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    Intervention de Daniel Renoult

    Par Daniel Renoult, Sous-directeur des bibliothèques à la Direction de la programmation et du développement universitaire au Ministère de l'Education nationale

    J'étais venu, à votre invitation, l'année dernière, vous présenter la politique que mène la Direction de la programmation et du développement universitaire, dans le domaine de la documentation et des bibliothèques, et il me paraît utile de faire aujourd'hui avec vous le point sur les avancées que nous avons pu effectuer, sachant que le développement des bibliothèques reste un travail de longue haleine, sur le moyen et le long terme.

    La politique des bibliothèques universitaires s'articule autour de trois idées-programmes :

    • Du point de vue des objectifs de l'éducation, et des résultats à obtenir, la fonction documentaire est aussi importante que la fonction pédagogique ou la fonction recherche. L'université de masse appelle le développement et la valorisation du travail personnel, lesquels impliquent une priorité à donner aux bibliothèques ;
    • Les grandes orientations du rapport présenté par le professeur André Miquel (plus grande ouverture des bibliothèques, intégration de celles-ci dans l'université, valorisation de la coopération nationale et internationale) constituent la base d'un plan de redressement à intégrer dans la politique contractuelle et le schéma national de développement universitaire connu aujourd'hui sous le nom de "Universités 2000" ;
    • La création de la Bibliothèque de France appelle une action sans précédent sur l'ensemble des bibliothèques et, notamment, pour les grands catalogues collectifs.

    La mise en place d'une politique documentaire d'université supposait un renforcement des moyens des bibliothèques universitaires. Depuis 1988, le budget alloué aux bibliothèques de l'enseignement supérieur, qu'il s'agisse des grands établissements ou des universités, a progressé de 140%. La part des contrats approche 30% du total. La dotation de fonctionnement des bibliothèques approche désormais les 230 millions de francs, alors qu'elle était inférieure à 100 millions de francs en 1988.

    En ce qui concerne l'élargissement des horaires d'ouverture, grâce à des créations d'emploi -220 en 19901991, dont 100 magasiniers- et grâce au recrutement en moniteurs, nous arrivons peu à peu à progresser vers une amélioration. Aujourd'hui, les bibliothèques universitaires sont ouvertes en moyenne 45 heures par semaine. Le but est de parvenir progressivement à 60 heures par semaine. En 1990, 100 000 heures de monitorat ont été distribuées. En 1991, 180 000 heures ont été réparties. L'année prochaine, nous espérons bien mettre en place dans quelques bibliothèques pilotes une vraie formule de monitorat, sous la forme d'une allocation de bibliothèque qui ne limiterait plus la durée de participation des étudiants, et leur donnerait une position meilleure que celle de simple vacataire.

    La progression des horaires d'ouverture est significative : Aix-Marseille II a ouvert 130 heures de plus qu'en 1988. Besançon-sciences : + 300 heures, Dijon-lettres : + 50 heures... Des bibliothèques qui étaient fermées entre midi et 2 h, ouvrent dorénavant. Vingt bibliothèques ouvrent désormais le samedi. Nous connaissons l'exemple de bibliothèques largement ouvertes, comme la bibliothèque Sainte-Geneviève. La généralisation de cette tendance est portée par la profession.

    Le développement du libre accès gagne aussi. Pour l'essentiel, les locaux des bibliothèques universitaires ont été construits peu après la guerre et suivant une conception ancienne de magasins, fermés au public. Seulement 20% des collections sont en libre accès aujourd'hui. Un peu partout, les bibliothécaires s'efforcent de concevoir et mettre en oeuvre des plans de modernisation de leurs locaux. Les universités de Dijon, de Saint-Etienne, de Toulouse, de Nice, d'Orsay, de Paris VII présenteront, ou ont déjà présenté les derniers mois, des réalisations importantes.

    Il faut, enfin, développer les collections au service des étudiants. Plus de 28 millions de francs ont été spécialement alloués aux universités cette année pour favoriser les acquisitions destinées aux étudiants du premier cycle. Simultanément nous souhaitons accentuer la mise en réseau des bibliothèques au sein de l'université. Faut-il rappeler que l'université française souffre de divisions profondes, d'une parcellisation de ses moyens documentaires. La tendance s'inverse heureusement. On peut citer des exemples réussis de mise en place d'une politique documentaire d'université, là encore à Dijon, à Nantes, à Lyon III ou à Stras-bourg II.

    Mieux accueillir les étudiants signifie aussi construire des bibliothèques. L'objectif défini par le gouvernement, c'est la création de 35 000 places nouvelles. Le rapport Miquel avait estimé à 400 000 mètres carrés les locaux nouveaux qu'il allait falloir bâtir. Des projets sont en préparation, à Montpellier, à Bordeaux, à Dijon, à Tours, à Orléans, à Besançon. Au total, l'enveloppe Universités 2000 pour développer et moderniser les universités approchera les 26 milliards de francs.

    Ces perspectives nous ont incité à rénover nos idées sur la programmation. Un guide de programmation des bibliothèques universitaires a été préparé par la Direction de la programmation et du développement universitaire. Il s'agit d'un vademe-cum destiné à tous ceux, maîtres d'ouvrage ou maîtres d'oeuvre, qui vont avoir à réaliser des mètres carrés de bibliothèque. Présidé par Pierre Merlin, ce groupe qui associait des bibliothécaires, un cabinet de programmation, des universitaires, a effectué les travaux préparatoires. Marie-Françoise Bisbrouck, déjà connue de vous par ses travaux sur les bibliothèques publiques, en a assuré la publication. Nous espérons mettre à jour cet ouvrage, en y incluant notamment des plans.

    Je passe sur un certain nombre d'actions qui sont dans la continuité de notre politique comme l'extension du réseau CADIST, les grandes bibliothèques spécialisées. Deux ont été créées en 1990, l'histoire médiévale et la géographie ; deux vont être créées début juillet. Une commission du Conseil National Supérieur de l'Enseignement et de la Recherche délibérera sur les disciplines à retenir. Très prochainement sera publié un répertoire des CADIST qui précisera les caractéristiques de leurs collections, les banques de données que l'on peut y interroger, ainsi que des renseignements pratiques. Nous veillons également à valoriser le patrimoine de l'enseignement supérieur. Il y a plus d'un million d'ouvrages antérieurs à 1811, dans les bibliothèques des universités et des grands établissements. Depuis 1989, chaque année 3 millions de francs ont été consacrés à la protection et la mise en valeur de ce patrimoine.

    Enfin, dernier élément de cette politique sectorielle, le lancement du centre Technique du Livre. Bibliothèque de dépôt, mais aussi centre de sauvegarde et de reproduction des collections, celui-ci est très attendu par les bibliothèques d'Ile-de-France. C'est une opération menée en étroite collaboration avec la Bibliothèque de France.

    Je voudrais aborder maintenant nos actions dans le domaine des réseaux. Les bibliothèques universitaires sont le premier pôle d'échange de documents en France. Près d'un million de transactions ont été effectuées en 1990, ce qui nous place au premier rang devant l'INIST, avec 500 000 transactions en 1990, et assez loin devant la Bibliothèque nationale, qui n'en effectue que 50 000. La modernisation du réseau se poursuit : un logiciel de prêt entre bibliothèques sur micro-ordinateurs (Pebmicro version 2) sera prêt fin 1991. Le développement du prêt européen continue ; l'appel d'offre informatique va être lancé, et nous comptons sur des premières réalisations de liaisons avec la Grande-Bretagne et les Pays-Bas fin 1992.

    Comme l'INIST ou la Bibliothèque de France, la DPDU participe à des programmes pilotes dans le domaine de la numérisation. Aussi avons-nous décidé de nous joindre à un groupe de travail international sur la normalisation de la transmission des documents numérisés. Ce groupe organisera un séminaire international, du 25 au 27 septembre, à Paris.

    Le chantier des catalogues collectifs progresse régulièrement. Le catalogue collectif national des périodiques est désormais accessible à tous, via Minitel, par le code 3617 CCN, et ceci depuis 1991. Vous voyez, pour la première fois dans un congrès de l'Association des Bibliothécaires Français, le Pancatalogue, catalogue collectif des monographies de l'enseignement supérieur. 150 000 notices sont chargées aujourd'hui, et nous espérons bien que, fin 1991, 500 000 titres seront chargés sur ce catalogue, associant des fonds issus du réseau Sibil, du réseau des bibliothèques qui adhèrent à la Bibliothèque nationale, et du réseau OCLC. Bien entendu, il nous faut continuer, et notamment permettre aux bibliothèques d'être interconnectées. Pour cela, nous mettons notre espoir dans la mise en place, dans un délai de 3 ans, d'un réseau de télécommunication à haut débit (deux mégabits) qui devrait permettre d'interconnecter l'ensemble des sites universitaires et, en fait, l'ensemble des grandes villes françaises.

    Sur le catalogue collectif de France et ses objectifs, nous travaillons en plein accord avec la Direction du Livre et de la Lecture. Tout à l'heure, Madame le Directeur du Livre vous a dit que la Direction du Livre consacrait des moyens importants à la rétroconversion des catalogues. Nous pensons également que c'est un impératif tout à fait essentiel et le Ministère de l'Education nationale y consacrera également des moyens significatifs dès 1991. Le programme de rétroconversion, étalé jusqu'en 1995, va nous permettre, dès 1991, de traiter environ 400 000 notices. Seront traitées en priorité les bibliothèques qui ont des collections supérieures à 200 000 volumes et les bibliothèques CADIST. L'enjeu du catalogue collectif, c'est aussi la qualité des contenus. Il nous paraît prioritaire d'y faire figurer les ouvrages publiés à l'étranger.

    Simultanément, il faut aider les bibliothèques universitaires qui informatisent la gestion de leurs catalogues. C'est ainsi que l'informatisation de Compiègne va s'achever, celle de Dijon devrait démarrer dans d'excellentes conditions, ainsi que Nice, Nantes, Lille, la Sorbonne, Sainte-Geneviève, Jussieu, et la bibliothèque inter-universitaire de Pharmacie.

    Vous savez que le Ministère de l'Education nationale a lancé le premier un catalogue collectif, celui des périodiques, et puis d'autres instruments de travail comme le prêt entre bibliothèques, le Pancatalogue et je n'ai pas encore cité la banque de données Téléthèses. Pour des raisons historiques, ces applications sont différentes dans leur conception. Il nous paraît essentiel qu'elles soient davantage intégrées avec pour cible l'entrée dans le catalogue collectif de France, à l'horizon 1995. C'est la raison pour laquelle nous allons mettre sur pied un schéma directeur pour moderniser nos outils afin d'arriver à l'objectif commun pour 1995.

    J'en arrive maintenant au thème de votre congrès, qui est la formation.

    Nous avons eu, avec Alain Gleyze, l'occasion de nous exprimer dans les colonnes du Bulletin d'informations de l'ABF, sur l'évolution de cette formation. Un numéro récent y est entièrement consacré. Notre analyse nous conduit à intégrer davantage la formation des bibliothécaires et des documentalistes dans l'enseignement supérieur. Il s'agit d'une orientation fondamentale. Rappelons que les formations qui sont restées purement professionnelles ont périclité rapidement. Très schématiquement, les bibliothèques ont connu trois moments dans l'histoire de la formation : une période de pure érudition qui appartient au passé, une période de pure technicité qui me paraît en train d'être dépassée ; il nous faut maintenant conjuguer et l'érudition et la technicité pour faire face aux enjeux qui sont ceux de la bibliothèque de demain.

    Nous devons donc aujourd'hui travailler sur tous les fronts. Sur celui de la formation supérieure, le Président du Conseil Supérieur des Bibliothèques vous a dit l'essentiel. Le Conseil Supérieur assume aujourd'hui la réflexion sur les évolutions de cette formation à l'ENSB, en liaison avec la Direction du Livre, en liaison avec nous, en liaison avec le corps enseignant de l'ENSB, qui a fourni un travail remarquable de réflexion qui sert de base à ce travail d'élaboration ultérieur.

    S'agissant du nouveau corps des "bibliothécaires", nous avons, avec la Direction du Livre et de la Lecture, élaboré un document de travail que nous allons discuter avec l'Association des Bibliothécaires Français au cours des semaines qui vont venir. En ce qui concerne les bibliothécaires-adjoints spécialisés, la Commission Pédagogique Nationale a commencé à travailler, et élabore une réforme du Certificat d'Aptitude aux Fonctions de Bibliothécaire. Enfin, s'agissant des bibliothécaires-adjoints, l'Inspecteur Général Jean Goasguen a accepté de présider un groupe de travail, qui proposera un rapport sur cette formation et sur la réforme nécessaire du concours.

    Nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins. Il ne s'agit même plus de savoir si la formation professionnelle doit rester dans une chapelle, ou s'intégrer dans l'enseignement supérieur. La question fondamentale est de savoir à quelles conditions cette association est possible. Je sais que vous êtes tous très attachés à la qualité de la formation, à la qualité des stages, et que, pourvu que cette qualité soit préservée, et améliorée, vous accepterez sans difficultés cette association avec le monde universitaire. Je suis prêt pour ma part à travailler avec acharnement à ce que cette qualité soit maintenue, et amplifiée.

    Je voudrais, pour conclure, vous livrer quelques réflexions d'ordre plus général, mais qui sont fortement corrélées à la formation, non plus à ses structures mais à ses contenus. Tout d'abord, il y a une idée reçue qui circule depuis quelques années, qui consiste à toujours présenter l'avenir des bibliothèques uniquement sous l'angle des changements technologiques. Remarquez tout d'abord que le terme "nouvelles technologies" commence à vieillir singulièrement. Nous savons aussi que ces "nouvelles technologies" sont aussi un miroir aux alouettes et parfois un alibi pour ne pas avoir d'idées. Je crois qu'il nous faut d'abord concevoir le concept des bibliothèques de demain. Certes, il nous faut de nouveaux outils, mais attention à ne pas se laisser berner par l'outil lui-même ! Attention à ne pas créer, ça et là, sous prétexte de réseaux, de véritables tours de Babel. Certes, tout le monde veut la coopération, tout le monde veut un réseau, mais que dire, si nous sommes demain à la tête de 36 000 réseaux ? La France est un petit pays. Elle a vraiment besoin de travailler avec l'Europe. Et il nous faut nous mettre d'accord sur des procédures de travail qui nous permettent, le plus rapidement possible, de travailler avec nos voisins européens.

    Au changement de concept, s'ajoutent des changements institutionnels. Les centres de décision ne sont plus les mêmes aujourd'hui qu'hier. Les administrations centrales par exemple jouent davantage un rôle de conseil et d'études et moins de tutelle. Les vrais centres de décisions sont aujourd'hui les collectivités locales et les universités. Les concepts de bibliothèque publique, de bibliothèque universitaire, vont profondément évoluer. La continuité de la lecture est un véritable enjeu pour tous. Qui est-ce qui lit ? Ce sont les mêmes qui fréquentent les bibliothèques municipales, les bibliothèques universitaires. Ce sont des jeunes, qui ont entre dix-huit et vingt-cinq ans. Et ce sont ces gens-là, qui viennent dans les bibliothèques. Autre évolution qui se produit sous nos yeux : la dispersion des lieux de lecture et d'information. Les bibliothèques centrales demeurent essentielles mais, en même temps, on observe une ramification de l'information par la télématique, et une ramification des bibliothèques (cas par exemple des antennes universitaires). Que nous le voulions ou non, ces évolutions sont en cours, et nous devons les prendre en considération. C'est à nous de prendre en compte une conception peut-être plus continue entre lecture publique et lecture universitaire.

    Ces nouveaux concepts, cette nouvelle réflexion sur la bibliothèque, c'est à vous, les associations professionnelles, d'y réfléchir et d'en tenir compte dans vos propositions. C'est à nous, les administrations centrales, de participer à cette réflexion, et de confronter nos vues les uns avec les autres. C'est à ce travail fructueux que je vous invite, en vous remerciant de votre accueil.