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    Déontologie et missions

    L'exemple des musées

    Par Jean-Yves Marin, président Conseil international des musées (ICOM)

    Le Conseil international des musées est une organisation non gouvernementale dont le siège est à l'Unesco. Il compte à ce jour environ dix mille membres, tous professionnels de musée, répartis dans 120 pays. Ces membres agissent au sein de 25 comités thématiques internationaux qui couvrent les principaux champs d'action des musées : archéologie-histoire, beaux-arts, ethnologie, histoire naturelle, ainsi que les missions du musée : conservation, documentation, sécurité, relations publiques...

    Le comité français de l'ICOM (1) compte à ce jour un peu plus de mille membres, ce qui en fait le premier comité national de l'organisation. Son originalité est d'être le point de rencontre des différents professionnels travaillant dans ou avec les musées français.

    L'ICOM s'est très tôt préoccupé de deux domaines particulièrement sensibles : l'éthique des musées, le trafic illicite du patrimoine culturel.

    L'élaboration d'un code de déontologie professionnel

    Depuis sa création au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, notre organisation s'est souciée de faire appliquer les principes éthiques qui devaient guider les professionnels de musée et améliorer la sécurité des musées.

    Par ailleurs, l'ICOM a toujours mené une vigoureuse politique pour la lutte contre le trafic illicite des biens culturels en vue de freiner l'exportation illégale d'objets des musées.

    Cette tâche ne peut se faire qu'en s'appuyant sur des textes de référence qui soient communs à l'ensemble de la profession. Or, des écrits nombreux et parfois anciens démontrent le souci des gens de musée de définir une éthique dans ce domaine. Ainsi dès 1898, on commençait à se préoccuper des questions de déontologie du collectionneur (2) . En 1925, l'Association américaine des musées publie un Code of Ethics for Museum Workers (3) . Depuis, de nombreux textes émanant le plus souvent d'associations professionnelles sont parus.

    Parallèlement, c'est sous les auspices de l'Unesco qu'ont été adoptées successivement trois conventions internationales : la convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (La Haye, 1954), la convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l'importation, l'exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels (Paris, 1970), non encore ratifiée par la France, et la convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel (Paris, 1972) dite convention du patrimoine mondial. Le recul montre que sans avoir force de loi, ces textes se sont imposés dans le monde entier et sont de fait la référence incontournable.

    C'est en se situant dans ce mouvement que le conseil exécutif de l'ICOM, considérant qu'il était de sa vocation de définir les grandes lignes d'un code de la profession pour énoncer une politique et une morale claire et stricte en la matière, prit la décision de créer un comité chargé de la mise au point de ce texte.

    En 1981, le Comité convient que sa première tâche à accomplir est la compilation d'un code d'éthique et de méthodes professionnelles qui ne ferait pas référence aux instruments internationaux mais refléterait les principes éthiques auxquels tout le personnel de musée doit souscrire.

    L'adhésion à l'ICOM ou à une de ces organisations affiliées serait soumise à l'acceptation de ce code dont il serait fait mention dans les statuts. Les comités nationaux étant chargés de vérifier que le code est observé de facto et de jure, en concertation avec le comité consultatif, le conseil exécutif et le secrétariat général.

    Une première version de ce code a été adoptée à l'unanimité par la XVeassem-blée générale de l'ICOM, réunie à Bue-nos-Aires, le 4 novembre 1986. A compter de cette date, une structure permanente est créée au sein de l'ICOM, intitulée Comité pour la déontologie professionnelle, composée à l'origine de cinq membres chargés de sa rédaction. Il n'a pas de mandat déterminé, mais est compétent et peut proposer des avis sur toutes les questions de déontologie se rapportant au Code de déontologie de l'ICOM. Ces avis sont ensuite transmis au conseil exécutif. Ce comité peut être saisi par le conseil exécutif, le comité consultatif, pratiquer une autosaisie, ou encore l'être par un membre de l'ICOM. Il est maintenant composé de neuf membres élus suivant une procédure définie dans les statuts. Actuellement la présidence de ce comité est assurée par Hubert Landais, ancien président de l'ICOM.

    Hubert Landais rappelait récemment que le comité qu'il préside « cherche encore sa voie et qu'il est appelé à répondre à toute une série de demandes dont certaines ne concernent pas forcément la déontologie. Au cours des dernières années le comité s'est renforcé et on est en droit de penser qu'il sera appelé à jouer un rôle plus important dans un proche avenir.

    Certains comités internationaux ont décidé de faire leur propre code de déontologie afin de marquer leur spécificité. Un code à usage des archéologues est en cours de rédaction (Dakar, 1994). Le problème se pose de savoir s'il est nécessaire de multiplier les documents de ce type ou s'il faut envisager une refonte générale. En tout état de cause le Code n'apparaît pas comme un document figé mais comme un texte évolutif, sujet à ajouts et modifications.

    Le Code de déontologie

    Il ne s'agit pas ici de donner le texte de ce document fondamental, pour cela on se reportera à ses nombreuses éditions, mais d'indiquer l'esprit dans lequel il a été rédigé. Dans sa version actuelle (La Haye, 1989) (4) , le Code est divisé en trois titres :

    • Titre I. « Préambule et définitions où sont définis outre le Conseil international des musées, le musée lui-même, la profession muséale et l'autorité de tutelle qui varie d'un pays à l'autre. Le caractère universel de ces définitions est une des grandes forces de ce Code.
    • Titre II. « Déontologie et institutions comprenant les principes de base pour la direction d'un musée, l'acquisition pour les collections de musée, la cession de collections. L'inaliénabilité des collections est rappelée avec force dans les divers chapitres de ce titre II.
    • Titre III. Conduite professionnelle. » Après les principes généraux sur les obligations des membres de la profession muséale, ce sont les responsabilités personnelles vis-à-vis des collections, puis du public, enfin vers les collègues qui sont énumérés.

    On voit que le choix fait par les auteurs du Code est d'aborder, outre les responsabilités personnelles, tous les aspects institutionnels et professionnels du monde muséal en un seul document.

    Il existe à ce jour des traductions du Code en 16 langues, lui assurant une très large diffusion. Dans de nombreux pays, il a soulevé un immense intérêt suscitant des commentaires et communications très au-delà du monde des musées (tout particulièrement aux États-Unis et plus récemment dans le monde arabe). Poursuivre et développer sa diffusion est un des objectifs permanents de l'ICOM.

    La lutte contre le trafic illicite

    Le combat contre l'exportation illégale d'objets de musée est sans fin. Aussi est-il indissociable pour les professionnels de musée du Code de déontologie. Il pose à la fois le problème des acquisitions et celui de la conduite individuelle. C'est un des points forts du programme de l'ICOM dans une période marquée par la multiplication des conflits régionaux à caractère ethnique.

    L'action de l'ICOM va de l'organisation d'ateliers régionaux à la publication d'une série de fascicules intitulés : Cent objets disparus dont le premier volume, consacré au pillage d'Angkor, est paru. D'autres sont en préparation en collaboration étroite avec l'Unesco et Inter-pol. La base de données sur les activités de l'ICOM en ce domaine a été complétée et utilisée pour la production d'un document qui les résume.

    En avril dernier, une rencontre des professionnels des pays arabes s'est tenue à Amman à l'initiative de l'ICOM. Les problèmes d'éthique et de trafic illicite ont été au coeur même des débats. D'autres manifestations de ce type sont prévues en Afrique et en Amérique du Sud.

    Autre aspect de l'action de l'ICOM, la mise en place d'une structure d'urgence destinée à répondre aux besoins provoqués par les conflits armés. Cette démarche est conçue comme un complément de l'action de l'Unesco en ce domaine. Une des premières actions sur le terrain a consisté en l'envoi d'un expert en Croatie pour mesurer les moyens d'apporter un soutien moral et matériel aux musées et institutions patrimoniales touchées par la guerre (5) .

    Un rapport recensant les besoins permettra une meilleure coordination de l'aide internationale. Pour mener à bien ce type de mission, des appels de fonds sont lancés par le secrétariat général.

    Musée et déontologie en France

    Je voudrais évoquer maintenant l'accueil fait dans notre pays au Code de déontologie de l'ICOM. Jusqu'à sa parution, il n'existait aucun texte de référence aussi élaboré en langue française. C'est sans doute ce qui explique que les deux chevilles ouvrières de cette réalisation furent des francophones.

    La diffusion du texte fut rapide au sein des conservateurs de musées français, sans que toutefois sa notoriété ne dépasse les musées. Le peu d'écho qu'il eut, par exemple chez les bibliothécaires, est à cet égard significatif.

    C'est partant de ce constat que le comité français de l'ICOM a décidé en 1993 la publication d'une nouvelle édition largement diffusée auprès des parlementaires, des maires mais aussi de l'ensemble des personnels du ministère de la Culture. Il faut signaler que de nombreux élus ont réagi à cet envoi, manifestant un intérêt certain.

    La définition même du musée est largement reprise dans de nombreux documents : « Une institution permanente, sans but lucratif, au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l'homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique et notamment les expose à des fins d'études, d'éducation et de délectation. »

    On nous a souvent avancé que cette définition n'utilise pas suffisamment un langage juridique, toutefois un texte juridiquement acceptable peut être mis au point à partir de cette définition. La Catalogne, dans sa nouvelle loi des musées de 1990, a repris intégralement la définition de l'ICOM. D'autres États envisagent cette solution avec parfois de légères modifications.

    Dans le projet de loi des musées mis au point récemment par la direction des Musées de France, cette solution n'a pas été retenue bien que le comité français de l'ICOM ait été largement consulté. La seule notion non retenue que nous souhaitions voir apparaître dans la loi est l'affirmation du but non lucratif de l'institution musée - ce qui n'est pas absolument acquis.

    Le libéralisme économique ambiant et le rôle de plus en plus important qu'occupe le patrimoine dans une économie de marché nous appellent à la plus grande vigilance. A cet égard, le Code peut être considéré comme un garde-fou à condition que sa diffusion s'élargisse sans cesse, particulièrement auprès des professions partenaires des musées : antiquaires, commissaires priseurs, mais aussi douaniers, transporteurs et journalistes.

    Certains ont voulu voir dans ce Code l'outil d'un futur ordre professionnel à l'instar des architectes ou des médecins. Je crois que ce serpent de mer vivra encore très vieux, la complexité de l'organisation de notre profession et le manque de base juridique ferme (l'absence d'une « labellisation du mot musée, par exemple) sont autant d'obstacles.

    A la suite de votre invitation, je me suis penché sur les documents d'éthique existant pour les bibliothèques pour comparer l'état d'avancement de nos réflexions et réalisations. Le Code de conduite professionnel de la Library Association (1992) semble à ce jour le document le plus élaboré avec la Charte des bibliothèques émise par le Conseil supérieur des bibliothèques françaises, mais il ne couvre pas un champ aussi large que le code de l'ICOM.

    Il me semble qu'en ce domaine, il est nécessaire de rechercher la possibilité d'un texte à valeur universelle qui prenne en compte tous les aspects d'une profession. Si en Europe cela donne lieu à de multiples débats, je sais d'expérience que ces documents sont fortement souhaités dans les pays du tiers monde où ils peuvent être une arme efficace contre certains abus de pouvoir.

    Le groupe de travail de l'inter-association ABCD pour la rédaction d'une charte déontologique pose des bases tout à fait intéressantes dans son document préliminaire du 3 mars 1994. Entre autres par son aspect pluridisciplinaire, sa prise en compte de l'ensemble des bibliothèques, de la documentation et des archives. La consultation en cours de chacune des associations représentées devrait être l'occasion d'un enrichissement de ce texte qui pourrait également donner lieu à terme à un travail de fond au sein de l'IFLA.

    Il est parfois de bon ton de critiquer les textes théoriques pour leur peu d'efficacité. Pourtant l'expérience montre que lorsque les problèmes deviennent insolubles, aussi bien sur le plan collectif qu'individuel, ces textes sont l'ultime recours. C'est pourquoi nous devons sans cesse les améliorer et les faire mieux connaître.

    1. Comité français, secrétariat: 6, rue des Pyramides, F75041 Paris cedex 01. retour au texte

    2. "Entomological Ethics", par T.D.A. Cockerel, Proc. 10th Meeting EconoEnto, in Bulletin 17 n.e, Washington, 1898. retour au texte

    3. Publié en 1925 par l'Association américaine des musées et repris par Muséum News, Washington, v. 45, n°5, 1967, p. 18-21. retour au texte

    4. Numéro spécial. Code de déontologie, Lettre du Comité national français de l'ICOM, n° 14, 22 mai 1993. Envoi gratuit sur demande au secrétariat. retour au texte

    5. Barbara Roberts : Caractère impératif des missions d'enquête dans les zones belligérantes in Nouvelles de l'ICOM, bulletin du Conseil international des musées, p. 25-26, vol. 47, 1994. (Maison de l'Unesco, 1, rue Miollis, 75732 Paris cedex 15). retour au texte