(1) La destruction de trésors culturels a, depuis des siècles, exercé une véritable fascination sur les universitaires, et cela est plus vrai aujourd'hui que jamais.
Avant même Alexandrie, les conséquences des désastres d'origine naturelle ou humaine pour les livres et les bibliothèques ont suscité l'attention (même si l'on en restait au stade de la lamentation, sans aboutir à une description ou à une explication).
Si l'expropriation et le vol laissent un espoir de voir le patrimoine culturel réintégrer son lieu d'appartenance original, l'espoir est en revanche bien mince dans des cas d'incendie, d'inondation ou de toute autre catastrophe (2) . Il arrive, dans certains cas, que les deux types de menaces soient combinés. La période qui a suivi la colonisation et la guerre froide -c'est-à-dire les vingt-cinq dernières années- a vu surgir des questions épineuses et quelquefois inédites au sujet des objets culturels en général, et des livres en particulier.
La destruction et la dispersion du contenu bibliographique du Hanlin Yuan (ou Académie de Hanlin, qui était le centre impérial d'études universitaires) à Pékin en 1900, est un de ces événements qui ont éveillé la curiosité de quelques historiens des bibliothèques. La conférence de l'IFLA, tenue à Pékin en 1996, semble une occasion mémorable d'ouvrir et d'approfondir le débat.
A cette fin, cet article cherche à définir le contexte historique de l'événement, à évoquer les actions qui ont réellement causé la destruction, à décrire l'importance des collections concernées, à évaluer l'étendue et les conséquences de leur perte et, en conclusion, à donner à cet épisode sa place dans l'histoire des bibliothèques telle qu'on l'aborde aujourd'hui.
Le siège des légations étrangères alliées par les Boxers (plus connu en Chine sous le nom de « Mouvement des Yihe Tuan ) pendant l'été 1900 ne fut pas un événement isolé de tout contexte. On doit le considérer comme l'expression de la tension qui s'aggravait entre, d'un côté le peuple et le gouvernement chinois, et de l'autre les puissances occidentales avec leurs prétentions religieuses, militaires et commerciales. Parce que les missions diplomatiques étrangères (européennes, américaine et japonaise) étaient menacées par le siège de Pékin, celui-ci attira l'attention du monde entier, beaucoup plus que les événements antérieurs. Cependant, pour les Chinois, cet épisode de deux mois fut, comme l'écrivit un historien, de médiocre importance », car il fut éclipsé par les concessions humiliantes et les réparations écrasantes subies par la suite (3) .
Au XIXesiècle, la Chine connaît un cycle de fragmentations et réformes » successives, tandis que la Grande-Bretagne et les autres puissances étrangères font obstacle aux efforts des Chinois pour juguler le trafic de l'opium, pour contrecarrer leur exploitation commerciale et l'activité des missionnaires (4) . On peut ici évoquer, sans entrer dans la complexité de ces événements : les Guerres de l'Opium de 18391842 et 1857-1858 dans le sud-est du pays ; le mouvement T'ai P'ing de 18511866 dans les régions du centre et dont la base était à Nankin ; les Révoltes musulmanes de 1855-1873 au nord-ouest et au sud-ouest ; la perte d'un certain nombre d'États-satellites. Tous ces événements encouragent les efforts pour renforcer le gouvernement impérial par un état d'alerte militaire permanente et des réformes restreintes. Ce processus devait, à la fin du siècle, connaître de rudes coups d'arrêt : les désastreuses guerres contre la France (années 1880) et le Japon (1894-1895), ainsi que la menace fort inquiétante de la Russie.
Le morcellement des régions autour de l'empire chinois, et le fait que le Yang-Tsé Kiang accueille sur ses rives des ports régis par des traités et des concessions, eurent deux conséquences simultanées : les pratiques administratives occidentales durent s'adapter dans une certaine mesure, et les citoyens chinois avisés furent en butte à un fort courant d'antipathie. Une brève tentative de réforme, amorcée par l'empereur Guangxu sous l'autorité de K'ang You-Wei pendant l'été de 1898, fut étouffée par l'impératrice douairière Cixi, qui gouvernait de facto la Chine depuis les années 1860, c'est-à-dire pendant tout le règne de la dynastie Qing. Par l'accumulation de toutes ces frustrations, on semblait arrivé à un nouveau point de rupture.
La province du Shandong, qui était peutêtre celle sur laquelle les puissances occidentales avaient le plus empiété, fut à l'origine d'une reprise des révoltes populaires contre les étrangers en général, les missionnaires en particulier, et aussi contre la plupart de ceux qui, parmi les Chinois, s'étaient convertis au christianisme.
Nés en 1898, les Poings de la Justice » («Yihe Tuan"comme ils se nommaient eux-mêmes) ou « Boxers le nom que leur donna l'Occident) profitèrent du terreau des sociétés secrètes et de la pratique de rites magiques, comme avant eux la Société du Petit Couteau, les groupes de la Lanterne Rouge et la secte du Lotus Blanc. Les Boxers, qui se proclament à l'épreuve des balles et des épées, et ont foi en une mythologie populaire qui mêle religion et rituels de rue, appellent à la révocation du traitement de faveur accordé aux chrétiens chinois et européens. En 1899, ils se mettent à saccager les biens et à tuer les convertis et les étrangers, dans les provinces du Shandong et du Hebei (5) . Simultanément, une gigantesque crue du Fleuve Jaune semble confirmer que l'heure du châtiment des étrangers est venue.
Les puissances occidentales sont commotionnées par la Révolte des Boxers, mais y voient un moyen d'étendre leur influence et d'assurer leur sécurité. Ainsi, elles demandent d'une part au gouvernement des Qing de mettre en oeuvre des stratégies pour venir à bout du Mouvement des Yihe Tuan, tandis que, d'autre part, elles préparent leurs propres troupes à passer à l'action grâce à des négociations (entre le 28 et le 30 mai). Le 31 mai, plus de 400 soldats des puissances alliées entrent dans Pékin, "pour protéger les légations » (6) . Peu après, les Boxers pénètrent dans la capitale, précédés de dizaines de missionnaires occidentaux, et de milliers de Chinois christianisés. Le 10 juin, les forces alliées (composées de 2 064 hommes venus d'Autriche-Hongrie, de France, de Grande-Bretagne, d'Allemagne, d'Italie, du Japon et des États-Unis, sous le commandement de l'amiral britannique Seymour) débarquent à Dagu et à Tianjin. Le lendemain, les Boxers assassinent un diplomate japonais et, le surlendemain, les forces alliées enlèvent à Dagu les forts qui commandent l'entrée de Tianjin, à l'extrémité de l'axe routier et ferroviaire desservant Pékin. Le 20 juin, un ministre allemand est assassiné alors qu'il se rendait au Zongli Yamen (bureau de l'administration du commerce des pays étrangers, ou bureau du commerce étranger), à Pékin. Le lendemain, le gouvernement des Qing se trouve contraint de déclarer la guerre aux forces alliées, et donne l'ordre aux soldats de la garde impériale des Qing et aux Boxers, soit environ 200 000 soldats, de mettre le siège devant le quartier des légations, défendu par environ 450 gardes. Le siège durera jusqu'à l'arrivée d'un corps expéditionnaire, qui pénètre dans Pékin le 14 août (7) .
Le siège de Pékin (qu'un historien désigna comme l'épisode [de la Guerre des Boxers] dont on se souvient le mieux à l'étranger ») fut un événement dramatique, qui capta l'attention du monde entier, ce qui le distingue d'incidents mineurs (8) . Cet article n'entend pas retracer le siège, ni la manière dont il fut levé, ou encore ce qu'il advint ensuite (quelques passionnantes que soient ces questions). Quand les assauts commencèrent pour de bon (avec la bénédiction de l'impératrice douairière), les otages alliés et les chrétiens chinois qu'ils avaient convertis se préparèrent à un siège, sans savoir combien de temps il durerait. Les préparatifs consistèrent à consolider la petite zone qu'ils contrôlaient et ses fortifications, et à reloger les quelque 3 000 personnes qui vivaient aux extrémités les plus exposées de cette zone.
Peu de temps après le premier assaut, alors que Sir Claude MacDonald s'imposait comme commandant en chef, le samedi 23 juin, les Chinois testèrent le périmètre du côté ouest de l'enclave en mettant le feu dans un quartier d'habitations chinoises au sud de la légation britannique. Le feu devenait une nouvelle et terrifiante arme tactique. Au nord de la légation se trouvait le Hanlin Yuan, ensemble de cours intérieures et de bâtiments qui abritait la quintessence de l'érudition chinoise [...], la plus vieille et la plus riche des bibliothèques du monde (9) . " Un jour, tard dans la matinée, un incendie y fut maîtrisé et l'enceinte fut vidée des troupes chinoises qui s'y trouvaient (10) . Les Britanniques commencèrent à redouter que les intentions des pyromanes ennemis pussent inclure ce lieu vulnérable ; en effet, à certains endroits, les bâtiments étaient à portée de la main des murs britanniques. Cependant, les alliés, connaissant la vénération que les Chinois entretenaient pour leur patrimoine culturel, pensaient ne pas avoir à craindre de velléités destructrices de ce côté-là (11) .
Pourtant, le dimanche 24 juin, quand les vents tournèrent au nord et forcirent, l'imprévu se produisit : les bâtiments du Hanlin, et la bibliothèque qui jouxtait le bâtiment britannique, furent attaqués par un incendie d'une ampleur plus grande que le précédent. Fleming résume ainsi les descriptions des contemporains: « Les vieux bâtiments brûlaient comme du petit bois dans un rugissement qui submergeait les crépitements réguliers des coups de feu tirés à travers la fumée par les musulmans de Tung Fu-Shiang depuis des fenêtres hautes. » Les marins britanniques s'engouffrèrent par un trou de leur mur, qui avait été pratiqué près d'un des cloîtres du Hanlin, suivis d'une foule bigarrée, et formèrent une chaîne pour acheminer des seaux d'eau. Je cite à nouveau Fleming: «Quelques-uns des incendiaires furent abattus, mais les bâtiments étaient devenus un enfer, et les vieux arbres qui les entouraient brûlaient comme des torches. Il semblait que rien ne pourrait sauver la légation britannique, dont dépendait pourtant tout le dispositif de défense. Mais à la dernière minute, le vent vira au nord-ouest, et le danger le plus imminent fut ainsi écarté. » Ceux qui combattaient l'incendie avaient déjà démoli la première salle du Hanlin. La suivante était la bibliothèque. Lancelot Giles, fils de Herbert A. Giles, et témoin oculaire de la scène, la décrit ainsi :
« On tenta de sauver la célèbre Yung Lo Ta Tien (aujourd'hui translitérée Yong Lo Da Dia), mais de grandes quantités d'ouvrages avaient déjà été détruits, aussi la tentative fut-elle abandonnée. Je sauvai le volume (section ou chuan) 13 345 pour moi-même (12) . «
Les Chinois ont suggéré que les Britanniques avaient détruit la bibliothèque par mesure défensive ; cependant, les Britanniques, mentionnant dans leurs récits la direction du vent, ont soutenu que « les Chinois [avaient] mis le feu au Hanlin, poursuivant systématiquement leur oeuvre de destruction d'une cour intérieure à l'autre. Toute essentielle qu'elle soit, cette question est éclipsée par celle de l'évaluation de l'importance de la bibliothèque du Hanlin, et de sa destruction au profit des flammes et des pillards.
On ne connaît pas avec certitude le contenu exact de la bibliothèque du Hanlin. Il ne subsiste aucun catalogue de ses collections. Ce que l'on sait, c'est que les documents qui s'y trouvaient étaient irremplaçables. Parmi le fonds se trouvait la très réputée collection encyclopédique Yong Lo Da Dia, qui avait été commandée au début du XV siècle par l'empereur de la dynastie Ming; il y avait aussi les textes originaux de Siku Quan Shu, la Bibliothèque aux Quatre Trésors, que je me propose d'évoquer maintenant (13) .
C'était, dans son genre, l'une des oeuvres les plus considérables jamais produites. Cette première encyclopédie fut compilée entre 1403 et 1407 par Chu Ti, empereur de Yung Lo de 1403 à 1424 et se composait de 22 937 sections (appelées chuan), dont 60 étaient occupées par la seule table des matières. En tout, les 22 937 sections (chuan) ou oeuvres, réparties en Il 095 folios manuscrits, contenaient plus de 370 millions de mots, soit douze fois la célèbre encyclopédie de Diderot, réalisée au XVIIIe siècle (14) .
Après une accession au trône sanglante, et suivant en cela la suggestion du chancelier Hsich Chin, l'empereur, protecteur des lettres, autorisa et fit mettre en oeuvre la réunion et la copie des trésors du patrimoine littéraire chinois. Il chargea son chancelier de superviser les opérations.
Plus de 2000 érudits, et beaucoup de dignitaires impériaux, cantonnés dans la bibliothèque impériale de Nankin, participèrent au travail de compilation. Certains passèrent la campagne au peigne fin, à la recherche de textes qui n'appartenaient pas aux collections de la bibliothèque impériale et n'avaient pas non plus été recopiés depuis les temps anciens. Finalement, ce furent quelque 8 000 ouvrages, depuis les temps anciens jusqu'au début de la dynastie Ming, qui se trouvèrent englobés dans cette vaste compilation. Ils couvraient un large éventail de sujets, parmi lesquels l'agriculture, les arts, l'astronomie, le théâtre, la géologie, l'histoire, la littérature, la médecine, les sciences naturelles, la religion, la technologie, ainsi que des descriptions de phénomènes naturels inhabituels.
A cause du coût de la taille des blocs de bois, l'encyclopédie ne fut jamais imprimée, mais n'exista qu'en un seul exemplaire manuscrit, à Nankin. Elle fut ensuite transportée à Pékin, en 1424, et conservée dans le palais impérial, au sein de la Cité interdite. Après qu'elle eut été exposée à un incendie en 1557, on en produisit un second exemplaire dans les années 1560, que l'on conserva dans le Huang Shi Chen (le bâtiment des archives impériales), et que l'on transporta ensuite à la bibliothèque du Hanlin sous l'empereur Yong Zheng (qui régna de 1723 à 1736). Les textes originaux de la Yong Lo Da Dia furent, croit-on, détruits par un incendie à Nankin en 1449, et la première copie manuscrite périt peut-être au cours de l'effondrement deladynastie Ming. (15)
L'exemplaire restant était alors au Hanlin Yuan où, en dépit de la vénération que lui vouaient érudits et empereurs, il fut en butte à divers aléas qui causèrent la perte de certaines de ses parties. Certains volumes furent dérobés par des collectionneurs ou des spéculateurs à la recherche d'objets précieux à revendre ou à conserver. D'autres furent perdus à cause de mauvaises conditions de conservation, ou furent victimes des conditions climatiques, des insectes, des rongeurs. La guerre et l'incendie emportèrent une autre partie de la collection. D'après certaines estimations, sur les 11 095 volumes de 1407, il en subsistait seulement 800 environ en 1900 ; les pertes les plus lourdes étaient survenues à la fin du XIXesiècle.
Pendant l'incendie de la bibliothèque du Hanlin et immédiatement après, alors que le feu couvait encore, le personnel de la légation britannique et celui des autres légations pénétra dans la bibliothèque et sauva, ou se contenta de déplacer, quelques-uns des volumes que le feu avait épargnés.
Fleming raconte :
« Quelques ouvrages et manuscrits intacts furent sauvés, à peu près au hasard, par des sinologues. Certains blocs de bois taillés à la main, sur lesquels étaient conservées des oeuvres très anciennes, furent emportés dans la légation britannique, où les marins les utilisèrent pour boucher des meurtrières, et les enfants pour construire des barricades et « jouer aux Boxers ", le seul jeu désormais à la mode. Pour le reste, le Hanlin et ses trésors patiemment amassés au long des siècles disparurent en quelques heures. Un vandalisme aussi gratuit et aussi lourd de conséquences aurait été difficile à pardonner chez les conquérants d'une ville assiégée. L'histoire n'offre aucun autre exemple de felo de se culturel (16) . »
Il va sans dire que tandis que le siège et la destruction des bâtiments se poursuivaient, les fronts se rapprochèrent, ce qui permit aux combattants aussi bien Chinois qu'alliés de s'emparer d'autres objets en guise de souvenirs. (17)
Une autre collection d'ouvrages classiques, la Siku Quan Shu (ou Bibliothèque aux Quatre Trésors) fut terminée en 1782, sous la dynastie mandchoue des Quing. Elle était composée d'environ 3 500 titres sélectionnés, contenus dans 36 000 volumes manuscrits, qui incluaient 385 livres tirés de la Yong Lo Da Dia. (18) Plusieurs exemplaires de cette série ont survécu. Mais l'essentiel de la collection du XV siècle, ainsi que les textes originaux de la Siku Quan Shu furent irrémédiablement perdus.
Le crépuscule de la dynastie Qing vit se créer une bibliothèque nationale qui se développa avec l'instauration de la République en 1912. Cette institution, connue sous diverses dénominations, initia une entreprise de récupération du plus grand nombre possible de volumes de la collection. Tout au long de notre siècle, on recensa plus de 370 volumes, soit environ 810 section (ou chuan), en Chine ou ailleurs. Au début des années 1950, l'Union Soviétique restitua 64 volumes conservés dans plusieurs dépôts. L'Allemagne de l'Est restitua trois volumes en 1955. En 1959, la bibliothèque de Pékin possédait 216 volumes. Aujourd'hui, 41 volumes sont conservés à la Bibliothèque du Congrès.
Les autorités chinoises ont photocopié tous les volumes connus de la collection qui se trouvent hors de Chine. Deux projets ont commencé la publication de l'intégrale de ces oeuvres. Les Zhong Hua Shu Ju (Presses de Chine) ont publié 797 sections (chuan) depuis 1959. Les Taïwanais ont quant à eux publié 742 sections en 100 volumes, en 1962. On ne peut que former des conjectures sur le nombre de volumes de cette collection unique qui sont conservés dans des bibliothèques de recherche d'Europe ou du Japon, ou chez des particuliers. Combien de volumes, emportés comme souvenirs en 1900 dans les légations alliées, sont-ils encore cachés dans des coffres, au fond de greniers ? Peut-être certains referont-ils surface un jour prochain ?
La destruction par le feu et les pillages de ce qui restait de la bibliothèque du Hanlin en 1900 dépasse le statut d'anecdote intéressante. Elle présente une signification symbolique.
D'abord, elle porte témoignage du caractère de fragilité du patrimoine écrit de toute civilisation. Les compilations de grande ampleur semblent dévaluer dans une certaine mesure les originaux qui servent à les réaliser; en effet, ce que l'on n'a pas choisi de recopier, ou que l'on a oublié, est la plupart du temps perdu.
Ensuite, dans le cas de la Chine, cette destruction illustre la menace qui pèse sur les richesses antiques. Cette menace naît de l'ignorance ou du manque de mise en valeur du patrimoine culturel. C'est le cas lorsqu'une société semble entrer dans une ère nouvelle, où l'héritage d'objets anciens ou même récents semble de peu d'intérêt, hormis au titre de curiosités.
D'autre part, aux périodes de soulèvements populaires, comme la Révolte des Boxers, le patrimoine culturel peut tomber aux mains de masses populaires qui ne l'apprécient pas à sa juste valeur, et peuvent même considérer sa destruction comme une bonne chose. Par exemple, des groupes illettrés, voyant dans les livres les outils de leur oppression, les détruiront ou n'empêcheront pas leur destruction.
Enfin, cet événement, quoique mineur aux yeux de beaucoup à l'échelle de l'histoire nationale ou mondiale, contient en réduction les ingrédients du conflit entre cultures nationales et puissances industrielles, caractéristique du XLXesiècle. Il semble en effet que la culture locale ait toujours eu à souffrir, pour de multiples raisons, des visées menaçantes de pays plus puissants.
En résumé, cet épisode illustre un des effets de la désintégration de la structure culturelle d'une grande nation, lors de la rencontre de son système de gouvernement multiséculaire avec le monde moderne. Il renferme tous les caractères explosifs de la rencontre de l'Orient et de l'Occident, les éléments de l'exploitation commerciale, du zèle missionnaire, des intérêts diplomatiques et de l'histoire militaire, auxquels se mêle l'émergence de nouvelles technologies. En somme, cet article ne saurait épuiser le caractère de symbole de la disparition de la bibliothèque du Hanlin.
NB. D.G. Davis Jr. nous signale que quelques informations nouvelles lui sont parvenues sur le rôle des Britanniques dans la destruction du Hanlin et qu'il se propose de développer cette étude et de la publier.