Cet ouvrage collectif, publié à la fin de l'année 1995, n'a pas encore fait l'objet d'une présentation dans notre Bulletin. Toutes nos excuses à l'équipe des coordonnateurs qui ont su mettre en perspective les 34 articles proposés « pour offrir à la fois un outil de travail et une réflexion sur les enjeux auxquels sont confrontés les directeurs des bibliothèques d'enseignement supérieur" dans des pays francophones (France, Belgique, Québec, Sénégal, Suisse, Tunisie). Ce qui se dégage de cet ensemble foisonnant et riche, c'est d'abord un partage d'analyses et d'expériences, à partir de cheminements professionnels singuliers : interroger les notions et les pratiques de ce « métier en proposant plusieurs angles de vue, c'est aussi aider à en comprendre les enjeux et à en faciliter l'exercice. Cette exploration partagée n'a nulle prétention à l'exhaustivité ni à constituer une doctrine ; même si l'on sent pointer ici ou là quelques substrats « idéologiques le façon affirmée ou diffuse (les uns résolument « progressistes d'autres plus « légitimistes ) il n'y a pas, à proprement parler, d'écoles de pensée.
Les 34 séquences s'associent pour construire une représentation cohérente de la fonction de direction dans ses réalités les plus contrastées : «une même volonté d'améliorer sans cesse la qualité des services dus aux lecteurs règne en tout lieu, même si elle repose sur une pratique nécessairement modelée par des traditions culturelles et enfermée dans le carcan d'ambitions, de conceptions, de réalisations fort diverses" (p. XIV).
Après une introduction générale présentant les transformations en cours de la gestion des organisations et les bases d'un nouveau modèle d'organisation de la documentation universitaire, les 34 articles sont organisés en quatre parties, chacune étant précédée d'une introduction qui vise à harmoniser les points de vue sans en gommer la confrontation.
Dans leur introduction, Bertrand Calenge et Jean-Michel Salaùn reconnaissent que même si tout le monde s'accorde à souligner « l'importance des hommes et de leur gestion dans les changements en cours des bibliothèques universitaires..., la littérature professionnelle est, dans ce domaine, bien pauvre. Sur la technique, il y a pléthore, sur les hommes pénurie... comme si la première n'était pas maîtrisée par les seconds, ni au service de ces derniers ! Cette carence dans la réflexion est inquiétante" (p. 345).
Plusieurs travaux sont en cours en France, remarquent-ils, tout en soulignant que le temps où les bibliothèques étaient un refuge pour des professionnels déçus par d'autres voies ou, pire, refusés ailleurs est (doit être) révolu.
Mais celui où des bibliothécaires, bien dans leurs bibliothèques et ouverts sur le monde, disposent de la maîtrise de leur profession, n'est peut-être pas encore tout à fait arrivé... » (p. 346).
Les deux articles de France Bouthillier (p. 347 à 355 et p. 377 à 380) sont éclairants : gestion du changement, motivation au travail et formation à la situation de service vont de pair.
La réflexion de Marie-Hélène Bournat sur « le métier de directeur : de l'érudit au gestionnaire culturel (p. 357 à 361) est symptomatique des paradoxes de la fonction.
Cette rapide évocation de la structure de l'ouvrage, avec des points d'arrêt sur quelques articles, n'en dit qu'à peine toute la richesse. « Ce livre est aussi une espérance. Il propose des chemins d'avenir remarque Martin Nicoulin, président de l'ABCDEF (p. XI).
Peut-être aura-t-on parfois l'impression que certaines contributions ont du mal à concilier l'exigence mana-gériale et l'exigence administrative et qu'un ton un peu trop académique (doctrinaire ?) s'impose, comme si pour rendre possible la construction d'un sens, il fallait toujours osciller entre justesse du constat et contrainte interprétative.
Il est vrai que ce décalage est difficilement maîtrisable quand on cherche à apporter des réponses aux questions que se posent les praticiens sur le terrain. Chacun pourra donc tester la validité des analyses proposées, à mi-chemin entre réalité sentie, observée et représentation qu'on s'en fait, dans un climat de responsabilité et de respect de tous les acteurs concernés. L'intelligence de la tâche exige une vigilante activité critique, car il n'y a pas de modèle, sinon éphémère et contingent, mais plutôt des champs de luttes et de tensions où faire mûrir un style de pensée et de comportement.
Le travail amorcé par cet ouvrage est un pari important : « diriger une bibliothèque d'enseignement supérieur», ça n'est pas qu'une affaire de méthode, de moyens, de contexte institutionnel, ça n'est pas qu'une composition mécanique de facteurs, mais la mise en jeu d'un projet collectif que chaque individu s'approprie selon sa position et son engagement (et chacun n'est-il pas aussi pris dans des champs de pouvoir auxquels il participe ou qu'il subit?).
Les perspectives comparatives présentées dans cet ouvrage ne sont pas seulement instructives ; elles témoignent d'initiatives et d'ouvertures novatrices capables de renouveler la réflexion et l'action des équipes de direction de nos bibliothèques.