dans la deuxième partie du rapport, intitulée "Travailler en réseau : propositions".
Avant de passer à cette phase prospective, notre champ d'exploration, si vaste, divers et en réalité peu connu, nous a entraînés à dresser un tableau des activités et des ressources du paysage des bibliothèques et de la documentation. Ce tableau figure dans le rapport en annexe, malgré ses imperfections évidentes parce qu'il nous a été utile et que nous pensons qu'il pourrait, somme toute, être utile à d'autres.
Dans la deuxième partie du rapport : "Travailler en réseau : propositions", trois types de questions, nous semble-t-il, se posent : quelle est la réalité ? quels sont les enjeux ? comment construire l'avenir ?
Ce congrès, je l'espère, va nous aider à répondre à ces questions.
Le groupe de travail, lui, a essayé modestement d'apporter quelques pierres à l'édifice. En voici quelques-unes. 1
La réalité ? Elle est complexe et mal connue. Nous ne disposons pas d'informations globales, ni exhaustives, les statistiques sont peu ou mal diffusées, la situation change vite et il y a beaucoup de cas d'espèces.
Les enjeux ? Les bibliothèques et les services de documentation ont à remplir certaines missions, que l'ABF a tenté de définir, sans que la réflexion en ce domaine soit close.
Pour remplir ces missions culturelles, ces missions de formation et de recherche, ces missions patrimoniales, pour faciliter l'accès à une connaissance raisonnée, critique et indépendante, de quoi avons-nous besoin ? et qu'avons-nous à redouter ?
Voici comment le groupe formule son analyse des enjeux : "notre groupe est attentif au risque majeur que recèlent les actuels changements du paysage des bibliothèques français : le risque de créer un réseau à deux vitesses, c'est-à-dire deux réseaux, ne bénéficiant pas des mêmes ressources ni des mêmes outils et assurant au public des services de qualité évidemment inégale. Notre conclusion est qu'un réseau national (unique) de la lecture et de la documentation, pour avoir une traduction concrète et ne pas rester un voeu pieux, a besoin :
Pour construire l'avenir, il faut, au préalable, définir les responsabilités des différents partenaires. Cet exercice ne s'apparente pas à je ne sais quelle entreprise de recentralisation mais nous apparaît comme une nécessaire entreprise de clarification qui doit s'inscrire dans le renouveau actuel de la volonté d'aménagement du territoire.
Comment ne pas souligner le rôle de service public que jouent les bibliothèques et les services de documentation ?
Je cite le rapport : " A ce titre, l'égalité d'accès à ce service public doit être garantie par une loi sur les bibliothèques dont les principaux points porteraient sur : la qualité du service, la définition des responsabilités des différents partenaires, l'organisation du réseau documentaire, l'organisation de la coopération entre bibliothèques.
Les responsabilités des différents partenaires pourraient, à notre sens, se définir ainsi :
Notre groupe de travail s'est dissous. Sa réflexion va cependant se poursuivre selon deux axes. D'une part, cet objectif de réflexion et de clarification a besoin, en amont, d'un effort d'évaluation, d'un bilan de ce qui a été entrepris en matière de coopération et de réseau ces dernières années.
C'est dans cette optique que l'ABF a décidé, conjointement avec la FFCB d'organiser au début de l'année prochaine des Assises de la coopération ; ces rencontres, s'appuyant sur une connaissance réelle du terrain, devront, nous l'espérons, déboucher sur des propositions concrètes. D'autre part, un petit groupe de travail a été constitué au sein de l'ABF pour travailler sur un projet de loi sur les bibliothèques.
Voici donc l'état actuel de nos réflexions, que nous soumettons à discussion en espérant qu'elles pourront contribuer à éclairer et à faire progresser l'idée et la réalité du réseau des bibliothèques et de la documentation. Dans ce remodelage du paysage des bibliothèques, un grand débat national est nécessaire et ce congrès va y contribuer.
Car (et il me semble qu'il est de la responsabilité de l'ABF de tenir ce discours), car les grands projets nationaux que sont la Bibliothèque de France et le Catalogue collectif national des ouvrages ne doivent pas, en absorbant les énergies et les moyens, occulter le véritable enjeu des prochaines années : allons-nous nous résigner à la création d'un réseau à deux vitesses, l'un composé de quelques grands établissements regroupés autour de la BdF, dotés des dernières avancées technologiques et objet de tous les soins ministériels et de toutes les attentions médiatiques... et l'autre, émietté, dispersé, sans lien et sans cohérence, et qui n'offrirait qu'un service moindre à un public qui n'aurait pas démérité. Que Tolbiac ne fasse pas oublier Aurillac, ce sera la conclusion de cette intervention, intervention que, en raison des enjeux, j'aurais souhaité prononcer devant le Directeur du Livre, dont l'absence nous peine et nous étonne.