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    Profession restaurateur

    Par Jean-Louis Alexandre, relieur-restaurateur en Bourgogne

    Je parle ici en mon nom propre et non pas en tant que représentant de la profession. Il n'existe d'ailleurs, pour l'instant, aucune structure représentative des restaurateurs, ni en France, ni dans les autres pays européens.

    Pour préparer cet exposé, j'ai lancé une enquête auprès des personnes qui, en France, se disent restaurateurs. Sur 140 questionnaires envoyés, nous n'avons reçu que 23 réponses ! Mais cette enquête a toutefois confirmé qu'il existe un très grand éventail de restaurateurs. Parmi eux, ceux qui, relieurs au départ, se sont spécialisés en restauration à la suite de demandes de particuliers ou de bibliothèques et ceux qui, ayant travaillé dans les ateliers de la Bibliothèque nationale, s'installent par la suite à leur compte. Entendons-nous sur ce que recouvre le terme de "restauration". Pendant longtemps reliure et restauration de reliure sont restées étroitement mêlées. Seuls quelques ateliers nationaux mettaient au point des techniques spécifiques à la remise en état de coutures, plats ou tranchefiles. Les méthodes scientifiques et pointues de restauration se sont dans un premier temps développées dans le domaine du papier. Ce n'est que depuis une dizaine d'années que la notion de restauration de la reliure, au sens plein du terme, s'est affirmée dans un public plus large.

    Mode de formation des restaurateurs en Europe et aux Etats-Unis

    C'est apparemment au Royaume-Uni que l'enseignement du métier de restaurateur de livre est le plus développé. C'est aussi le seul pays où il existe un guide de toutes les filières de formation, qu'elles soient universitaires ou données au sein des musées, des bibliothèques ou des collèges techniques. C'est enfin le pays qui s'est le plus tôt intéressé à la restauration des reliures.

    Pour l'Allemagne, je n'ai pas obtenu beaucoup de renseignements. La formation se fait essentiellement dans des ateliers de bibliothèques et dans des ateliers privés. Les Allemands cherchent à définir une déontologie du métier de restaurateur.

    En Italie, il y a foisonnement de lieux d'apprentissage : les bibliothèques, les musées, certaines associations de sauvegarde, d'autres encore qui dispensent des cours ou organisent des stages, ouverts très souvent aux étrangers. L'Italie essaie de mettre sur pied un ordre des restaurateurs qui définirait une déontologie, une réglementation du métier et réaliserait surtout une unification de la profession.

    Aux Etats-Unis, un peu comme ailleurs, la formation se fait au sein des ateliers des universités ou des bibliothèques. L'accent est mis davantage sur le papier que sur la reliure. Pour tous ces pays, et même pour la France, si on s'intéressait à la reliure, on s'intéressait au décor mais très peu aux techniques et, quand on s'intéressait aux techniques, on s'occupait peu du contenu du livre. On ne faisait pas d'étude globale, ce qui se fait maintenant considérant, en effet qu'il est impossible de bien restaurer un livre sans connaître son histoire et son contenu.

    La formation des restaurateurs en France

    Il existe à Paris 1 une maîtrise de sciences et techniques (formation sur 4 ans). Les deux premières années sont une formation commune à tous les métiers de la restauration des objets d'art, ensuite il y a, pendant les deux dernières années, une spécialisation sur la restauration du papier.

    Une seule école en France, l'UCAD (Union centrale des arts décoratifs) dispense des cours de restauration orientée cette fois sur la reliure. Le cycle d'études est de trois ans (il a commencé il y a deux ans, la première promotion d'élèves n'est donc pas encore sortie) au bout duquel est prévu un brevet des métiers d'art mais celui-ci n'est pas encore reconnu. Une convention a été signée entre cette école, la Direction du Livre et de la lecture et la Bibliothèque nationale. Les cours sont donnés par des professionnels de la Bibliothèque nationale. L'enseignement est très théorique ; il manque bien évidemment une pratique longue.

    Il existe parallèlement à cela toute une brochette de cours, de stages. Certaines méthodes sont fantaisistes, du style "apprendre la restauration en 10 leçons", méthodes à l'égard desquelles il faut rester très méfiants. On peut vous annoncer par exemple des restaurations qui resteront invisibles, alors qu'au contraire une restauration doit être visible. Des interventions dures peuvent aussi faire disparaître définitivement des éléments utiles à l'histoire du livre. Il est toujours prudent de demander plusieurs avis avant d'entreprendre une restauration.

    Le dernier mode de formation, de loin le plus répandu est celui qui s'exerce "sur le tas", c'est-à-dire à l'intérieur d'ateliers. Les ateliers de restauration de la Bibliothèque nationale forment en priorité leur propre personnel et prennent en stage pour des durées limitées des agents relevant de la Fonction Publique d'Etat ou de la Fonction Publique territoriale, présentés par leur administration, et justifiant d'une expérience dans le domaine de la conservation ou de la restauration, ainsi que des élèves d'écoles de reliure sur demande de leur établissement. Les restaurateurs privés acceptent également de prendre en formation des personnes intéressées mais la prudence doit rester de règle car ces ateliers ont des activités variées pas toujours adaptées à une telle formation.

    Dans le peu de réponses obtenues à mon enquête, je me suis aperçu que des ateliers proposent des choses aberrantes : certains sont fiers de leurs restaurations invisibles (!) et des procédés qu'ils ont mis au point ... à base de sel de mer et de clair de pleine lune

    Restauration idéale

    Pour terminer, je voudrais essayer de dire comment je conçois une restauration idéale, si ça peut exister : J'ai toujours coutume de comparer le livre à un site (non à un objet) archéologique et une intervention, à une fouille : on va bouleverser un état qui reflète la vie du livre sur plusieurs siècles- et lors du démontage, on peut se livrer à une quantité d'observations aussi bien sur les techniques, les remaniements que sur les accidents survenus, tels des taches.

    A ce propos, des restaurateurs proposent des lavages qui feront disparaître des taches qui peuvent être significatives. Un livre peut encore comporter ex-libris, notes, poussières (tabac à priser, miettes de pain...), fleurs séchées, etc, éléments dont il faut tenir compte et qu'il est préférable de conserver. Au cours de cette fouille sur le livre, il faut passer par trois étapes : avant, pendant et après la restauration

    Avant la restauration

    Il faut prévoir une collaboration étroite entre le bibliothécaire et le restaurateur. Le bibliothécaire a en général la connaissance bibliographique et la connaissance de l'histoire du fonds de livres. Le restaurateur donnera son avis et proposera des interventions douces. Cette collaboration permettra de préparer des dossiers, photographique, bibliographique et technique. Si la restauration est décidée, il y a tout de suite des précautions à prendre.

    Pendant la restauration

    Le moment du démontage est vraiment une étape très importante. C'est là qu'apparaissent des éléments qui n'étaient pas visibles avant, par exemple des réemplois de plats, des réparations anciennes. La présence dans l'atelier du restaurateur du bibliothécaire qui a confié le travail est nécessaire à cette phase, pour qu'il puisse être au courant des découvertes faites.

    De nombreux croquis, des photographies permettront de garder en mémoire ces découvertes. Il est aussi absolument impératif de conserver tout élément qui ne sera pas remonté, par exemple les morceaux de parchemin altérés devenus cassants avec le temps, qui servaient de charnières au livre. Leur conservation devra se faire à part mais très près du livre ; des boîtes pour maintenir la reliure restaurée et garder les éléments dissociés sont recommandées.

    Après la restauration

    Au moment de la réception par le bibliothécaire du travail terminé, le dossier devra être complété. On s'en remet souvent pour cela au restaurateur mais une formation du bibliothécaire permettrait une meilleure collaboration. Le dossier comportera les photographies, les éléments retirés et des fiches sur les techniques employées et les matériaux utilisés pour la restauration. Il est aussi possible et souhaitable de faire connaître les travaux exécutés par des publications.

    Projets en matière de restauration

    Actuellement il n'existe pas de tribune où les restaurateurs pourraient faire part de leurs trouvailles. Un tel projet semble se dessiner à la Mission de la recherche au Ministère de la culture. Deux autres projets au sein de la Bibliothèque de France permettraient une meilleure coordination dans la profession.

    • Un centre de formation et d'information. En même temps, centre de documentation et laboratoire, les restaurateurs (de la Bibliothèque nationale comme du privé) pourraient y effectuer des analyses du papier, du bois, des cuirs, des teintures, des pigments...
    • La Bibliothèque de France proposerait aussi "une aide au diagnostic" et une gestion des ateliers assistée par ordinateur. Ce service aurait pour but de faciliter, dans un premier temps, dans les ateliers nationaux l'élaboration des devis puis des factures. L'établissement de devis est en effet très délicat, certaines manipulations sont classiques mais comme nous l'avons vu, il y a par.fois des surprises au démontage. L'idéal serait de pouvoir faire des devis à deux vitesses (un premier devis global puis une modification au moment du démontage arrivant ainsi à un devis précis.)

    L'autre avantage de cette informatisation serait de créer une banque de données sur les différentes techniques. Un classement établi selon les différents éléments : les ais, les tranchefiles, la couture permettrait les comparaisons. Les chercheurs qui voudraient étudier, par exemple, les ateliers locaux de reliure ancienne, y trouveraient des informations intéressantes.

    Le gros problème au sein de la profession de restaurateurs, ce sont les lacunes de leur formation, très technique. Ils n'ont pas de formation dite générale, en histoire surtout. Il faudrait même une approche de l'archéologie. Un restaurateur devrait acquérir des connaissances sur l'histoire du livre, des décors, des techniques et, par une formation commune avec les bibliothécaires, sur l'histoire des fonds. On ne peut se contenter de la situation actuelle qui consiste à avoir des restaurateurs munis d'un seul CAP de reliure.