Index des revues

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    Par Odile Belkeddar
    Korneï Tchoukovski
    Marc Weinstein

    Journal 1901-1929

    trad.. - Paris: Fayard, 1997. - 585 p.; 23 cm. - (" Littérature étrangère"). - ISBN 2-213-59837-1. - Prix: 198 Frs.

    Un certain Kornei Tchoukovski a tenu dès ses dix-huit ans son journal littéraire et ce, pendant près de 70 ans de 1901 à 1969, dans un pays qui s'est appelé Russie, puis Union soviétique. Si Korneï Tchoukovski, dont le nom n'est guère connu en France, fut d'abord poète pour enfants (d'anciens enfants se souviennent peut-être avoir lu ses histoires loufoques en vers publiées aux éditions La Farandole), il fut aussi critique, traducteur d'anglais, directeur de collection, essayiste et proche de nombreux écrivains (un index recense plusieurs centaines de noms). Ses livres sont toujours réédités dans la Russie de 1997. C'est pourquoi les 500 premières pages de cette chronique qui vient de paraître et couvre les années 1901 à 1929 sont particulièrement intéressantes car elles nous font passer derrière les coulisses de l'histoire littéraire du début d'un siècle où l'Histoire a pesé son poids de contradictions. On y voit de près les très grandes difficultés des auteurs à se faire publier, les luttes intestines, les rencontres avec les censeurs (Kroupskaïa en personne), les polémiques incessantes, les perpétuels soucis d'argent, les passages à vide ; on y rencontre Gorki, V. Chklovski, Blok, Akhmatova, Zochenko, Maïakovski... On y découvre aussi les lectures de Tchoukovski qui incluent Paul Bourget dont il dit : «j'espère que c'est le premier et le dernier roman que je lis de cet auteur mais aussi les lettres de Tourguéniev à Flaubert, Shakespeare, Thacke-ray, James, Renan dont il décortique les textes et qu'il commente en fonction de son propre rapport à l'écriture. Derrière la stature de cet homme devenu célèbre, apparaît la silhouette moins connue de celui qui n'avait pas connu son père et " brisa » en quelque sorte le nom maternel de Korneïtchoukova pour se faire un prénom et un nom. Parmi ses propres enfants, l'un devint poète officiel, une autre écrivain, Lydia Tchoukovskaïa qui, malgré la notoriété de son père, ne fut pas épargnée par la disgrâce et ses suites. C'est sa petite fille, Elena, qui a assuré la présentation du manuscrit composé de 29 cahiers. Le ton très libre et lucide, souvent incisif, facilite la lecture de cet ouvrage volumineux et permet de mieux comprendre comment des millions d'individus ont grandi, vécu, travaillé, réfléchi de l'autre coté du miroir, comme si on se retrouvait invités à partager un thé brûlant dans une cuisine soviétique où, comme chacun sait, se passait la vraie vie, celle de la parole libre, entre humour et peurs.

    A noter que ce journal n'a été publié qu'après la péres-troïka ; il brouille en effet l'apparence lisse que souhaitait donner le pouvoir précédemment en place et l'on découvre que même l'auteur que fut Tchoukovski, reconnu dans tous ces domaines de l'écriture, fut en butte à de continuelles difficultés pour faire admettre ses textes. Le 2etome couvrira les années 30 à 69, jusqu'à la disparition de cet homme de lettres né en 1882, qui créa aussi une des premières véritables bibliothèques pour enfants et traduisit notamment en russe Rider Haggard, Twain, Wilde au sein d'une ambitieuse collection consacrée à la littérature mondiale dirigée par Gorki. A saluer à ce propos la traduction effectuée par Marc Weinstein.