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Petit exercice de synthèse à la façon d'un bouquet d'au-revoir

1994
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    Petit exercice de synthèse à la façon d'un bouquet d'au-revoir

    Ou comment continuer à apprendre à penser notre métier pour demain

    Par Jean-Claude Annezer, Bibliothèque interuniversitaire de Toulouse

    Françoise Danset m'a demandé ce matin de réfléchir à une synthèse de notre congrès. Exercice toujours périlleux et ingrat ! Chacun a déjà sa petite synthèse dans la tête : attentes déçues, espoirs ravivés, souhaits d'aller plus loin...

    Des carrefours de Clermont à cette séance de clôture, nous avons tous senti combien le thème de cette année faisait recette : « Bibliothécaire, quel métier ! pouvons-nous nous exclamer après tant d'exposés, de débats, d'analyses, de questions qui ont su mettre en relief et en perspective les véritables enjeux de ce métier (ces métiers ?).

    Bien sûr, nous avons aussi perçu des fléchissements, des raidissements : il y a des limites structurelles et des déséquilibres qui persistent ; l'image de notre identité professionnelle reste composite ; les nouveaux dispositifs de recrutement, au lieu de nous conforter dans l'exercice de nos fonctions et d'en améliorer l'évolution, semblent plutôt produire un décalage préoccupant, une contrainte, un contraste, la mésaventure des statuts n'en finit pas de pertuber le climat ; les structures de formation pré et post-recrutement semblent pour les uns en progrès, pour d'autres en retrait, pour tous elles doivent mieux faire ; les écarts ne sont pas minces, même s'ils s'atténuent, entre le jeu de perspectives de carrière et les exigences concrètes du métier soumis à des évolutions importantes ; il devient dès lors difficile de mobiliser la profession ; et peut-être est-ce là une des causes de la faiblesse de notre identité collective et du décalage entre l'image que nous tentons de donner de nous-mêmes et celle qui est élaborée par le public et les élus ?

    Et pourtant il me semble qu'il y a un noyau, un substrat commun, malgré l'hétérogénéité des itinéraires, la diversité des fonctions et des responsabilités, la disparité des trajectoires et la multiplicité des tâches accomplies.

    Il y a comme un réseau de connivences et de références, une complicité entre nous, une sorte de système de valeurs partagées. Ce qui nous sépare dans l'exercice ou plutôt les conditions d'exercice du métier, est aussi ce qui nous rassemble, car une bibliothèque, quelle qu'elle soit, est toujours la résultante d'un travail collectif, coordonné ; même si certains parmi nous parlent d'« égalités inégales entre catégories, il y a aussi, me semble-t-il, des « périphéries poreuses entre elles, une même capacité de penser le métier avec discernement et solidarité.

    Pour conclure, permettez-moi d'évoquer la figure emblématique de Saint-John-Perse qui, destitué de ses fonctions et de la nationalité française par le régime de Vichy, se vit proposer un poste de bibliothécaire à la bibliothèque du Congrès par le président Roosevelt. Dans Nocturne il écrit (et cela semble nous concerner) :

    « Nos oeuvres sont éparses, nos tâches sans honneur et nos blés sans moisson : la lieuse de gerbes attend au bas du soir. »

    Mais au terme de ce congrès, je voudrais me livrer à une transformation de ce texte (peu convenable, j'en conviens, mais si expressive ! ) :

    « Nos oeuvres sont diverses mais partagées, nos tâches discrètes mais remplies avec honneur et nos blés mûrissent pour la moisson : la lieuse de gerbes n'attend plus au bas du soir. »