Index des revues

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    Par Goulven Guilcher
    Claude Witkowski
    Jean-Claude Garreta, préf
    Nicolas Witkowski, avant-propos

    Les Editions populaires 1848-187

    Paris, GIPPE, 1997. - 430 p., 237 ill., 18 graphiques, 17,5 x 26 cm. - Prix: 340 Frs.

    (1) Claude Witkowski, ingénieur, érudit et fin lettré, s'est pris d'amour en 1976 pour les éditions populaires du troisième quart du XIXe siècle. Il a passé près de vingt années de sa vie à rassembler des fascicules de suppléments littéraires, de romans illustrés, de journaux-romans et de feuilletons, à les répertorier, à en étudier les éditeurs, les auteurs, les sujets, les gravures, les modalités de vente et de diffusion et bien d'autres aspects à peu près totalement négligés à l'époque.

    Les cinq premières années de recherche ont donné sa Monographie des éditions populaires, publiée par la Compagnie J.-J. Pauvert en 1981, qui constituait la première bibliographie (commentée) de ce type de publication.

    Puis, entre 1981 et sa disparition brutale en 1993, Claude Witkowski a rédigé et édité lui-même 17 fascicules rassemblant périodiquement le résultat de ses investigations. A l'exception du fascicule n°18, jugé trop volumineux, Les Editions populaires 1848-1870 que vient d'éditer le GIPPE (dans la collection «Les amoureux des livres" où figure depuis 1993 Histoire et commerce du livre d'Henri Desmars), met à la disposition de l'amateur, de l'honnête homme et du chercheur l'ensemble des monographies postérieures à l'ouvrage de 1981, enrichies des errata et addenda de l'auteur, esprit curieux, original et tout à fait inclassable.

    On y trouve bien plus qu'un énorme corpus de dépouillement de périodiques spécialisés réalisé avec un soin minutieux. Comme dans le précédent volume, la riche iconographie illustre superbement le propos, avec cette réserve que les bandeaux-titres se prêtent bien mieux que les gravures à la reproduction.

    Mais la valeur de cet ouvrage repose sur deux éléments principaux qui font qu'il était essentiel de préserver cette oeuvre sous une forme plus durable, plus lisible et plus accessible que les seize fascicules séparés, afin que les résultats du travail considérable accompli par Claude Witkowski soient présentés dans leur intégralité aux bibliophiles, bibliographes et chercheurs.

    Tout d'abord, cette recherche a été menée à partir d'un ensemble unique de publication populaires et de catalogues de leurs éditeurs (plus complet en son domaine que les collections de la Bibliothèque nationale), que l'auteur avait constamment à sa portée, sans les freins habituels de la consultation en bibliothèque. Son approche très pragmatique, fondée sur l'observation et la comparaison de fascicules réels et non de simples références bibliographiques, l'a conduit à s'intéresser systématiquement à des facteurs comme le prix, l'aspect des couvertures, la qualité du papier ou des reproductions des gravures.

    Mais surtout, l'auteur fait précéder les relevés bibliographiques de textes historiques et sociologiques où les publications populaires sont souvent envisagées comme un produit à vendre, situé par rapport à la concurrence. Le prix, le nombre de gravures et de signes typographiques dans chaque livraison (en avait-on pour son argent?), les modifications apportées, l'évolution du tirage sont détaillés et commentés. Des passages significatifs de manifestes, préfaces, avis au public et autres annonces publicitaires présentant une collection ou la publication d'un feuilleton, soutiennent l'argumentation. La formation de l'auteur explique l'approche originale adoptée par exemple dans la première contribution qui ouvre le volume, «Essai de bibliométrie", mais aussi dans «La lecture populaire de Rocambole en 1866", étude des variations du tirage du Petit journal lors de la publication de ce roman dans ses colonnes, ou «Eugène Sue et le trésor du Juif errant», occasion pour Claude Witkowski de jongler avec les données financières. Le développement sur «Edgar Poe et la littérature policière" témoigne du même goût pour la spéculation mathématique, en égratignant au passage un écrivain actuel.

    L'ouvrage est émaillé de billets d'humeur de l'auteur où il s'attaque à belles dents aux idées reçues et à diverses institutions auxquelles il a eu affaire (bibliothèques, universités, critique littéraire) et envers lesquelles il formule des griefs qui s'expliquent par sa longue vie professionnelle dans un monde bien éloigné, le secteur privé, et par son relatif isolement du monde traditionnel de la recherche. En effet, ses liens avec l'Université ont débuté seulement en 1983 et se sont développés très lentement; par tempérament il les préférait individuels plutôt qu'institutionnels. Tout en les souhaitant pour la diffusion de ses travaux, il désirait avant tout préserver son indépendance.

    Il n'épargne pas non plus de grands éditeurs comme Hachette ou Calmann Lévy, dans «Premières lectures sidérodromiques", comprenez «Lecture pour voyageurs en chemin de fer", ni même ses idoles, en relevant, par jeu, les erreurs matérielles chez Eugène Sue : «Mystères des Mystères de Paris".

    L'avant-dernier chapitre est consacré à une anthologie soigneusement commentée et référencée de rébus sur le thème du chemin de fer, qui égayaient les revues publiant des romans, mais l'on préférera sans doute le développement sur «Une censure de classe : la commission de colportage", petite merveille de concision sur un sujet mal connu, avec des documents très bien choisis et des citations percutantes.

    Tous les exposés contenus dans cet ouvrage apportent une masse d'idées et de données à un débat en cours, mené avec le lecteur qui reste libre de souscrire aux hypothèses de l'auteur ou de reprendre les divers éléments pour se forger une autre opinion. C'est ce qui fait la richesse de cette publication qu'il faut féliciter le GIPPE d'avoir entreprise, car elle préserve pour l'avenir les fruits d'un travail remarquable dans ses multiples facettes.

    1. *Ouvrage disponible à la Librairie Eiffel-Suffren, 38, avenue de Suffren 75015 Paris. retour au texte