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    Savoir-faire professionnels

    Par Christine Girard, CRF Médiaquitaine

    Ingénieur culturel, technicien del'information, gestionnaire de projet, médiateur du livre... vous connaissez comme moi la chatoyante palette qui nous dépeint aujourd'hui et à travers laquelle nous avons quelquefois du mal à nous reconnaître. Le développement des bibliothèques, l'accroissement et la diversification de la demande, l'impact des mutations technologiques entraînent le renforcement des spécialisations et l'interpénétration des métiers.

    On parle de plus en plus souvent des métiers des bibliothèques auxquels on associe un large éventail de savoirs et de compétences toujours renouvelé.

    « Il n'y a plus de métier des bibliothèques mais des métiers, des spécialités qui n'utilisent que pour partie des techniques communes », remarque Da-niel Renoult en analysant les évolutions récentes du métier dans l'Histoire des bibliothèques.

    Ou bien à la faveur des changements technologiques et institutionnels, sous l'influence de la décentralisation, émerge un autre modèle : celui du gestionnaire, chef de projet dont les compétences se traduisent par « une aptitude à gérer l'ensemble des moyens matériels, financiers, humains, documentaires, susceptibles d'assurer au mieux les intérêts réels ou présumés de la demande... L'aptitude au diagnostic, fondée sur des dispositions à la synthèse et à la détention de méthodes de travail plutôt que de niveaux de connaissances sont avec l'adaptabilité, les compétences requises pour occuper ces nouveaux postes à responsabilité (1) ».

    Enfin, certains évoquent la mort annoncée du bibliothécaire : « En l'an 2000, quand sera implanté un réseau de communication interrogeable de tous les points du globe et à même d'assurer à tous un accès rapide à une partie considérable des connaissances indispensables, les bibliothécaires auront subi le sort des brontosaures », proposait un récent sujet de concours à la réflexion des candidats inspecteurs de magasinage. De même Jane Robbins, de la School of Library and Informations Studies de l'université du Wisconsin aux États-Unis, annonce :

    « Le personnel des bibliothèques deviendra non plus responsable des opérations dont il a la charge, mais plus clairement aligné sur les desiderata des utilisateurs d'informations. Il renoncera aux postes qu'il occupe à la bibliothèque pour gagner les services de l'université. Le devenir autre des professionnels de l'information est le modèle qui a ma préférence (2) . »

    Un noyau dur

    Si pourtant le métier de bibliothécaire existe, il doit se fonder sur un ensemble cohérent de connaissances et de compétences spécifiques. Je vais donc essayer d'explorer avec vous cette voie étroite : dégager le noyau dur » du savoir du bibliothécaire, valable quels que soient le niveau et l'établissement d'exercice, et applicable aux professionnels d'aujourd'hui comme à ceux de demain.

    La connaissance du livre

    La première compétence du bibliothécaire est, comme l'étymologie l'indique, la connaissance du livre. Il convient de s'arrêter un peu sur cette affirmation qui peut paraître à la fois évidente et quelque peu rétrograde ou réductrice.

    Je dis en effet sciemment connaissance du livre » et non « connaissance du livre et des autres documents » ou » maîtrise des supports de l'information ».

    Si les autres documents et en particulier les documents audiovisuels font désormais partie intégrante des bibliothèques, ils ne constituent pas, à mon sens, ce « noyau dur du métier de bibliothécaire. La maîtrise de l'écrit et du livre me paraissent prioritaires.

    Mais, me direz-vous, l'écrit lui-même subit de telles transformations que le livre est appelé à disparaître. L'édition électronique prend une place croissante dans le domaine scientifique ou dans celui des instruments de référence. Grâce aux réseaux internationaux comme INTERNET, on peut échanger des données, des informations, accéder à de nombreuses bases et recevoir le texte intégral des documents demandés. Alors faut-il aujourd'hui arguer la mort du livre et mettre au premier plan des compétences du bibliothécaire la maîtrise des nouvelles technologies de l'information ?

    Je ne le crois pas. L'expérience montre que les différents médias se superposent plus qu'il ne s'éliminent. Par ailleurs les mutations résultant du traitement électronique de l'information touchent essentiellement les ouvrages et périodiques de recherche. Les romans, les livres d'enfants, les bandes dessinées ne sont pas susceptibles de transformations aussi immédiates. Enfin souvenons-nous que sur treize millions de livres de la Bibliothèque nationale, quelques centaines de mille seulement seront numérisés dans les prochaines années.

    La bibliothéconomie

    Deuxième base de connaissances : la bibliothéconomie, art d'organiser une bibliothèque qui s'est structurée progressivement au cours du XIXesiècle et constitue aujourd'hui un corpus assez homogène et clairement identifié. Elle intègre un ensemble de savoirs et de méthodologies fondamentales, indispensables à l'exercice du métier, mettant en relation ses trois composantes :

    • les documents (typologie, traitement bibliographique, constitution des collections, classement, accès à l'information ;
    • les usagers (psychologie et sociologie du public, relations publiques...) ;
    • les établissements (typologie, gestion administrative et financière, bâtiments).

    Ce domaine de connaissance nécessite bien sûr des révisions constantes pour prendre en compte les évolutions de la profession et si possible prévoir les exigences du futur, mais sa progression logique, sa structuration demeurent essentielles à l'apprentissage du métier. La bibliothéconomie inculque une rationalisation et une normalisation des pratiques sans lesquelles aucune coopération locale, nationale ou internationale, ne serait réalisable. Elle apprend au professionnel, confronté aux problèmes posés par le fonctionnement d'un établissement, à envisager les solutions de synthèse mettant en rapport ces diverses disciplines qu'il a apprises.

    La notion de service public

    Enfin, l'essentiel des emplois étant publics, il faut insister sur la nécessité d'une prise en considération plus affirmée de la notion de service public. Le bibliothécaire doit connaître l'environnement institutionnel de l'administration française et apprendre à réfléchir aux droits et devoirs particuliers du fonctionnaire, adhérer à certaines valeurs.

    Il importe aujourd'hui, plus que jamais, d'inscrire cette dimension au coeur du métier de bibliothécaire. S'il est patent que les bibliothèques ont besoin d'améliorer leurs instruments de gestion, de mieux prendre en compte les besoins des utilisateurs, il convient aussi de ne pas suivre aveuglément les concepts et modes d'organisation des entreprises industrielles et commerciales et de rappeler constamment que les buts à atteindre ne sont pas similaires. « La bibliothèque est un service public nécessaire à l'exercice de la démocratie. Elle doit assurer l'égalité d'accès à la lecture et aux sources documentaires pour permettre l'indépendance intellectuelle de chaque individu et contribuer au progrès de la société ", déclare la Charte des bibliothèques publiée par le Conseil supérieur des bibliothèques dans son rapport en 1992.

    Le service public rémunéré par tous les citoyens est destiné à tous. Le bibliothécaire fonctionnaire doit apprendre à veiller à l'intérêt public, à défendre et soutenir la mission spécifique des bibliothèques.

    Un enseignement de base commun

    Aux compétences que nous avons identifiées correspond un enseignement professionnel de base, déclinable de manière plus ou moins approfondie selon les niveaux mais qui devrait être présent dans toute formation de bibliothécaire.

    Nécessairement généraliste, construit, mettant en relation les trois grands domaines évoqués, il ne cherche pas à transmettre des savoir-faire techniques mais à permettre l'appréhension du métier dans son ensemble. Il inclut l'acquisition de connaissances de méthodologie, propose une réflexion sur les problématiques de l'information et de la lecture, des publics, les missions des établissements et met en contact le futur bibliothécaire avec son environnement professionnel. Il serait dommageable de l'éclater en une multitude de modules, axés sur des spécialités. On a constaté, avec le CAFB par exemple, que les spécialités acquises trop tôt et conçues comme définitives sont porteuses de cloisonnements néfastes. Les apprentissages techniques, les spécialités se situent en complément, et plus particulièrement dans le cadre de la formation continue qui, seule, peut suivre le rythme rapide des évolutions et empêcher les savoir-faire acquis de devenir obsolètes. Il importe particulièrement de faire cette distinction aujourd'hui face à la confusion, dans la nouvelle organisation résultant des changements statutaires, entre formation initiale d'application et formation continue.

    En essayant de dégager le « noyau dur » du métier de bibliothécaire, j'ai finalement rappelé des notions de base, bien connues de tous, mais que la pression des mutations actuelles ou les spéculations sur le futur tendent à masquer.

    L'étude des métiers, menée par exemple actuellement par la DISTB du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, des qualifications nécessaires à tel ou tel niveau de responsabilité, selon les lieux d'exercice ou les secteurs, est tout autant nécessaire. Pour répondre à l'accroissement et à la diversification des activités des bibliothèques, il convient bien sûr d'identifier et de répertorier précisément l'ensemble des besoins.

    Mais il ne faut pas perdre de vue l'indispensable cohérence entre les diverses tâches et compétences, essentielles au développement harmonieux et coordonné des établissements. L'enjeu n'est pas, en réalité, l'identité professionnelle du bibliothécaire, mais bien l'avenir des bibliothèques elles-mêmes.

    1. Bernadette Seibel, -Les enjeux d'une profession -, dans l'Histoire des bibliothèques françaises, 4, "Les bibliothèques au XXe siècle, 1914-1990 ». retour au texte

    2. Bulletin des bibliothèques de France, 1992. retour au texte