Plusieurs conférences ont abordé le thème de la formation professionnelle et il semble que dans les pays les plus développés, un net courant entraîne les bibliothécaires dans « l'arène » de la pédagogie, comme le formule Hannelore B. Rader, de l'université de Louisville, Kentucky, USA. Le développement de l'enseignement à distance, qui met l'individu en situation d'acquérir un contenu de connaissance en autonomie, requiert de sa part une culture à la fois informatique et informationnelle. Le bibliothécaire qui met à sa disposition des ressources se doit aujourd'hui d'avoir des compétences élargies : au-delà d'une simple offre de documents électroniques, il apporte son expertise spécifique du monde de l'information.
Une série de communications ont permis de dégager les tendances communes à de nombreux pays. Nos collègues coréens en particulier ont présenté des cursus de formation destinés aux élèves du premier comme du second degré, qui sont pris en charge par les bibliothécaires scolaires. Dans le second degré, depuis 1996, il s'agit d'une discipline à part entière : « Information et média », déclinée en 6 modules et avec des degrés d'appropriation différents selon le niveau des élèves.
En durée, cela représente 2 cours de 50 minutes par semaine pour doter les élèves de compétences informationnelles, qui développeront leur autonomie lors de recherches d'informations ultérieures. Ceux-ci sont d'ailleurs nombreux à choisir cette discipline d'enseignement, qu'ils ont perçue comme essentielle dans la société d'information dans laquelle nous vivons. Nos collègues coréens soutiennent l'idée que le bibliothécaire scolaire, qu'il soit enseignant documentaliste, spécialiste des médias ou autre, devienne un enseignant en « information et média ». Quant au centre de ressources documentaires, il serait transformé en un lieu de formation à l'information, où l'on appliquerait des méthodes pédagogiques s'appuyant sur les travaux des chercheurs sur l'éducabilité cognitive.
L'objectif du professionnel ne serait plus alors de fournir des documents, mais d'enseigner l'information : un point de vue à méditer pour les documentalistes des CDI français !
Si ce point de vue n'est pas partagé dans tous les pays du monde, il est à noter que tous se retrouvent sur la nécessité de former l'élève dès son plus jeune âge à rechercher, analyser et traiter l'information. Le plus souvent (je me réfère aux informations recueillies dans la section des bibliothèques scolaires), on préfère des séquences pédagogiques préparées en partenariat avec les enseignants des disciplines que des cours spécifiques à proprement parler.
M. Qihao Mio, de la bibliothèque de Shanghai, en s'appuyant sur une expérience développée en Chine depuis quelques années, pose le problème de la place actuelle de la bibliothèque publique et du rôle des bibliothécaires dans une société que certains appellent « cognitive », où le développement économique s'appuie sur les capacités intellectuelles des individus avant tout. Il nous amène à nous interroger sur la place que prennent les bibliothèques dans cette « révolution des connaissances ». Il semblerait que les bibliothécaires dans leur ensemble se soient pour le moment assez peu intéressés aux projets mondiaux pilotés par le G7 (Pilot projects for the Information society). Les techniques bibliothéconomiques ne sont-elles pas pourtant des méthodes de management de la connaissance? La bibliothèque ne devrait-elle pas être un serveur de connaissance pour tous les individus ? N'est-ce pas dans ses locaux que pourraient se rassembler les personnes qui souhaitent développer et communiquer leurs connaissances ? Un réseau du savoir est un réseau de structures qui dispensent du savoir, et pas seulement une interconnexion par Internet. Par leur relation traditionnelle avec le grand public, les bibliothèques sont en première ligne pour participer à cette mise en réseau du savoir, et ceci est d'autant plus vrai dans les pays en voie de développement, ou en direction de publics socialement et culturellement défavorisés.
Il faut remarquer par ailleurs que l'évolution des technologies de l'information elle-même influe sur le fonctionnement des bibliothèques publiques. Un exemple intéressant nous a été relaté par Mounir Khalil, du City College of New York, concernant l'équivalent américain des BDP, qui dessert en livres les zones rurales avec des unités mobiles. Aux États-Unis, ces véhicules sont dorénavant équipés de terminaux de télécommunications qui les transforment en véritables lieux d'apprentissage. Les individus peuvent venir s'y connecter à la bibliothèque centrale, ou accéder à d'autres ressources documentaires. Ces unités deviennent ainsi des sortes de «villages d'information électronique mobiles accessibles aux citoyens vivant dans les zones les moins bien desservies au plan culturel et communicationnel.
Pour Denis F. Reardon, de l'École des sciences de l'information de l'université de Birmingham (Angleterre), les choses sont claires : la discipline à laquelle doivent se référer les professionnels de l'information aujourd'hui, c'est le « knowledge management », la gestion de la connaissance. Qu'entend-il par là, et que pouvons-nous en penser ? Il nous rappelle que jusqu'à présent, la formation dispensée dans les cursus en sciences de l'information et des bibliothèques est concentrée sur les techniques professionnelles et le management des ressources documentaires primaires ou secondaires.
Malgré le développement de la recherche dans le domaine, ces cursus n'ont pas intégré de réflexion théorique sur les techniques, comme le classement ou l'indexation. Nous devons être conscients, nous avertit-il, qu'une proportion croissante de la population va s'approprier des compétences informationnelles qui étaient jusqu'à présent l'apanage des professionnels. Il est donc temps pour ceux-ci d'évoluer vers une plus grande compréhension des mécanismes de l'information, et du marché de l'information.
Le « gestionnaire de savoir » devra développer des compétences élargies à la compréhension des phénomènes culturels et politiques de son environnement ; il devra appréhender les processus de construction des connaissances.
Il s'agit de se positionner dans un système qui donne la prééminence au capital intellectuel de la personne, donc de passer de la manipulation d'un objet technique à la « mise en relation de clients avec des biens et des services au profit du fonctionnement d'une organisation ».
Cette réflexion est partagée par Romulo Enmark, de l'École de Boras en Suède, qui après avoir fait l'analyse de différents cursus de formation pour bibliothécaire, remarque la quasi-absence de préoccupation pour ce qu'il appelle le « sujet » : c'est-à-dire l'usager, le destinataire des informations stockées et organisées. Il remet même en cause les sciences de l'information et des bibliothèques en tant que telles, si la recherche en ces domaines ne s'oriente pas vers une approche cognitive de la recherche d'information.
Comme point d'orgue à ces réflexions, la visite que nous avons faite à la Haagse Hogeschool de La Haye nous permet d'illustrer la plupart des préoccupations évoquées. Pour ce qui concerne le centre de ressources documentaires et la formation des usagers, un logiciel d'autoformation spécifiquement adapté au centre a été développé et est accessible à tout moment dans un espace clairement identifié. L'école, qui s'adresse à des étudiants qui sortiront bibliothécaires diplômés à bac + 4, propose un cursus de formation très éclectique, qui dépasse très largement les techniques bibliothéconomiques. Les étudiants sont notamment invités à produire de l'information et à la communiquer sous diverses formes, sur des serveurs Web entre autres. L'école accueille en outre des étudiants étrangers, permettant par là une diversité d'approche des problèmes professionnels et les diplômés sont appelés à exercer leur profession dans des contextes très divers : administrations, entreprises ou écoles.
En conclusion, il apparaît que les différents métiers de la documentation et des bibliothèques sont engagés dans une inévitable procédure de rapprochement. Nulle part ailleurs qu'en France les distinctions ne sont aussi nettes entre bibliothécaires, documentalistes, enseignants-documentalistes, qui étions tous réunis pour ce congrès 98 de l'IFLA. L'évolution de la société et les besoins de nos usagers respectifs nous amèneront à réfléchir autrement à notre fonction : celle d'un médiateur de l'information, quelle que soit la spécificité de notre environnement professionnel.