Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    L'interprofessionnalisme

    Par Brigitte GUYOT, Institut national des techniques de la documentation, Paris

    Venant du milieu documentaire, et de plus d'un Institut formant des spécialistes d'information pour l'entreprise, les quelques réflexions menées ici reflètent un certain point de vue qui peut sembler éloigné des préoccupations immédiates de beaucoup de bibliothécaires. Il me semble néanmoins qu'elles sont au coeur de nos métiers.

    Comment peut s'aborder cette question ?

    Dans un des rapports d'une commission du Xème plan, Monsieur Farge parle d'interprofessionnalité et l'envisage sous plusieurs angles : celui d'une fertilisation croisée entre des talents pluridisciplinaires dans une même entreprise ; celui d'un décloisonnement, pour "sortir d'une fausse sécurité, d'un exercice figé", avec l'idée d'une nécessaire évolution face aux besoins d'une clientèle ; enfin celui d'un dialogue entre l'Etat et la profession, ou la profession et ses clients, avec des règles à établir pour le favoriser.

    Travaillant sur une matière transversale, l'information, les spécialistes de l'information sont directement confrontés à cette question, sous au moins trois aspects : tout d'abord, dans leur dialogue avec des professionnels de plus en plus variés, dont il importe de connaître le fonctionnement, la culture de référence, le vocabulaire. Informaticiens, techniciens, producteurs de logiciels, vendeurs de matériels, sous-traitants (graphistes, imprimeurs), serveurs ou éditeurs, chacun venant d'un monde spécifique ayant sa propre culture. Cela, c'est l'amont. Il s'agit de se comporter en consommateur éclairé, ou en interlocuteur reconnu de ses partenaires, posant la question de l'image que renvoient nos métiers.

    En aval, dans leur dialogue avec les clients : ingénieurs, marketing, qui viennent eux aussi d'un référentiel différent.

    Enfin, cet interprofessionnalisme se retrouve aussi dans les manières de traiter l'information : selon qu'elle est traitée par un informaticien, diffusée par un réseau, manipulée par des fournisseurs de services télématique, indexée par des documentalistes, structurée par un producteur de CD-ROM, il importe que l'utilisateur connaisse les règles de production, la philosophie sous-jacente et les méthodes du producteur des outils s'il veut les utiliser au mieux.

    Cette diversité des savoir-faire place le spécialiste de l'information comme un acteur parmi d'autres, alors que trop souvent il se place en relation duelle, et non dans un système d'ensemble.

    Les diversités du milieu professionnel :

    Comment se situe le milieu professionnel face à ces problèmes de frontière, de juxtaposition, de concurrence de fonctions entre des acteurs aux cultures différentes et souvent inconnues de lui ? C'est la question des images et des représentations qu'il donne de lui, qu'il reçoit des autres et de la stratégie qu'il adopte pour se faire reconnaître.

    Il serait plus sage de parler des milieux professionnels. Je ne parlerai que des bibliothécaires et des documentalistes pour éclairer ce point, en schématisant volontairement.

    Du même arbre d'origine, ils ont gardé un tronc commun : la gestion d'un fonds de documents (stock). Les deux branches actuelles correspondent à des lieux d'insertion différents :

    a) Liés à la culture personnelle (évolution de la société des loisirs), au service public, les bibliothécaires s'adressent au citoyen, jouant un rôle dans l'apprentissage technique, telles l'informatique, la recherche d'information, l'appropriation du multimédia... Ils se situent du côté du traitement et de la gestion du stock et de son accès, et leur organisation professionnelle est centralisée (nationale, locale)

    b) Liés à l'évolution de l'entreprise (publique et privée), les documentalistes gèrent des informations de connaissance (scientifique et technique pour la recherche et le développement), professionnelle ou spécialisée, ou collectent de l'information stratégique pour la décision comme la veille technologique ; ils travaillent avec des chercheurs, de plus en plus avec les services marketing, les décideurs, travaillant en équipe (binome spécialiste de l'information/ ingénieur analyste).

    La question de la double compétence est au coeur de leur devenir, c'est-à-dire du contenu et des méthodes. Pluridisciplinarité, pluritechnicité sont de plus en plus demandées.Ces métiers se sitent du côté de l'analyse de l'information, de sa diffusion, de la recherche pointue, et l'organisation du milieu est très éclatée, sans tutelle ministérielle.

    Face à ces deux blocs, certains professionnels ont des positions charnières : les documentalistes de lycée ont un rôle qui emprunte aux deux composantes : réalisation de dossiers, travail sur le contenu, pédagogie ; les BU, qui remplissent une fonction de centrale documentaire et répondent de plus en plus souvent à des demandes émanant du secteur industriel (notamment avec les CADIST et les interrogations de banques de données), sont très liées à l'information spécialisée.

    Ces positionnements différents vont bien évidemment jouer sur le type de dialogue avec les partenaires. Pourtant, dans leur ensemble, les spécialistes de l'information ont tous plus ou moins le même rapport à la technique, très valorisée, et apportant une image de modernité et de performance.

    Ces milieux constituent en outre un terrain d'application pour les industriels de logiciels ou de contenus. En suscitant des problèmes à résoudre, il a contribué à stimuler la recherche sur les langages documentaires, l'analyse syntaxique, le stockage optique. Il importe donc qu'il sache mieux expliquer ses besoins, et se situer par rapport aux autres de façon plus valorisante et jouer un rôle dynamique.

    Stratégie de repli ou de redéploiement ?

    Pour être capable d'évoluer dans un secteur en rapide mutation et de dialoguer avec des partenaires de plus en plus nombreux, les objectifs de la formation sont de plusieurs sortes :

    • d'une part, dépasser les techniques documentaires pour intégrer l'analyse, l'évaluation, l'organisation et savoir utiliser des méthodes pratiquées aussi bien en documentation, en bibliothèque, qu'en entreprise, en utilisant la communication pour suivre les besoins de la clientèle, diffuser, cibler des produits et services d'information adaptés ;
    • d'autre part, se doter des clés pour son auto-formation permanente afin de ne pas trop courir derrière l'évolution des techniques ;
    • plus globalement, chercher à se situer face à l'information dont on dit qu'elle devient au coeur de l'évolution de la société. Quel est le rôle spécifique de chacun, dans quel maillon se situe-t-il ? Comment dépasser le manque de dialogue entre formations, associations professionnelles, encore trop vécues comme concurrentes ;
    • Réfléchir aux structures mêmes de nos formations : jusqu'à présent, elles étaient faites par et pour des professionnels, (1) mais la situation est en pleine mutation : l'Université met en place de nombreux cursus (licences avec mention documentation, DESS (2) . Avec quels enseignants ? Quelle part entre la théorie réflexive et le savoir-faire opérationnel ? Face à la "concurrence" extérieure des écoles de commerce, de gestion, comment se positionner ?
    • Quels sont les relais ou réseaux à établir pour assurer une cohérence face à cet émiettement des formations (niveaux différents, qualifications précises, etc) et définir une image du secteur.

    Il semble que la concertation réelle entre tous les partenaires concernés ait toujours été difficile à mener. Espérons qu'une réflexion globale puisse s'amorcer. Ce sera là une preuve d'interprofessionnalisme.

    1. m Outre les 9 IUT documentation, les formateurs du DESS de sciences politiques, de l'INTD (bac + 4), du mastère INTD en management de l'information stratégique (DEA), sont essentiellement des professionnels. retour au texte

    2. (_) DEA information scientifique et technique à PARIS VII ; documentation dans l'entreprise à LILLE III ; sciences et technologie de l'information à PARIS IX retour au texte