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    Médiation à la vidéothèque

    Par Claire Denecker, Médiathèque de la Cité des sciences et de l'industrie

    Considérant l'image comme un excellent support de vulgarisation, la médiathèque lui accorde une place de choix et y consacre, depuis sa création, une part importante de ses moyens. Les choix techniques comme les acquisitions et la mise en valeur des films ont toujours été orientés vers le grand public, cible privilégiée de la Cité des sciences. C'est pourquoi le principe d'un robot-serveur avait été retenu de longue date, pour les possibilités qu'il offrait de gérer une importante collection tout en facilitant la navigation et la consultation du lecteur. Ce projet est maintenant une réalité et la vidéothèque des sciences offre aujourd'hui en libre accès l'ensemble de sa collection audiovisuelle.

    Bien entendu ce qui frappe lors de la mise en place d'un tel dispositif, c'est le confort et la richesse qu'il apporte soudain au lecteur. Voir l'intégralité d'une collection cela signifie pouvoir choisir. Quelles sont les attitudes du public quand on lui propose des images en libre service ? Comment les approche-t-il et comment va-t-il les lire ? Qu'est-ce qui change alors dans la relation entre le lecteur et le bibliothécaire lorsque c'est un écran qui répond directement aux questions que lui pose le public ?

    Le fonds

    La collection de la vidéothèque se compose d'audiovisuels dont nous avons acquis les droits pour une diffusion sur place, non exclusive et non commerciale. Elle rassemble des documents aux propos variés, choisis comme autant d'ouvertures vers les domaines scientifiques et techniques. C'est pourquoi nous avons acquis des films de fiction comme Mon oncle d'Amérique ou bien des films d'entreprise, qui invitent le spectateur à pénétrer le monde industriel et l'aident à mieux comprendre, par exemple, le fonctionnement d'une unité de production (1) .

    Ces quelques 4 000 audiovisuels sont souvent méconnus du grand public et pratiquement invisibles dans les salles de cinéma. En effet ils ne connaissent pas de distribution commerciale, sauf cas très exceptionnels comme Le Monde du silence ou plus récemment Le Pays des sourds.

    Émanant de secteurs d'activité divers comme les ministères, les entreprises, les organismes de formation ou les télévisions par exemple, la collection de la vidéothèque constitue un corpus varié : du clip au documentaire, en passant par les images d'archives et le document pédagogique (2) Cette variété même devient un remarquable outil d'initiation à la lecture de l'image : les vues réelles voisinent avec les images de synthèse, les films de prévention avec les reportages...

    La consultation

    La médiathèque propose trois modes de consultation pour les enfants comme pour les plus grands: une programmation bimestrielle sur des consoles individuelles, des projections hebdomadaires sur grand écran (3) , ainsi qu'un accès à l'ensemble du catalogue via la vidéothèque des Sciences et des techniques. C'est à elle que nous allons maintenant nous intéresser.

    La vidéothèque des Sciences et des techniques fonctionne sur le principe du libre service, principe qui implique le respect de certaines règles.

    Retirés de leur contexte de production - ceci est particulièrement vrai pour les documents pédagogiques ou les films de formation - les documents se consultent à la vidéothèque de manière autonome, et ils doivent donc pouvoir se passer de tout accompagnement (4) . En effet, tout au long de son séjour à la vidéothèque, le lecteur peut rester indépendant puisqu'il fait sa recherche sur le même écran que celui qui sert à visionner les documents. Mais le grand public n'est pas toujours familier de ce type de consultation, si bien que le bureau d'information situé à l'entrée de la vidéothèque répond à plusieurs fonctions. Bien sûr il renseigne sur les films et leur contenu, mais il conseille également sur les accès et sur les modalités de recherche. En bon médiateur, le bibliothécaire sert d'intermédiaire entre l'outil et ses usagers.

    Car le principe du libre service n'est pas toujours aussi transparent que le dispositif porte à le croire - et surtout si les appareillages sont nombreux. Prenons l'exemple de la recherche par mots. À priori satisfaisante parce qu'elle balaye plusieurs zones de la notice, la recherche par mots s'avère souvent trop large (5) ou trop efficace quand on en devine mal le processus ! Ce que les bibliothécaires reconnaissent pour du « bruit » est souvent incompréhensible pour les lecteurs. Certes, il faut rester prudent dans l'emploi de certains termes au moment de la rédaction du résumé (6) ;mais nous devons également sensibiliser le lecteur à ces modes de recherche documentaire qu'il rencontre de plus en plus fréquemment dans sa vie de citoyen.

    Autre écueil engendré par la facilité des systèmes. Parce que les images lui sont presque immédiatement accessibles, le lecteur finit par méconnaître la complexité du système serveur. Puisque toute l'infrastructure (câbles, logiciel, robot (7) , appareils de lecture) est dissimulée aux regards, il en saisit mal le caractère exceptionnel et la relative fragilité. À la moindre défaillance, il manifeste un mécontentement excessif. C'est le cas aussi lors d'arrêts du système qui en informe à son tour le public. Cette intervention du bibliothécaire, parfois ingrate, est pourtant très bien ressentie par le public. Car elle rappelle au lecteur qu'il n'est pas seul devant son écran noir. Sentant les hommes derrière les systèmes, le spectateur redevient compréhensif et les relations avec le personnel, plus conviviales. Bien souvent s'instaure d'ailleurs une nouvelle relation qui pourra ensuite évoluer vers des questions documentaires.

    On retrouve ici un phénomène bien connu dans les bibliothèques : le bibliothécaire qui s'éloigne de son bureau et se rapproche physiquement des collections, se rapproche également du lecteur et suscite ses questions.

    En simplifiant l'accès aux documents, la vidéothèque masque donc une partie de la logique technique et bibliothéconomique qui préside à son fonctionnement. Nous avons vu que le lecteur s'adapte à de telles situations s'il en est correctement informé. Mais la vidéothèque transforme encore d'une manière différente les relations entre les hommes et les systèmes car elle permet d'observer les pratiques des usagers.

    Comme il consulte les films sur place, l'utilisateur de la vidéothèque échappe à la batterie des statistiques établies habituellement par les services du prêt. Et notre visiteur pourrait ne laisser finalement aucune trace de son passage... si la vidéothèque n'avait prévu de faire enregistrer chacune des transactions effectuées sur le catalogue VIDILING (8) ainsi que celles réalisées en cours de visionne-ment. Toutes les requêtes, évidemment anonymes, sont stockées puis restituées sur des listing hebdomadaires dont l'exploitation et le traitement sont actuellement en cours d'élaboration.

    La médiathèque dispose là d'un formidable outil pour mieux connaître les attentes de son public, y compris les moins ordinaires (9) . Il permettra aussi de suivre pas à pas la logique d'une recherche, de relever les occurrences et les termes voisins pour constituer des listes de renvois, ou encore de connaître les films les plus consultés.

    D'autre part, l'observation régulière nous conduit à relever certaines attitudes qui nous ont paru intéressantes. Même si les chiffres dont nous disposons aujourd'hui ne permettent pas de dresser un portrait fidèle de l'usager de la vidéothèque, nous connaissons une partie de ses motivations. Les habitants du quartier utilisent la vidéothèque comme un service de proximité, les jeunes s'y posent des questions existentielles et consultent les films sur l'accouchement, les enseignants cherchent des audiovisuels à vocation pédagogique, les apprentis observent les gestes de l'artisan, les amis de la nature regardent vivre les animaux... Tous fréquentent la vidéothèque selon des modalités et des pratiques qui leur sont propres. Ils visionnent chaque jour 200 à 300 documents et, en période d'affluence, occupent en permanence les 17 postes mis à leur disposition.

    Selon une enquête réalisée en 1993, nous savons que le public intéressé par les films se compose pour plus d'un tiers de visiteurs occasionnels (10) . Le visiteur se présente souvent en groupe, dans le cadre d'une sortie organisée ou le plus souvent accompagné par ses amis ou des membres de sa famille. Il se laisse manifestement attirer par les écrans, tout comme il a été interpellé dans les espaces d'exposition par des objets muséologiques conçus pour le séduire. Une partie de ce public est donc un public « captif », ou du moins captivé par le dessein général de la Cité des sciences : apprendre en situation d'interactivité. Et l'on constate chaque jour, en traversant les espaces fréquentés par le public, combien l'image y est présente, regardée et donc médiatisée.

    Autonomie

    Le comportement du nouveau venu dans la médiathèque et sa réaction face aux écrans nous conduisent à repérer deux attitudes : le souci d'être formé et l'envie d'être autonome. En effet, certains lecteurs adoptent d'emblée une attitude indépendante. Ils se précipitent sur les écrans, pianotent, et semblent éprouver autant de plaisir à la découverte d'un système qu'à la lecture elle-même. Attirés par les moniteurs placés délibérément dès l'entrée de la médiathèque, ils feuillettent pendant quelques minutes un document dont ils ignorent souvent la teneur. Une telle attitude, renforcée par les effets d'écran (11) et encouragée par les scénographies, ressemble parfois à un zapping grandeur nature. Elle ne procède pas d'une question documentaire pour laquelle les bibliothèques sont bien entraînées à répondre, mais d'une sorte de vacance.

    Serait-ce là, dans cette confusion des supports (12) , et des attentes, une piste pour les bibliothèques qui voudraient élargir leur public ? Comment alors appréhender ce mode de consultation sensuel et intuitif qui s'accorde parfois mal avec nos méthodes de recherche académiques ?

    Nous l'avons constaté à la médiathèque, le lecteur indépendant (c'est-à-dire celui qui revendique une autonomie également chère à une grande partie de la profession) sollicite rarement le bibliothécaire (13) . Pourtant les accès au document sont de plus en plus soumis aux appareillages et le public a parfois besoin d'être guidé dans sa recherche. À cet effet, la médiathèque a instauré aux heures d'affluence un service mobile qui régule les flux, accompagne les flâneurs et donne des précisions sur les consoles audiovisuelles.

    Ce genre d'intervention a souvent le mérite d'apaiser et de transformer une agitation ambiante en découverte parfois passionnée. Elle se situe au coeur de la fonction même de vulgarisation puis-qu'elle tient lieu de médiation entre une offre et une demande.

    Sociabilité

    D'autres lecteurs réclament au contraire une médiation humaine avant même d'approcher le moindre appareil. S'adressant d'emblée au personnel, ce type de lecteur demande des explications et se place en situation d'observation, voire d'apprentissage. Il s'agit alors d'expliquer le fonctionnement de machines qui n'affichent pas d'emblée leur fonction (14) . La transaction semble a priori plus simple, en tout cas plus conforme à une démarche professionnelle. La difficulté consistera à conserver l'attention de son auditoire, c'est-à-dire à lui donner la « juste » information. S'adapter au niveau de la demande, utiliser les images qui feront écho, repérer les centres d'intérêt de l'interlocuteur, enfin lui permettre de trouver un équilibre entre le comprendre et le faire.

    Le lecteur devient alors autonome jusqu'à ce qu'il approfondisse sa recherche et qu'il ait de nouveau besoin d'aide...

    Une fois formés à l'utilisation de la vidéothèque, les habitués s'adressent rarement au bibliothécaire. C'est probablement que l'outil offre toute satisfaction. Mais il ne faut pas oublier quelques phénomènes « parasites », comme le désir de s'isoler dans un espace où le plaisir spéculaire est ouvert au regard de l'autre. À la vidéothèque, on voit le spectateur regarder son film et l'on peut aussi regarder ceux qui regardent le spectateur (15) ... Une telle configuration se prête volontiers aux échanges entre spectateurs. La visite à la vidéothèque se fait souvent à plusieurs, et il est fréquent de voir un petit groupe regarder un film. Certains en commentent les images, ou s'interpellent pour se montrer une scène. D'autres, plus expérimentés, expliquent à leur entourage le fonctionnement de la vidéothèque. Parfois, l'un des protagonistes impose la consultation d'un film aux autres membres du groupe qui affichent plus ou moins ostensiblement leur ennui ou leur bouderie. Ces comportements de groupe s'observent souvent au sein du cercle intime ou familial, ce qui tendrait à montrer que les usagers se sont bien approprié l'espace. Il faut noter aussi des phénomènes de « reproduction » : un écran allumé attire les regards et donne l'envie de voir. Ainsi l'on observe souvent que les postes sont occupés par grappes.

    La vidéothèque, espace de sociabilité, encourage parfois les échanges entre des lecteurs qui ne se connaissent pas. On s'interpelle d'un écran à l'autre, on demande à son voisin le titre du film qu'il regarde, on échange des avis ou des petits conseils.

    Accéder au savoir librement, c'est aussi accéder à la complexité. Le public en fait le constat tous les jours. Comme nous le supposions, l'ouverture d'un système-serveur a transformé les interactions entre le public et l'image. Mais elle a également recomposé les relations entre les hommes. Ainsi, elle développe des formes de sociabilité, qui privilégient le rapport inter-individuel : donner un espace de parole au film, c'est aussi parler de son plaisir à le regarder, et partager celui de l'autre. À la vidéothèque, les comportements et les modes de lecture sont à la taille de l'écran, très différents par exemple des phénomènes de groupe observés en salle de projection.

    Resterait maintenant à mieux évaluer la manière dont les lecteurs s'approprient le coeur même de ce système, à savoir la connaissance.

    1. Nous évitons cependant les documents à connotation promotionnelle, style fréquent pour ce type de film. retour au texte

    2. D'autant plus que la médiathèque a délibérément choisi de diversifier les sources de ses acquisitions afin de multiplier les chemins d'accès au savoir scientifique. retour au texte

    3. Le programme de la salle Jean Painlevé, de la salle Shadoks réservée aux enfants et des consoles programmées est disponible à la médiathèque. retour au texte

    4. Bien entendu, nous présentons les films quand cela est possible, et de manière systématique avant une séance de projection. retour au texte

    5. Elle s'effectue en texte intégral sur la zone du résumé et porte aussi sur les zones auteur, producteur. retour au texte

    6. On évitera par exemple de parler de la préhistoire du cinéma - sous peine de retrouver ce titre avec les films de paléontologie. retour au texte

    7. On peut cependant le voir fonctionner dans un local à l'extérieur de la médiathèque. retour au texte

    8. VIDILING est le logiciel documentaire qui gère les films intégrés dans le serveur audiovisuel. retour au texte

    9. On peut citer pour exemple la forte proportion de questions sur l'islam au moment des attentats de l'automne 1995, qui restent évidemment sans réponse dans une bibliothèque scientifique si ce n'est par des documents sur l'histoire des sciences et ses rapports avec l'islam. retour au texte

    10. Étude de public réalisée par la Cité des sciences sur la fréquentation de la médiathèque. retour au texte

    11. Combien de mamans retirent leurs bambins des consoles audiovisuelles en se lamentant : Tu ne vas pas encore regarder la télé ! " retour au texte

    12. Les écrans audiovisuels sont souvent pris pour des consoles de jeu. retour au texte

    13. Il serait également intéressant d'étudier le comportement des bibliothécaires face à un système qui met en oeuvre ce principe d'autonomie. À l'heure où les écrans semblent faire concurrence à notre métier, comment la profession se comporte-t-elle ? retour au texte

    14. À la médiathèque, tous les écrans se ressemblent, qu'il s'agisse de l'OPAC, des consoles audiovisuelles ou des postes de consultation de CD-ROM. retour au texte

    15. Les muséologues connaissent bien ce phénomène : les badauds profitent de la présence d'un - leader- pour suivre passivement son cheminement sur un écran interactif. retour au texte