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Les nouvelles Alexandries: les grands chantiers de bibliothèques dans le monde

1996
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    Par Jacqueline Gascuel
    Michel Melot. -, dir

    Les nouvelles Alexandries: les grands chantiers de bibliothèques dans le monde

    Paris : Cercle de la librairie, 1996, 416 p. (Collection Bibliothèques). ISBN 2-7654-0619-7. Prix : 740 F.

    Ce beau volume invite à plusieurs lectures. Celle des images s'impose d'entrée de jeu, sollicitée par le contraste saisissant des voûtes bleutées du trou qui abritera les cinq étages du magasin de la bibliothèque royale de Suède et des tourelles rougeoyantes du chantier de la future bibliothèque d'Alexandrie. Et nous voilà invités à explorer du regard les nouvelles Alexandries. Reproductions de gravures anciennes pour évoquer des origines parfois lointaines, photos en couleurs des nouveaux bâtiments achevés, mais aussi photos en noir et blanc pour faire revivre le passé ou retracer les étapes d'une construction, croquis d'architectes et images de synthèse pour déchiffrer les bâtiments en projet ou en voie d'achèvement, présentation des maquettes ou d'« écorchés qui, échappant aux contraintes de la prise de vue, offrent une image plus lisible de l'organisation des volumes et de la répartition des espaces, les illustrations parlent d'elles-mêmes (1) ...

    Une deuxième lecture, celle des plans et coupes, permet de poursuivre la visite. Une des grandes qualités de l'ouvrage est d'avoir publié tous les plans des établissements prestigieux qu'il analyse (ce ne fut pas toujours chose aisée, aux dires de Michel Melot !). Il s'en dégage une image assez nouvelle des bibliothèques : elles ont quitté le rectangle, la fameuse boîte à chaussure glorifiée (2) chère aux architectes des années soixante-dix. Lorsque le parallélépipède rectangle survit, il s'agrémente de diverses failles (Copenhague, Gôttingen, Tokyo), d'excroissances ou de ruptures (Londres, San Francisco). L'éclairage naturel distribué à partir du coeur du bâtiment s'impose le plus souvent dans des structures aussi vastes : c'est justement une des fonctions de ces failles, que l'on retrouve également dans quelques plans circulaires (La Haye, Dakar). C'est aussi celle des très nombreux puits centraux ou atriums autour desquels s'enroulent les espaces publics. Mais ce n'est pas la seule fonction de ces vides : ils assurent aussi la fluidité des circulations. Escalators, vastes escaliers ou longues rampes d'accès y prennent place. La métamorphose de la bibliothèque de Dakar est à cet égard tout à fait significative : au monumental escalier extérieur qui conduisait directement aux salles de lecture, succède une rampe, longue épine dorsale qui traverse le bâtiment, dans un espace convivial protégé du soleil, créant l'unité et la différenciation des espaces de lecture. Magasins compacts en sous-sol ou au contraire dans les étages supérieurs, magasins en libre accès, importance des bureaux et des services intérieurs, autant de pistes à suivre de plans en plans... Pistes qui ne conduisent pas vraiment à la découverte de la bibliothèque immatérielle et aux usagers créateurs de leur propre information !

    Toutes ces illustrations sont une superbe introduction au texte. Aux textes devrais-je dire, car il s'agit d'un ouvrage collectif, où chaque auteur a apporté son regard propre sur un établissement déterminé. Quinze monographies donc sur des bibliothèques dont la plus ancienne, la Nationale de Taiwan, s'est inaugurée en 1986, et dont plusieurs ne s'achèveront qu'à l'horizon de 1997 ou 1998. Ces établissements ont des statuts différents : six se définissent comme bibliothèques nationales, trois comme bibliothèques universitaires, deux comme municipales. Plusieurs ont des fonctions polyvalentes : bibliothèque publique de recherche pour Alexandrie, bibliothèque royale et universitaire pour Copenhague, bibliothèque publique des sciences de l'industrie et du commerce pour New York, bibliothèque nationale abritant en son sein une bibliothèque de lecture publique et une bibliothèque de jeunesse à Alger, etc. Certaines sont des héritières, comme la Bibliothèque nationale de France, la British Library ou la Bibliothèque nationale de Pékin, d'autres naissent aujourd'hui d'une mobilisation internationale (Alexandrie) ou du mécénat privé (Dubaï).

    C'est donc une matière extrêmement variée qu'avaient à exposer les auteurs. Pourtant un fil conducteur les réunissait : toutes ces bibliothèques s'inscrivent dans les mutations de cette fin du XXesiècle (accroissement des effectifs d'apprenants et de chercheurs, nouveaux modes de diffusion du savoir), toutes bénéficient d'un édifice à l'image de leurs ambitions, parfois oeuvre d'architectes de renom et/ou sélectionnés par des concours internationaux (3) . Un seul bâtiment résulte d'une réhabilitation : la bibliothèque des sciences de l'industrie et du commerce de New York, installée dans un ancien grand magasin. Remarquons au passage que les auteurs sont bibliothécaires et que visiblement les données relatives à la construction les fascinent moins que les principes qui ont présidé à l'élaboration du programme, les méthodes et les procédures du changement - et les desseins des bibliothécaires, leurs noms, sont mieux mis en valeur que ceux des architectes (4) . Chose normale probablement dans un ouvrage de la collection Bibliothèques. Toutefois on se prend parfois à regretter que ne figure pas pour chacun des établissements une fiche technique de synthèse, sur le modèle de celle qui nous est proposée pour Dubaï...

    La place me manque pour évoquer chacun des chapitres de l'ouvrage. Je ne retiendrai donc - à titre d'exemples - que deux coups de coeur, pour revenir ensuite sur la présentation générale de Michel Melot. La bibliothèque universitaire et d'État de Basse-Saxe à Gôttingen tout d'abord (5) , que nous découvrons dans une présentation très construite de Marie-Françoise Bisbrouck, dont on connaît la compétence en la matière. Ici le poids de l'histoire c'est un long passé universitaire, des donations importantes, une spécialisation qui vise à l'excellence dans certaines disciplines et le travail en réseau. Le projet, prenant en compte la nécessité de gérer un fonds de 3,6 millions de volumes et un accroissement très rapide - dans le cadre de restrictions budgétaires - a fait le choix de scinder ce fonds en deux séries séparées par une date pivot : 1945. Les ouvrages plus anciens resteront dans les 14 000 mètres carrés de l'ancien bâtiment, après rénovation. Les plus récents et tous les services du réseau ont été logés dans la construction nouvelle de 22 000 mètres carrés, mise en service en 1992. L'auteur retrace toutes les étapes de la genèse de ce bâtiment - et par sa concision et la précision des multiples aspects techniques son exposé pourrait servir de fil conducteur à tout bibliothécaire bâtisseur (6) . Il y retrouverait non seulement les principes généraux de la programmation (au nombre desquels le confort des usagers et celui du personnel ne sont pas oubliés) mais aussi les réponses apportées en termes d'architecture et de hiérarchisation des volumes aux exigences fonctionnelles. Et pour augmenter le plaisir du lecteur, l'indéniable qualité esthétique de l'architecture est servie par un ensemble de photos belles et pertinentes.

    C'est à un tout autre titre que la bibliothèque municipale de San Francisco attire notre attention : avant d'être le fruit du talent d'un maître d'oeuvre (7) ou de la volonté d'un maître d'ouvrage, elle est le point d'aboutissement de la détermination de toute une population. Michel Melot et François Reiner font revivre tout le processus qui passe par un référendum, une forte mobilisation des médias, l'intervention des minorités culturelles et celle de généreux mécènes - sans oublier la personnalité du bibliothécaire, Ken Dowlin, spécialiste de La bibliothèque électronique. À cette histoire originale répond le parti des architectes qui ont conçu un bâtiment à « double visage ", symbole de la médiation, à l'articulation de la tradition et de la modernité : une façade classique s'intégrant au coeur classique de la cité (le Civic Center), une façade résolument moderne, largement vitrée, s'ouvrant sur le quartier commercial.

    Avant de refermer l'ouvrage, il nous faut revenir à la longue réflexion par laquelle Michel Melot l'introduit - occasion de nous faire encore beaucoup voyager et de nous montrer au passage les images de plus d'une vingtaine de bibliothèques (que ne déparent guère deux clichés assez médiocres d'une bibliothèque publique privée de Bogota, seul témoin pour l'Amérique latine). Michel Melot part d'un constat simple : la « fièvre des grandes bibliothèques qui semble un phénomène mondial intervient au moment même où le développement des réseaux semble remettre en cause la légitimité de la bibliothèque comme édifice. Ce paradoxe lui est invitation à repenser et le bâtiment lui-même - dans sa symbolique et dans sa structure - et ses fonctions face à la multiplication des documents et des usages. Une réflexion soutenue de bout en bout par une grande érudition et une analyse fine de multiples réalisations du monde entier. Un texte d'une telle intensité et d'une telle pertinence que je ne saurais le résumer en quelques lignes... Il faut le lire de toute urgence !

    1. Même si leurs légendes contiennent quelques coquilles, heureusement faciles à rectifier. Par exemple, p. 81, l'Hôtel international d'Alger construit en symétrie à la Bibliothèque nationale devient, lui aussi, bibliothèque... Ne faudrait-il pas joindre au volume un erratum ? retour au texte

    2. À ce propos, Michel Melot cite un article de Michad Dewe, dans International Information and Library Review, n° 25, 1993. Nous avions déjà lu la même réflexion dans les propos de K. C. Harrisson, in Library Buildings, 1884-1889. London, Library Services Id, 1990. retour au texte

    3. C'est ainsi que nous trouvons un Américain, Richard Meier, à La Haye ; un Norvégien, Snohetta, à Alexandrie ; un cabinet québécois, Tétreault, Blouin et associés, à Dakar ; etc. retour au texte

    4. Reprendre les éléments du catéchisme de Faulkner-Brown (accessibilité, compacité, flexibilité, etc.) pour définir les qualités architecturales est bien une démarche de bibliothécaire : ne faudrait-il pas plutôt parler de qualités bibliothéconomiques! retour au texte

    5. Architecte / Ekchard Gerber und Partner de Dortmund ? retour au texte

    6. Je pourrais en dire autant de l'exposé de Jacqueline Leroy sur la Bibliothèque nationale de France : une brillante synthèse sur un sujet difficile, aboutissement de bien des controverses. retour au texte

    7. Cabinet d'architecture de Pei. retour au texte