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    Du métier au profil de poste

    Par Jean-Louis Pastor, Bibliothèque nationale de France
    Lorsqu'on m'a proposé de parler sur ce thème, j'ai tout d'abord eu l'intention de refuser. Comment parler du métier, terme mal défini, à vocation généraliste, et des profils de poste, entités précises qui s'inscrivent dans un organigramme singulier ? j'ai certainement eu tort d'accepter, mais j'ai pensé que la réflexion que j'aurais à mener devant vous m'aiderait à penser l'activité que j'ai assurée intuitivement à la direction du personnel de la Bibliothèque nationale et à formaliser la démarche que je souhaite entreprendre dans le cadre du service des qualifications de la Bibliothèque nationale de France.

    Le thème est dans l'air, la définition du métier pose problème, le CNFPT, l'Éducation nationale pour les personnels ATOS, aujourd'hui l'Enseignement supérieur pour les bibliothèques, ont entrepris la réalisation de référentiels des métiers. Par ailleurs des collectivités locales (Grenoble pour sa bibliothèque, je crois), des établissements comme le Louvre... ont mis en place des référentiels de compétences par poste. A la lumière de ces expériences, on s'aperçoit que métiers et profils de postes ne sont pas si contradictoires.

    Les référentiels des métiers pour être crédibles s'inscrivent dans une enquête minutieuse sur le terrain qui analyse les compétences mises en oeuvre dans chaque poste de travail. A ce titre les métiers pourraient se définir comme l'ensemble des compétences mises en oeuvre par une profession dans le cadre des fonctions qui lui sont confiées.

    Pourtant dans la réalité, les professionnels, que ce soient ceux qui recrutent ou ceux qui cherchent un poste, se rendent compte que les métiers auxquels les personnels ont été préparés ne cadrent pas avec le poste précis qui est proposé. D'où la nécessité d'une analyse qui ici, et je vous prie de m'en excuser, ne pourra être que sommaire et ne dégagera que quelques pistes sur les dysfonctionnements entre métier et poste afin d'essayer de dégager des solutions permettant de résoudre cette contradiction.

    Un hiatus apparent entre métier et poste

    Le bibliothécaire territorial à la recherche d'un poste a pu s'étonner de certaines annonces demandant non pas un bibliothécaire mais tel spécialiste de tel domaine connaissant tel progiciel ; le bibliothécaire d'État appartenant à un corps donné, pouvant postuler théoriquement sur l'ensemble des postes ouverts à ce corps, s'est vu répondre qu'il n'avait pas le profil. Être membre d'un corps ne suffit pas pour occuper un emploi, encore faut-il avoir le profil. Par ailleurs un poste donné au départ évolue selon l'impulsion donnée par son titulaire, et on s'aperçoit souvent que le profil du poste se confond avec celui de son titulaire.

    Cela revient à poser le problème de la formation. Si la formation initiale doit permettre d'accéder au métier, c'est à la formation continue de répondre aux problèmes du poste.

    La formation initiale

    Quelle formation pour quel métier ? Doiton former des généralistes ou des spécialistes ? Doit-on recruter des agents déjà formés ou effectuer une formation postrecrutement ? L'important c'est la formation, le scandale tient dans son absence.

    Une formation généraliste ou une formation adaptée ?

    On a souvent entendu dire que les écoles d'application (et pas seulement celle des bibliothèques) ne formaient pas, que rien ne vaut l'expérience du terrain. On entend dire qu'il faut être juriste pour exercer dans des bibliothèques de droit ou médecin (pourquoi pas ?) pour exercer dans des bibliothèques de médecine.

    Le tort des bibliothèques est d'être très proches des domaines de la connaissance, le bibliothécaire exploite en général ses connaissances universitaires, ce qui fausse l'approche de sa spécificité par rapport aux autres professions du savoir et a pour conséquence de réduire sa compétence à une technique. D'où cette constatation que ce sont les bibliothécaires qui forment les bibliothécaires.

    Le problème de la formation du bibliothécaire n'est pas, me semble-t-il, de former des spécialistes ou des généralistes, c'est de former des gens qui ont conscience d'appartenir à une profession indépendante des domaines de la connaissance, ayant son identité propre et faisant partie du domaine des sciences de l'information ou de la connaissance des supports, comme le montre l'ENSSIB qui à côté d'un DEA des sciences de l'information va délivrer un DEA d'histoire du livre.

    Ce n'est qu'avec une affirmation forte de l'identité de la profession qu'on arrivera à éviter de se réfugier dans une fraction du métier en essayant ainsi de trouver par défaut une identité professionnelle. Je m'explique : on a vu récemment que d'aucuns déplorent la disparition du CAFB dans la mesure où non seulement il permettait une formation initiale diplômante avant recrutement mais aussi où il donnait une reconnaissance du fait de ses options, lecture publique, jeunesse, discothèques, etc. On a même entendu souhaiter la création de corps particuliers pour ces options, comme si le maquis statutaire actuel ne suffisait pas.

    Si les bibliothécaires ne sont pas convaincus de l'unicité de leur métier, de sa valeur scientifique en tant que domaine singulier de connaissance, ce ne sont pas les administrations, qu'elles soient d'État ou territoriales, qui la leur donneront et on continuera à voir des profils de postes si particuliers qu'on se demandera si l'on souhaite un bibliothécaire ou un spécialiste inadaptable ailleurs que dans ce poste.

    La formation initiale ne peut être qu'une formation générale et globale, qui donne un niveau de compétence permettant de s'adapter à l'ensemble des postes qui peuvent être ouverts à la profession. Le véritable scandale est de penser que l'on puisse employer des professionnels immédiatement opérationnels sans formation.

    L'absence de formation

    Elle pose un problème plus grave et ceci quel que soit le niveau de qualification demandé. Puisque j'ai fait allusion au maquis statutaire, on peut s'étonner que ce soit pour les seuls corps de catégorie A qu'une formation post-recrutement soit prévue. Comme si les magasiniers, les inspecteurs de magasinage, les bibliothécaires-adjoints étaient immédiatement opérationnels. Penser que l'on peut aujourd'hui occuper un emploi sans qualification particulière est un leurre qui provient peutêtre de la diversité des fonctions que peuvent occuper les membres de ces corps. Cela contribue à cette absence d'identité professionnelle qui se matérialise soit dans le meilleur des cas, par le désir de rendre d'autant plus technique le poste occupé soit par une démotivation dans le cas contraire.

    Cela peut conduire à ne voir dans ces personnels que des agents adaptés à leur poste de travail et à restreindre d'une part leur mobilité, d'autre part leurs possibilités d'évolution et d'adaptation aux nouveautés au cours de leur carrière, et à risquer d'en faire des lais-sés-pour-compte de la modernisation.

    Donc la formation initiale ne doit pas seulement répondre aux besoins exprimés par les profils de postes mais au contraire donner une identité aux métiers qui composent une profession. En revanche la formation continue doit résoudre le problème de l'adaptation au poste.

    La formation continue comme réponse au problème du poste de travail

    Tout d'abord je dirai qu'une politique de formation continue doit prendre en compte un agent dès qu'il est affecté ou recruté dans un établissement et le suivre tout au long de sa carrière. Si l'on fait abstraction des formations aux concours, la politique de formation continue doit répondre au besoin de professionnalisation ou de spécialisation.

    Prise en compte des besoins spécifiques des établissements

    Je disais que la profession des bibliothécaires ne doit pas être morcelée en spécialités, il faut que la spécialité vienne s'ancrer dans une solide formation aux métiers de base et non l'inverse. Si l'on ne souhaite pas que les administrations aient, par facilité, la tentation de recourir à des contractuels, il faut réclamer que la formation continue prenne en compte des besoins spécifiques et ceci dès la prise de poste.

    Si l'on peut comprendre qu'on ait recours à un spécialiste en tamoul ou hindi pour traiter le fonds tamoul ou hindi d'une bibliothèque, on peut déplorer qu'on ait recours à un juriste ou à un scientifique ou à un spécialiste de tel support pour servir dans une bibliothèque. Cela relève du besoin spécifique et non du spécialiste. On peut mettre en place des stages, faire suivre des formations qui permettent de mieux appréhender ces matières, ces supports. Il faut éviter la confusion entre le bibliothécaire et le domaine du savoir qu'il traite, ou le support particulier dont il s'occupe. Cela reviendrait à dire pour prendre un exemple dans un autre domaine, que seuls les bibliothécaires seraient à même de gérer les bibliothécaires, alors qu'il faut avant tout des gestionnaires connaissant le droit administratif et sensibilisés à la spécificité des bibliothèques.

    Une formation continue donc qui prenne en compte les besoins des établissements et qui permette aux personnels de passer d'un emploi spécifique à un autre. Une formation continue qui compense également l'absence de formation initiale de certains corps comme notamment celui des personnels de magasinage qui évoluera vers une technicité accrue du fait des nouveaux supports et de leur intervention en amont du traitement des documents.

    Prise en compte des personnels

    Mais aussi une gestion des personnels qui sache prendre en compte la formation universitaire de ces personnels et qui n'oublie pas qu'un agent n'est pas un individu isolé mais travaille dans une équipe qui s'inscrit dans un projet.

    Je disais en introduction que les agents peuvent aussi modifier, orienter le poste auquel ils sont affectés. Il convient bien entendu de s'appuyer sur l'expérience ou les savoirs des individus pour orienter et développer dans un établissement des secteurs que l'on aurait laissés en friche autrement.

    Les administrations doivent savoir utiliser les savoirs et savoir-faire particuliers de leurs agents, s'appuyer sur eux. Je sais que dans les bibliothèques c'est souvent le cas, mais pas toujours. Cela a l'avantage de permettre un meilleur développement des personnalités de chacun, cela présente le risque également de déformer un poste qu'il sera difficile de pourvoir par la suite. Mais de manière générale, avant tout développement d'un secteur, il convient d'établir un portrait de la population qui va devoir mettre en oeuvre le projet d'établissement, de connaître ses compétences afin de s'appuyer sur elles ou de les compléter par des formations adaptées dans un projet commun. Il faut fiabiliser ces compétences en les inscrivant dans un projet.

    Ceci m'amène à parler du mode de résolution de la contradiction entre métiers et postes, à savoir la nécessité d'établir des interfaces entre les métiers et les postes, en mettant en place ces outils dont la mode passera peut-être mais qui sont ceux d'aujourd'hui, à savoir des référentiels des métiers ou de compétences.

    Des référentiels comme outils de gestion des établissements

    Un établissement qui se gère bien est un établissement qui se connaît bien. La connaissance des établissements passe par une analyse des compétences actuelles, une identification des fonctions » en émergence, un repérage des métiers ou des activités stratégiques. Cette analyse doit déboucher sur la construction d'un référentiel des postes, voire un projet d'établissement. Ce référentiel bien sûr ne doit rester qu'un outil qui permette grâce à un langage commun entre administration et personnel de mieux gérer l'établissement et son personnel.

    La construction d'un référentiel de compétences

    La construction d'un référentiel de compétences se fait en plusieurs étapes qui poursuivent au moins deux objectifs, l'un est d'établir un répertoire des compétences actuelles, l'autre est d'arriver à un descriptif des postes nécessaires au bon fonctionnement de l'établissement. L'un est un constat, l'autre un but.

    Méthode

    Le processus d'élaboration du référentiel est aussi important que son résultat. Entreprendre un tel projet pour un établissement, c'est aussi l'occasion d'une réflexion des personnels sur leur activité et son organisation. Ce n'est pas le lieu ici de décrire minutieusement l'ensemble de la démarche, d'autant qu'il en existe une par consultant, par établissement, mais il convient d'insister sur le fait que pour chaque métier, pour chaque activité, il faut qu'il y ait validation par ceux qui exercent ce métier ou cette activité. A la fin du répertoire il ne doit pas y avoir d'agent qui ne sache dire : « Voilà, ceci c'est moi, je fais bien ceci... »

    Résultats

    Dans un premier temps le référentiel doit être un répertoire des compétences mises en oeuvre actuellement dans l'établissement. C'est une première cartographie de l'activité de l'établissement, mais qui doit également faire apparaître les métiers en développement (compétences de demain), les métiers stratégiques qui tiennent compte des objectifs à moyen terme de l'établissement et enfin prendre en compte les suggestions des personnels.

    Ce n'est que lorsque ce premier répertoire est achevé et validé, que l'on peut passer au référentiel des postes qui lui, prend en compte l'existant mais aussi le devenir en faisant apparaître éventuellement un échéancier de création pour les nouveaux emplois. Ce référentiel pour chaque poste doit d'une part décrire l'activité, mais aussi les compétences nécessaires pour occuper ce poste (compétences prioritaires, compétences annexes).

    Objectifs

    Au-delà de la démarche qui peut être déjà positive en elle-même, l'élaboration d'un tel référentiel permet de faire le bilan des compétences couvertes actuellement, soit par la formation initiale lorsqu'il y en a une, soit par la formation continue.

    • Dégager les compétences actuelles ou futures qui ne sont pas couvertes par les formations actuelles, les identifier, prévoir les actions de formation à générer, supprimer les formations inadaptées.
    • Transformer les objectifs de l'établissement en compétences à mettre en oeuvre sur chaque poste de travail.
    • Identifier au besoin les personnels capables de conduire les formations nouvelles.

    Mais au-delà de ces objectifs immédiats qui concernent le secteur de la formation, un référentiel des postes peut devenir un outil de gestion du personnel dans la mesure où il crée un langage commun entre la direction et son personnel.

    Le référentiel des emplois comme outil de gestion du personnel

    Les apports du référentiel

    Il permet de répondre concrètement aux questions relatives au profil d'emploi, de favoriser les mutations internes grâce à l'affichage de l'ensemble des postes, ainsi qu'un dialogue au moment de la notation ou de l'évaluation, d'établir les plans de formation, voire les parcours professionnels, et ceci tant au niveau de la direction, de l'encadrement intermédiaire que du personnel.

    La direction pourra bénéficier d'un outil lui permettant de mesurer l'incidence sur le plan humain d'une décision. L'encadrement intermédiaire devra pouvoir réfléchir méthodiquement aux compétences à mettre en oeuvre pour réaliser les objectifs attendus de son service. Il pourra utiliser ces profils pour conduire les entretiens d'« évaluation avec son personnel, mieux défendre un agent réalisant un travail sur qualifié par rapport à son corps d'origine, demander les formations adaptées à ses besoins.

    Le personnel devrait savoir ce qui est attendu de lui et sur quelle base sera apprécié son travail. Il pourra prendre connaissance de l'ensemble des compétences mises en oeuvre dans son secteur ou dans son établissement, et se situer par rapport à l'ensemble de l'organigramme. Il devra pouvoir se fixer des objectifs individuels d'évolution.

    Au-delà de ces objectifs idéaux

    Il convient de ne pas oublier que le référentiel est un outil au service d'objectifs généraux. Si les objectifs ne sont pas clairement définis, on aura un référentiel incomplet. Ce référentiel des compétences par postes doit être diffusé et accessible sinon il ne permettra pas l'élaboration d'un langage commun.

    Ce référentiel est long à réaliser (deux ans pour élaborer celui des personnels de surveillance du Louvre) et doit être testé et validé sur le terrain. Mais il vieillit encore plus vite. Aussi entraîne-t-il de nouvelles exigences de veille professionnelle et technique pour rester d'actualité.

    En résumé, si l'on veut éviter les hiatus entre la formation au métier et les profils de postes, je dirai que la formation initiale doit permettre une affirmation forte du métier qui évite que le particularisme de l'emploi ne recouvre le métier de base, que c'est en revanche à la formation continue d'apporter des réponses aux spécificités des emplois, voire à l'absence de qualification pour certains corps. Par ailleurs, il est nécessaire de se doter d'outils d'analyse de l'évolution des compétences afin d'ajuster les processus de formation, et de permettre un langage clair entre direction et personnel.