Index des revues

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    Par Jacqueline Gascuel
    Roger Chartier, dir. de
    Hans-Jùrgen Lüsebrinkdir

    Colportage et lecture populaire

    Imprimés de large circulation en Europe, xvf-XDf siècles

    Paris : IMEC éd., Éd. de la Maison des sciences de l'homme, 1996. (Collection In-Octavo). ISBN 2-908295-30-X; 2-7351-0713-2. Prix : 250 F.

    Cet ouvrage publie les actes d'un colloque qui s'est tenu en avril 1991 à Wolfenbüttel. Mais certaines interventions ont été mises à jour depuis cette date car les dernières références bibliographiques sont de 1996. Ce colloque veut contribuer à une approche des imprimés « de large circulation », qui tende à dénouer « le lien, longtemps affirmé, entre certains genres textuels, des formes imprimés spécifiques et un public considéré comme populaire

    Un parcours qui s'étend sur une dizaine de pays : la France, et notamment Paris, l'Allemagne, la Suisse, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, mais aussi la Rouma-nie, la Hongrie, etc. Dix-neuf interventions s'appuyant sur les résultats de travaux de recherche déjà publiés, ou en cours. Comme le souligne Roger Chartier dans son introduction, les analyses qui prennent en compte la diversité des stratégies éditoriales et la diversité des usages permettent de désenclaver certains types d'écrits : les almanachs, tantôt genre de tradition populaire, tantôt mis au service de la vulgarisation scientifique et du progrès économique ; ou certaines légendes, comme celles de Griselidis ou de Fortunatus, dont le récit se modifie et s'adapte en fonction de l'époque (du Moyen Âge à l'époque romantique) ou du public visé (le peuple ou les élites).

    Une autre idée qui court à travers plusieurs des interventions, est celle de l'ancrage « multimédia de l'imprimé : intégrant images, chansons et textes. C'est le cas notamment au moment de la Révolution française et de la diffusion outre-Rhin des idées révolutionnaires (communication de Hans-Jùrgen Lùsebrink et Rolf Reichardt).

    On appréciera l'exploitation des études antérieures, mais surtout le recours à des sources inhabituelles, comme les rapports de police sur les colporteurs de livres prohibés (Gudrun Gersmann), ou l'étude de l'iconographie pour dresser un portrait de la lecture et des lecteurs (Fritz Nies).

    Un article essentiel pour la compréhension des mutations des imprimés de large circulation est celui que Klaus-Peter Walter consacre à la littérature de colportage et au roman feuilleton publié dans la presse, entre 1840 et 1870. Pendant toute une première période, il s'agit de deux genres très différents, avec un public bien ciblé. Les romans, publiés au « rez-de-chaussée » des journaux, ont un objectif commercial : conquérir et fidéliser une clientèle nouvelle, mais qui se recrute dans un milieu relativement aisé et cultivé. Aisé parce que la vente au numéro demeure marginale et que l'abonnement annuel (52 F pour Le Constitutionnel en 1852) représente près d'un mois de salaire d'un ouvrier agricole (1,65 F par jour) - et que seuls les grands centres urbains possèdent des cabinets de lecture ; cultivé parce que les textes sont fort longs, la narration complexe, le souci de l'inédit et de l'actualité prédominant. C'est un tout autre corpus qu'offre au monde rural le circuit du colportage : des textes relativement courts (ou abrégés), illustrés, un canon qui remonte parfois au Moyen Âge, dégagé des contingences temporelles et relativement stable, etc. En dépouillant les archives d'un certain nombre de départements d'Alsace-Lorraine, l'auteur voit se confirmer la presque totale étanchéité entre les deux corpus. Il faudra attendre les années soixante, la création de la presse « à un sou » et l'arrivée du chemin de fer qui en permet la diffusion jusque dans les campagnes, pour que sonne l'heure du déclin pour le colportage - et avec lui de la disparition d'une tradition littéraire pluriséculaire.

    Très différente est la réflexion de Ludovica Braida sur les almanachs italiens. Tout d'abord parce qu'ils sont diffusés par la librairie et non par des colporteurs, ensuite parce qu'ils vont au fil des années devenir des outils de transmission de la culture scientifique. Orientation que nous retrouverons sous des formes diverses dans toute l'Europe des Lumières.

    Si les deux-tiers des contributions sont rédigées en français - y compris lorsqu'ils émanent de professeurs à l'université de Sarrebruck - quelques-unes sont en allemand et une en espagnol. Mais des résumés permettent aux lecteurs qui ne maîtrisent pas l'une ou l'autre de ces langues d'accéder à l'essentiel de l'argumentation. Ils sont également rédigés en anglais. L'abondance des notes est malheureusement desservie par le fait qu'elles ont toutes étaient regroupées en fin de chapitre (et non en bas de page). Quelques coquilles surprennent dans un ouvrage qui fait preuve par ailleurs d'une solide érudition et d'une rigueur novatrice.