Index des revues

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    Par Odile Belkeddar
    Alexandre Stroev, dir. d'
    Marie-Louise Bonaque, trad

    Livre et lecture en Russie

    Paris : IMEC éd., Éd. de la Maison des Sciences de l'Homme, 1996. 311 p. (Collection In octavo 4). ISBN 2-908295-29-6. ISBN 2-7351-0712-4. Prix : 230F.

    "L'utopie du lecteur idéal et du livre accessible à tous a disparu observe, devant la situation éditoriale actuelle, A. Stroev, directeur de recherche à l'Institut Gorki de littérature mondiale (Moscou) et professeur invité à l'université Paul-Valéry de Montpellier. Après une précédente contribution au colloque « Histoires de la lecture : un bilan des recherches » (29 et 30 janvier 1993 (1) ) sous la direction de Roger Chartier, où il brossait un premier panorama des recherches russes consacrées à la lecture, A. Stroev enrichit d'un quatrième titre la collection « In octavo » qui a pour objectif de publier des ouvrages scientifiques sur l'histoire internationale du livre et de la lecture avec le souci de faire découvrir des travaux méconnus, en cours ou inédits sans exclusivité de méthodes, de sujets ou de périodes.

    De fait, les projecteurs que braquent sur l'URSS et la Russie les douze articles choisis par A. Stroev éclairent une histoire complexe et passionnante de la lecture, caractérisée par une conception où « il est plus important de relire plusieurs fois et de connaître presque par coeur un livre que d'en feuilleter des dizaines en vitesse et qui est presque systématiquement inverse de celle de la France. L'écrit, étant sacralisé (« Sacrée leur apparaît toute feuille imprimée... » par Véra Miltchina), est donc porteur de sens caché, au point que, explique ainsi A. Stroev utilisant une image évocatrice : La phonétique incompréhensible de Brejnev répondait mieux à l'image russe d'un souverain que l'éloquence de Mikhail Gorbatchev. »

    L'étude des constantes de la lecture du Moyen Âge à nos jours est complétée par la présentation d'un point de vue sociologique des principaux courants littéraires depuis le formalisme. Parmi les auteurs (historiens de la littérature, sociologues, critiques littéraires, linguistes que présentent des notices bibliographiques), un seul avait déjà été publié en français : Iouri Lotman qui signe ici un texte sur la mémoire (« le lecteur qui reçoit le texte d'une oeuvre peut se souvenir de ce qu'il méconnaissait Texte et structure de l'auditoire, 1977). Et si deux articles remontent à 1922 (l'un concerne en partie une éventuelle influence voltairienne sur Pouchkine et donc son lectorat : « Pouchkine, lecteur des poètes français » par Boris Tomachevski), la majorité des contributions sont récentes (1982 à 1992) et font état de travaux diversifiés, entrepris sous l'époque soviétique dans une langue volontairement opaque, ésotérique"(ce qui n'est pas le cas dans ce volume...) pour gêner la censure d'alors et portant sur des périodes ou des pratiques apparemment sans rapport avec le contexte du réalisme socialiste.

    La (dé-)formation du lecteur entre celle que l'auteur construit, celle que jusqu'alors le pouvoir déterminait (littérature industrielle, de masse) ou celle que l'édition cible, fait l'objet de plusieurs interrogations et analyses : l'endoctrinement dans Le lecteur des vies de saints par Baruch Behrmann ; « la force centrifuge d'une culture unique au travers des Paradoxes de la sentimentalité par Andrei Zorine et Andrei Nemzer ; « Quel matériau soumettre à l'investigation historico-littéraire ? » (Étudier l'histoire des lecteurs : un problème actuel de l'histoire littéraire par Alexandre Beletski, second texte daté de 1922) ; « Comment a-ton pu lire cela ? (Les livres qui avaient nos préférences par Serguei Chvedov) ; « Comment les nouvelles tendances de développement social peu-vent-elles se matérialiser ? » particulièrement intéressant sur le rôle et l'évolution actuelle de bibliothèques russes au nombre de 326 000... (La culture littéraire : ration et production par Lev Goudkov et Boris Dou-bine). Marietta Tchoudakova s'est intéressée à la période post-révolutionnaire quand la question de « comment écrire ? était remplacée par comment être écrivain ? » (Les postures littéraires des prosateurs au lendemain de la Révolution).

    D'autres aspects, parfois étonnants, sont abordés comme les conditions de rémunération des auteurs aux XIXe et xx" siècles (Les honoraires littéraires, médiation entre l'écrivain et le public par Abraham Reitblat) ou la distribution aux particuliers, décidée à partir de 1974, d'oeuvres littéraires de « qualité « populaires », « introuvables en échange de vieux journaux, revues et même de... livres (Papier récupéré et livres par Aleksei Levinson) ou encore les revues à compte d'auteur (Une percée vers le lecteur par Dmitri Ravinski).

    Il est impossible de rendre vraiment compte de ce livre foisonnant dont, de plus, les nombreuses références littéraires, souvent liées au patrimoine européen, sont une mine d'oeuvres à redécouvrir : comment d'ailleurs ne pas enchaîner sur le prix Médicis étranger 1996 (Sonietchka de Ludmila Oulitskkaia (2) ) illustrant à merveille « ce goût pour la lecture, qui prenait l'allure d'une forme bénigne d'aliénation mentale, la poursuivait jusque dans son sommeil : même ses rêves on peut dire qu'elle les lisait. Comme s'il s'agissait de choisir inéluctablement entre la lecture ou la vie (Sonietchka deviendra bibliothécaire...).

    Et puis encore, à Saint-Pétersbourg, vient de paraître le premier numéro de la revue (tirée à 1 000 exemplaires) de l'association des bibliothécaires de Saint-Pétersbourg, créée en 1989. Elle s'appelle L'école bibliothéconomique de Saint-Pétersbourg au double sens de courant de pensée et de formation permanente, et la société 3M y fait sa publicité. Il y est question de finances catastrophiques et de bibliothèques fermées « pour une durée indéterminée de journées organisées notamment avec la médiathèque de l'Institut culturel français, d'un stage à la bibliothèque du Congrès, du format marc et de la reconnaissance de la Bibliothèque nationale de Saint-Pétersbourg vis-à-vis de celle de Moscou (chacune de ces capitales arguant de sa suprématie, comme dans d'autres domaines d'ailleurs).

    Les dernières pages sont malgré tout consacrées à des jeux... de lecture dont les mots, citations, expressions appartiennent au vocabulaire bibliothéconomique.

    1. IMEC-Éditions, 1995. retour au texte

    2. Trad. du russe par Sophie Benech, Paris. Gallimard, 1996. 116 p., ISBN 2-07-073872. 80 F. retour au texte