Voici un petit livre fort utile et remarquablement lisible malgré les aspects techniques du réseau qu'il décrit. Si nous avons droit à quelques « mégabits », le texte est tout à fait abordable par le profane qui y trouvera des renseignements importants sur des points peu traités jusqu'à présent. Contrairement à beaucoup d'ouvrages sur Internet parus ces dernières années, il ne décrit pas en détail les services offerts par ce réseau de réseaux, mais cherche à le démythifier en démontant sa structure, en soulignant son importance et ce qu'il apporte réellement à notre société, voire à notre pays. Il le rend aussi simple à comprendre que le minitel.
Il constitue le deuxième volet d'une réflexion de l'AFTEL sur les autoroutes de l'information qui vise à réveiller, il écrit même secouer, les acteurs français du domaine pour dépasser le minitel et prendre le virage du réseau mondial à large débit.
Une des premières phrases du chapitre 1 montre bien le ton : « L'Internet n'est pas, en premier lieu, un réseau physique : c'est une communauté d'ordinateurs qui parlent le même langage, en l'occurrence TCP / IP. Conçu à l'origine comme un instrument de communication entre scientifiques, il ne sera envahi par les commerciaux que beaucoup plus tard. Tous ses caractères de gratuité, de rapidité, d'optimisation du circuit des données, de non-hiérarchie et de non-organisation viennent de cet objectif premier. Il est une communauté informelle de personnes - qui échangent des informations en « mutualisant leurs ressources ". Une histoire parallèle d'Internet et de Télétel est proposée à partir de 1982, année cruciale puisqu'elle voit le développement des deux réseaux. Le minitel n'a pas évolué parce qu'il était un produit fini devant générer des profits unilatéraux alors que la communauté scientifique mondiale a constamment amélioré Internet en proposant gratuitement de nouveaux logiciels.
Il montre ensuite le succès du protocole TCP / IP, simple, gratuit, versatile, sans connexion permanente ni circuit bloqué, par rapport à la norme OSI, plus rigide et fermée. TCP / IP ne connaît que les adresses des stations et envoie, de l'une à l'autre, les paquets indépendamment les uns des autres par des voies différentes, selon les circuits disponibles, ce qui convient très bien aux messages textuels mais mal aux futurs trafics de la téléphonie et de la vidéo qui exigent une synchronisation plus grande. C'est pourquoi une nouvelle version est en préparation ainsi qu'une nouvelle technique : ATM. Les applications sont succinctement décrites : messagerie, forums, transfert de fichiers, connexion à un autre ordinateur, et surtout le WEB (la Toile) qui permet de naviguer dans les sites d'Internet, grâce à l'hypertexte.
La structure d'Internet explique aussi son succès. C'est la connectivité globale, sans monopole ni hiérarchie. Chaque ordinateur connecté, micro ou supercalculateur, a la même valeur puisqu'il a une adresse unique et est raccordé au réseau par son réseau local, lui-même raccordé au réseau national raccordé au réseau européen et ainsi de suite. On ne peut donc accéder à l'Internet que par un opérateur relié lui-même au réseau. La tarification est forfaitaire puisque le seul coût est la connexion ; une fois celle-ci établie, la distance, la durée, le volume ne comptent plus. Internet ne fournit que les " tuyaux et ne garantit donc pas les services fournis par les sites connectés. Les instances de régulations sont l'Internet society, l'Internet engineering task force, l'Internet assigned numbers authority et le W3 consortium.
Internet n'est pas, contrairement à ce qu'on pense, gratuit. Rien qu'aux États-Unis, le coût global est estimé à 5 milliards de francs. La dépense par accédant serait de 270 F. Ces coûts, fixes, sont simplement pris en charge par les organismes utilisateurs qui ne les répercutent pas sur les individus. Le mode de fonctionnement d'Internet, l'optimisation des circuits, le partage des ressources expliquent cependant un coût bien inférieur aux autres réseaux. Mais ce système est menacé par la « congestion », l'arrivée de la téléphonie et du multimédia.
Le chapitre 2 décrit les usagers d'Internet. Plus de 6,6 millions d'ordinateurs, plus de 35 millions de personnes étaient connectés en juillet 1995. Il est dommage que ces données datent d'un an, car elles ont dû augmenter largement depuis. Ces dernières années, les serveurs commerciaux sont passés de 34 à 51 % du total. En France, les utilisateurs seraient 250 000 environ, dont 200 000 chercheurs. Plus intéressant est la répartition du trafic sur Internet. WEB représente 26 %, la messagerie 5 %, ce qui correspond cependant à 5 milliards de messages par mois. Cela montre bien qu'Internet repose sur la communication et pas uniquement sur le WEB. D'autres chiffres sont donnés, intéressants dont 70 000 services (630 en France), mais on ne peut les citer tous.
Le chapitre 3 montre qu'Internet et Télétel répondaient au même grand dessein de développer la connaissance par les réseaux (rapport Théry en France, autoroutes de l'information d'Al Gore). Ce qui lui permet de régler quelques comptes avec France Télécom et sa conception des réseaux. L'auteur oppose la conception d'un grand réseau unique (lourde infrastructure) aux multiples réseaux interconnectés d'Internet. L'interconnectivité est pour lui la réponse. Mais Internet a quand même quelques défauts. Sécurité, complexité, qualité insuffisante, engorgement sont les principaux, mais l'auteur est optimiste et pense qu'Internet surmontera ses inconvénients actuels grâce à ses qualités propres, décentralisation, nombre d'acteurs, richesse. Il le voit comme le « réseau universel de données aussi simple et banal que le téléphone. Même les réseaux commerciaux privés vont disparaître ou du moins s'intégrer dans Internet.
Le chapitre 4 analyse le commerce électronique sur Internet et ses conséquences : confidentialité, sécurité, paiement. Le chapitre 5 reprend la comparaison entre Télétel et Internet et propose des solutions pour passer d'un système trop lent et trop cher, en perte de vitesse, à une nouvelle télématique mondiale, rapide, peu chère, décentralisée avec un certain nombre d'urgences à réaliser pour que la France puisse pleinement y participer. D'ailleurs le chapitre 6 reprend les propositions de l'AFTEL, au nombre de cinq : créer des produits français, faire évoluer Télétel, développer les opérateurs français, adopter un cadre juridique, valoriser le patrimoine français. Internet représentant une formidable chance pour l'avenir, la France ne peut rester à l'écart, même si, actuellement, l'Amérique représente 66 % du réseau. Il faut, dit l'auteur, « déplacer l'accent encore placé sur l'infrastructure pour se préoccuper avant tout de l'accès au réseau et des contenus. » Parmi ceux-ci, le problème du multilinguisme est crucial. Il faut modifier les protocoles Internet pour qu'ils acceptent les accents. Il faut multiplier les accès performants et peu coûteux. Il faut multiplier les services français. Comme on le voit, l'ouvrage se fait à la fin militant et interpelle les pouvoirs publics afin qu'ils agissent rapidement. On ne peut que l'approuver.
Enfin, quelques annexes donnent les moyens d'accéder à Internet, les conditions tarifaires de certains fournisseurs, les moyens de créer un service sur « la Toile », et les conditions de cryptage.
Cet ouvrage décrit Internet sous un jour inhabituel, à la fois plus technique et plus politique, plus philosophique aussi. Il permettra, je l'espère, aux lecteurs de mieux appréhender ce réseau et de mieux en mesurer l'importance, non comme un mythe à la mode dont on parle sans savoir, mais comme une transformation profonde de notre société. Quand je pense aux difficultés, voire aux impossibilités rencontrées il y a quelques années dans la « connexion des systèmes hétérogènes », avec la norme OSI et des projets comme ION, EDIL, ou, plus ancien, comme Médicis, et puis, voilà que tous ces problèmes sont résolus et qu'un système simple et pas cher interconnecte tous les ordinateurs du monde. Il y a sûrement une étape qui nous a échappé !