Index des revues

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    Par Jean Claude Utard
    Martine Burgos
    Gennadji Jakimov
    Jacques Leenhardt
    Martine Poulain, préf

    Regards européens

    La lecture d'est en ouest

    Paris, Bibliothèque publique d'information, 1993. - (coll. Etudes et recherche). - ISBN 2-902706-64-2. Prix : 85 F

    Issues d'une rencontre organisée par la table ronde "recherches sur la lecture" de la Fédération internationale des associations de bibliothécaires, les contributions réunies dans ce recueil sont autant d'approches diverses, voire disparates, de la place de la lecture dans plusieurs pays européens.

    L'Europe est donc le seul point commun à ces études. La lecture peut-elle, en effet, avoir les mêmes fonctions ou prendre les mêmes modalités dans des pays qui ont subi la censure d'Etat et se retrouvent au centre d'un bouleversement politique et social sans précédent, et dans d'autres qui, au contraire, connaissent apparemment une très grande stabilité ?

    Une première série de communications présente la "déstabilisation extraordinaire" des modes et choix de lectures que les pays de l'Est viennent de connaître. G. Jakinov, par exemple, rappelle ce qu'était la censure d'Etat en URSS, et corrélativement ce que proposait l'édition officielle : toute littérature non-conformiste était bannie et la littérature-loisir elle-même était dévalorisée et condamnée. La liberté retrouvée permit à de multiples publications de voir le jour et dans un premier temps il y eut une fantastique soif de lire toute la littérature issue de la clandestinité ou de l'émigration. De nouveaux lecteurs apparurent, prêt à se plonger dans une littérature très différente de ce à quoi ils étaient habitués, entrainant même des files d'attente - avec aussi les multiples passe-droits, moyennant quelques services ou cadeaux - pour se procurer livres et revues de ce type dans les bibliothèques... Pendant quelques années on assista ainsi à un stupéfiant tourbillon de lectures où chacun s'essayait à de nouveaux genres littéraires, à de nouvelles confrontations : succès et insuccès se succédaient rapidement, il fallait faire preuve de la nouvelle liberté de juger par soi-même.

    Mais dans un second temps on s'aperçut que les lecteurs ne possédaient pas les mêmes facultés à remettre en cause leurs habitudes, qu'ils n'avaient pas les mêmes horizons d'attente vis à vis de leurs lectures. Passés l'enthousiasme initial et l'attrait de l'interdit, nombre d'oeuvres de cette littérature enfin libre s'avérèrent difficiles à lire pour beaucoup. Revint alors une demande de roman officiel, ou plus simplement de pure lecture-loisir. Plus la situation et la vie sociales et politiques devenaient difficiles, plus les choix se précisèrent, plus les lectures se re-spécialisèrent, plus il y eut aussi une demande de seule lecture-distraction. On en revint donc à l'ordinaire...

    Cet ordinaire, cependant, est loin d'être uniforme. Les études sur nos lectures occidentales sont là pour nous en convaincre. Les diversités sexuelles, sociales et nationales viennent interférer avec les singularités et parcours particuliers pour construire autant de modes de lectures différents. Et ce même pour un même livre, ainsi que le démontrent M. Burgos et J. Leenhardt interrogeant des lecteurs français, allemands et espagnols du Grand Cahier d'Agota Kristof. Si donc un texte littéraire peut être considéré comme une oeuvre ouverte vers de multiples significations, la lecture est souvent restreinte parce que "inscrite en un lieu et un moment médiatisé, par un individu singulier dont les modes opératoires et les schèmes de compréhension sont cependant élaborés collectivement. Ceci conduit à avancer l'idée qu'une lecture impose au texte une clôture provisoire et relative, selon qu'elle se montre ellemême généreuse ou partisane..."

    La lecture est donc toujours "construction de sens et de soi", comme le note M. Poulain dans sa préface, mais si chaque lecteur, chaque lecture peuvent toujours être considérés comme une invention, une re-création, il existe "des configurations entre la lecture et l'histoire passée et contemporaine des peuples", pour ne citer qu'un déterminisme.

    Nous n'en avons donc pas fini d'étudier une telle activité qui toujours oscille entre liberté et contraintes, entre aventure individuelle et confrontation à l'universel, entre création et détermination.