Aucun sujet de débat ne saurait être plus opportun aujourd'hui que celui de la formation professionnelle. On sait que la formation des bibliothécaires, comme celle des documentalistes, n'est qu'un immense chantier sur lequel nous devons tous travailler de façon urgente. La parution de nouveaux statuts, mais plus encore l'évolution profonde et rapide des métiers de la lecture et de la documentation, aussi bien sur les plans technique et scientifique que sur les plans administratif et politique, ont rendu indispensables une réflexion complète et une refonte de nos conceptions sur la formation professionnelle.
Jadis, un conservateur était souvent un érudit, parfois un technicien, rarement un administrateur. Il doit être aujourd'hui les trois à la fois. Comme l'avait analysé Claude Jolly dans l'un des travaux du Conseil supérieur, un-conservateur doit être à la fois un savant, un ingénieur et un gestionnaire, au fait non seulement de son travail administratif, mais des conditions locales de l'exercice de celui-ci. S'il n'est pas excellent dans les trois domaines, il doit l'être dans l'un d'eux et très bon dans les deux autres : on ne peut faire l'économie d'aucun de ces aspects.
Les enseignements de l'ENSB ont déjà évolué dans ce sens et supposent indiscutablement un renforcement des programmes qui nous fait regretter que la scolarité n'en ait pas été portée à deux ans, comme nous l'espérions tous. Puisqu'il faut nous contenter de 18 mois, il est conseillé aux élèves d'utiliser la possibilité qui leur est offerte de poursuivre leurs études sur 6 mois supplémentaires, sur le crédit de formation permanente qui leur est alloué pour leur carrière, afin de se retrouver en phase avec le DESS qu'ils doivent soutenir. La réalisation d'une thèse est bien le moins qu'on puisse exiger de personnes qui consacreront leur vie à servir les chercheurs.
Il importe aussi de penser nos enseignements supérieurs en fonction de ceux des écoles de pays européens qui ont une tradition beaucoup plus forte que la nôtre et offrent des cursus de six ou sept ans pour former des conservateurs du plus haut niveau avec lesquels nous serons en concurrence.
Une commission de réforme des programmes se met donc actuellement en place et j'en ai accepté la présidence. Nous ne partons pas de rien. Les efforts conséquents de l'ENSB et de son directeur Jacques Kériguy ont d'ores et déjà mis cette école à même de répondre à ces nouvelles exigences. Malgré la limitation de son cursus, elle ne doit pas dévier de ses ambitions premières que viendra confirmer sa promotion au rang des grands établissements de l'éducation nationale.
Un dernier point concernant l'encadrement de nos bibliothèques. La diversification des bibliothèques, de leurs annexes, ou, dans les universités, des bibliothèques associées, très insuffisamment encadrées, doit amener logiquement une diversification des profils des postes d'encadrement. Pour satisfaire à l'ensemble de leurs besoins, il faut raisonner non seulement en terme d'expansion du corps des conservateurs mais en terme de catégorie A en général et accueillir des professionnels de haut niveau venus d'autres corps, qu'il s'agisse d'administrateurs ou d'ingénieurs, partout où ils seront à leur place. L'ouverture est une condition de réussite. Mais la contrepartie de cette ouverture est de garder aux conservateurs de bibliothèque la direction effective des établissements. C'est aussi là l'enjeu de la revalorisation des cursus et des diplômes qui doit donc être importante si elle veut être efficace.
En ce qui concerne les catégories dites intermédiaires, dont certains regrettent le trop grand nombre, il faut bien voir que leur diversité correspond aussi à une démultiplication des tâches et des responsabilités dans des établissements de plus en plus lourds ou dont l'articulation est de plus en plus complexe. Si l'on veut répondre à ces nouveaux besoins, chacun à son niveau, cette diversité peut être un progrès. Mais elle peut être aussi un danger si l'on ne prend garde à respecter l'adéquation de ces niveaux statutaires avec celui de la formation de ceux qui les occupent. Or si les statuts sont rigides, la formation évolue, par les recyclages ou la formation continue d'une part, mais d'abord et surtout par l'expérience professionnelle acquise au cours de la carrière. La contrepartie de cette fixité et de cette complexité des corps intermédiaires doit donc être nécessairement une grande fluidité de l'un à l'autre. Il ne s'agit pas là, on s'en doute, d'une demande unilatérale des personnels intéressés à ne pas faire leur carrière dans une sorte de tunnel. C'est une demande des employeurs et avant tout des élus des collectivités locales soucieux de décloisonner les institutions dont ils ont la charge et d'organiser, dans leur collectivité, ce que l'un d'entre eux appelait à juste titre "la continuité de la lecture", c'est-à-dire un autre "ser-vice commun de la documentation" propre aux collectivités territoriales, à travers les bibliothèques, les écoles, les musées, les centres d'information et les centres culturels d'une même communauté.
Les formations correspondantes doivent être non seulement revalorisées, et passer à un cursus de deux ans, mais aussi assouplies pour offrir des modules communs, aux documentalistes, aux bibliothécaires, voire aux enseignants, et des modules spécialisés nombreux dans des domaines encore mal couverts : l'information scientifique et technique, l'audiovisuel, etc. Seul le cadre universitaire peut abriter un tel registre et organiser une telle souplesse. Pour décloisonner les carrières, il faut décloisonner les formations. La réflexion que mène la commission des programmes du CAFB doit donc s'harmoniser avec celles qui sont menées actuellement sur la préparation au CAPES de documentaliste des lycées et collèges, sur la mise en place de nouvelles filières de documentation dans les IUT et dans les universités, et sur le rôle que s'assignent les IUFM en matière documentaire. Il ne faut pas manquer cette occasion unique d'une réflexion commune pour offrir des enseignements supérieurs, courts ou longs, de la lecture et de la recherche documentaire communs aux bibliothécaires, aux documentalistes et même, ne serait-ce qu'à un niveau déterminé, à tous les enseignants quelles que soient leurs disciplines, dont nous savons qu'aucune aujourd'hui ne peut ignorer la méthodologie de l'accès et de l'usage des bibliothèques.
Il faut tenir compte enfin, là encore, de la demande qui se fait jour d'ouvrir des bibliothèques jus-qu'alors discrètes ou confidentielles. Le patrimoine français est riche de bibliothèques sous encadrées et sous utilisées : bibliothèques des grandes écoles, bibliothèques des ministères, bibliothèques françaises à l'étranger, bibliothèques des écoles normales d'instituteurs, des écoles des beaux-arts, des conservatoires, des musées, etc. Celles-ci ont le juste souci de ne pas être marginalisées dans les réseaux et les programmes d'échanges sans lesquels elles ne pourront survivre.
Une enquête récente : Il s'agit de l'enquête sur les bibliothèques des ministères menée par la Commission de la coordination de la documentation administrative qui doit être publiée prochainement, a montré que le bon fonctionnement d'une bibliothèque reposait essentiellement sur son respect des règles professionnelles, respect qui repose lui-même moins sur le montant des crédits ou l'importance des moyens informatiques mis en oeuvre que sur la compétence de son personnel. Là encore la formation doit répondre à des demandes de plus en plus nombreuses, exigeantes, mais aussi de plus en plus variées.
J'en viens enfin aux formations à la base qui sont, elles aussi, à repenser. Le Conseil supérieur l'a déjà dit et répété : il est anormal qu'un pays qui s'efforce d'amener 80% d'une classe d'âge au baccalauréat, accepte un seul agent non diplômé dans ses bibliothèques. Là encore, la diversification et la professionnalisation des tâches doivent recevoir, dans les corps de catégorie C, leur reconnaissance statutaire. Pour ces corps également, un véritable cycle de formation continue doit favoriser les promotions internes et assurer de véritables plans de carrières.
Le demande de formation continue est en effet immense à tous les niveaux : on le constate dans l'affluence croissante aux stages et aux journées d'études. Si ceux-ci se multiplient avec succès -et il faut féliciter les associations professionnelles d'y contribuer autant qu'elles le peuvent- ils laissent néanmoins le vaste domaine de la formation continue dans une situation de déficit. La formation continue reste sporadique, et nécessairement assurée par des organismes de plus en plus variés : CNFPT, centre de Massy, Direction du Livre, agences de coopération, associations professionnelles. Elle manque d'un programme ambitieux et méthodique.
Une véritable coordination identifiant les besoins et marquant les objectifs niveau par niveau, spécialité par spécialité, mais quelles que soient les administrations de tutelle, serait souhaitable et le Conseil supérieur des bibliothèques mettra dès la rentrée cette question à son ordre du jour. Une formation continue, elle aussi diversifiée, mais étayée sur des études de besoins solides et communes aux différents ministères serait la poutre maîtresse de l'édifice qu'il nous reste à construire ensemble.
Voilà les recommandations générales que le Conseil supérieur des bibliothèques peut énoncer après en avoir discuté, dès ses premières séances, voilà déjà un an. Il n'est pas dans la vocation du Conseil, et je dirai même dans ses possibilités matérielles, d'interférer avec les négociations particulières ou sectorielles -si importantes soient-elles- que les partenaires sociaux ont à mener. Mais il doit signaler les objectifs prioritaires d'une profession dont on aime dire qu'elle est en mutation mais dont il vaudrait mieux, ou plus souvent, dire qu'elle est en progrès.