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Le Livre, du manuscrit à l'ère électronique

1999
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    Par Françoise Bourdon
    Jean-François Gilmont
    Christophe Jacobs, Ill

    Le Livre, du manuscrit à l'ère électronique

    Notes de bibliologie

    3eéd. rev. et augm. - Liège (31, bd Frère-Orban, B4000) : éd. du CEFAL, 1998. - (Collection Bibliothèque du bibliothécaire ; 1) ISBN 2-87130-056-9.- Br. : 116 FF

    Ce manuel est le fruit d'un cours de bibliologie que Jean-François Gilmont, conservateur et professeur, assure depuis 1984 à l'Université catholique de Louvain ; il a déjà fait l'objet de deux éditions en 1989 et 1993. Cette 3eédition, comme les précédentes, évoque les grandes étapes de l'histoire du livre depuis le rouleau égyptien jusqu'à l'actuelle publication assistée par ordinateur, en mettant l'accent sur les conditions de production et de diffusion du livre de langue française.

    Concernant le manuscrit, seuls sont évoqués les éléments qui éclairent l'histoire ultérieure du livre imprimé pour montrer la continuité d'un type de livre à l'autre. Les faits marquants de l'invention de l'écriture sont brièvement rappelés avant que soient étudiés plus à fond les trois principaux supports de l'écriture depuis l'Antiquité classique (papyrus, parchemin, papier) et l'évolution de l'assemblage des feuilles (du rotulus au codex) et des techniques d'habillage du livre (reliure, illustration). Toutes ces données sont présentées ensuite comme autant d'éléments exploitables pour la datation des manuscrits. Puis, sont examinés l'évolution des modes d'écriture (séparation progressive des mots, passage de l'écriture sous la dictée à l'écriture en silence), celle des orthographes latine et française, le passage de la lecture orale à la lecture silencieuse et les changements fondamentaux dans la mise en page qui facilitent l'accès au texte, ainsi que l'usage de la table des matières, des index, etc. L'« édition » des manuscrits, la production du livre manuscrit au Moyen Âge et la circulation des livres dans les bibliothèques constituent les trois derniers volets de ce chapitre consacré au livre manuscrit. L'auteur conclut en soulignant que le Moyen Âge n'a produit aucun outil efficace pour s'orienter dans la production des livres.

    Dans le chapitre « les presses manuelles Il, l'accent est mis sur les mécanismes qui ont permis la multiplication des textes par l'imprimé. Le fonctionnement d'une officine typographique y est décrit précisément et les mutations importantes que l'invention de l'imprimerie fait subir à la présentation matérielle du livre y sont exposées avec soin. L'analyse des structures économiques et sociales des nouveaux métiers qui se mettent en place amène l'auteur à conclure que la véritable révolution de l'imprimé est marquée par un déplacement du lieu de décision : au Moyen Âge, c'est le futur acquéreur du manuscrit qui en provoque la copie ; avec l'imprimerie, c'est l'éditeur qui décide de fabriquer un certain nombre d'exemplaires, mais, dès le XVesiècle, il lui arrive de se tromper dans ses choix et de faire faillite ; c'est le libraire qui vend le livre imprimé, et cette fonction le met au coeur du dispositif. En effet, c'est pendant cette période que les techniques de vente se formalisent avec les foires du livre (notamment celle de Francfort - déjà I), le colportage, le recours aux souscriptions, la publication en collection et la publication de la presse périodique qui visent à fidéliser la clientèle. L'accès à la production imprimée s'améliore grâce à la production d'instruments bibliographiques suscitée, à la fois par des motifs commerciaux et par des raisons scientifiques : les catalogues de foires du livre, les catalogues de bibliothèques publiques, les bibliographies nationales et les bibliographies courantes érudites commencent à être publiés. Parallèlement, un contrôle de l'imprimerie par l'État et l'Église s'instaure : la censure interdit les mauvais textes, le privilège encourage les bons, et le dépôt légal permet de surveiller la production typographique. En conséquence, les éditions non autorisées se développent, ainsi que les contrefaçons, alors que la reconnaissance juridique de la propriété littéraire se sera précisée en France qu'en 1793. Enfin, les pratiques de lecture évoluent : l'alphabétisation progresse, élargissant le public potentiel de lecteurs. La Réforme (et les campagnes de presse qu'elle a engendrées !) et la Contre-Réforme se rejoignent dans la volonté d'éduquer le fidèle en profondeur. Les lectures populaires se développent. La lecture privée permet de prendre contact avec un texte sans aucun contrôle social et incite à la réflexion solitaire. Les lieux de rencontres intellectuelles se multiplient : les lectures faites en commun suscitent des lectures solitaires qui, à leur tour, permettent d'identifier de nouveaux textes à soumettre à un examen collectif. Ainsi, le livre est un des éléments qui a, sans doute, contribué à la naissance de l'opinion publique. Les progrès enregistrés dans les mentalités vont se chevaucher avec les progrès techniques et faire entrer le livre dans l'ère industrielle.

    Le volet consacré aux presses mécaniques s'ouvre sur un examen de l'évolution des techniques à partir du XIXe siècle : les progrès de l'industrie papetière (fabrication en continu), les innovations en matière d'impression (stéréotypie, presses à cylindre, rotatives) très liées aux découvertes de nouvelles techniques d'illustration (de la lithographie à l'offset), la mécanisation de la composition avec l'apparition des composeuses-fondeuses ; les conséquences de ce nouvel environnement sur la correction des textes, les recherches graphiques et la reliure sont également abordées. Les techniques nouvelles entraînent la naissance de l'éditeur moderne : il prend ses distances par rapport aux activités techniques de l'imprimeur et par rapport aux activités commerciales du libraire et revendique des fonctions résolument intellectuelles (lecture de manuscrits, rencontres avec les auteurs, constitution d'un fonds). En permettant de produire de plus grandes séries, les techniques nouvelles suscitent aussi la recherche d'un nouveau public dont l'approche est facilitée par l'abaissement des coûts de production donc des prix de vente, et par le développement de la publicité. Cependant, les éditeurs s'adressent en priorité à une élite, sauf peut-être ceux qui se spécialisent dans les manuels scolaires ou dans les ouvrages liturgiques. Malgré la généralisation de l'alphabétisation, le public populaire boude le livre qu'il considère réservé à la culture bourgeoise, pour se laisser conquérir par la presse périodique qu'il juge plus accessible financièrement et surtout intellectuellement. Or, les éditeurs utilisent la presse pour lancer les auteurs littéraires en recourant à la publication en feuilleton de leurs oeuvres avec le succès que l'on sait. Des écuries littéraires se constituent, la reconnaissance et les modes de rétribution des auteurs évoluent, même si ceux-ci restent un élément annexe dans la chaîne de la fabrication et de la consommation du livre. L'auteur conclut ce chapitre en saluant les nombreuses initiatives qui ont facilité l'accès aux livres pour le grand public et pour les érudits du XIXesiècle jusqu'au milieu du XXe siècle : l'ouverture à un plus large public des bibliothèques publiques et des bibliothèques de recherche, la création progressive d'un corps de bibliothécaires professionnels préparés au service public de la lecture et pas seulement à la conservation des fonds légués par la Révolution, le développement de la bibliographie en tant que discipline et la multiplication d'outils bibliographiques permettant d'identifier la production éditoriale passée et courante.

    Dans la seconde moitié du XXesiècle, l'imprimerie entre peu à peu dans l'ère électronique. Les techniques photographiques et informatiques se combinent pour révolutionner la composition : plusieurs générations de photocomposeuses voient le jour ; la saisie des textes est bouleversée par le développement des micro-ordinateurs et par la reconnaissance optique des caractères par scanner ; la publication assistée par ordinateur permet même de se passer des services d'un professionnel. En matière d'impression, les machines offset améliorent les performances et les techniques de reprographie se développent. Tout cela a des impacts sur le livre lui-même, sur sa diffusion et sur ses modes d'accès. L'esthétique de la page imprimée évolue avec la plus grande liberté de mise en page offerte par les photocomposeuses ou la publication assistée par ordinateur et une typographie plus riche, même si elle tend à se banaliser (les micro-ordinateurs ont presque tous les mêmes polices). Sans lien direct avec l'introduction de l'électronique, l'édition française se concentre de plus en plus. Les structures économiques et financières ont été remises en question par le fait que la composition typographique relève de techniques de plus en plus légères alors que la distribution connaît une complexité croissante. Le système de l'office témoigne de la puissance acquise par les maisons de diffusion. L'accès aux livres se transforme grâce à la mise des collections en libre accès dans les bibliothèques, mais aussi grâce à la consultation à distance des catalogues informatisés, à l'organisation des bibliothèques en réseau et à l'essor des travaux bibliographiques. Les deux derniers chapitres, l'un sur la « bibliographie matérielle » (approche archéologique du livre), l'autre sur la « bibliophilie », mettent l'accent sur le livre-objet qui, bien plus que livre-produit commercial ou le livre-support de message, constitue le thème principal de ce manuel.

    Chaque chapitre se termine par des suggestions de lectures complémentaires : le manuel comporte ainsi plus de 170 références d'ouvrages en français pour la plupart. Plus du quart des références concernent des documents publiés après 1993 et qui ne figuraient donc pas dans la précédente édition. Les auteurs ainsi sélectionnés sont recensés dans un index à la fin du volume. Le texte est émaillé de schémas et de reproductions de planches tirés de grands ouvrages de référence. Les illustrations ont toutes un réel intérêt documentaire et on peut penser qu'une table des illustrations, malheureusement absente, contribuerait à les mettre en valeur ; un index des termes techniques fait de ce petit traité un ouvrage de consultation facile à manipuler.

    Conçu pour un public universitaire, ce manuel rédigé avec beaucoup de clarté peut bénéficier d'une plus large audience : toute personne qui s'intéresse à l'histoire du livre, dans le cadre d'une formation professionnelle ou non, appréciera la lecture de ce volume 1 de la collection « La bibliothèque du bibliothécaire ».