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Cent ans de l'Office international de bibliographie: 1895-1995

1996
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    Par Claudine Belayche
    Mons Mundaneum
    Andrée Despy-Meyer, avant-propos

    Cent ans de l'Office international de bibliographie: 1895-1995

    Mons (Belgique) : Mundaneum, 1995. ISBN 2-930071-05-2. Prix : 975 FB.

    Cet ouvrage, publié à l'occasion du centième anniversaire de la création de l'Office international de bibliographie, se compose de contributions variées, sur les différents aspects de cette création et les différentes facettes de ceux qui l'ont portée sur plus de cinquante ans, en particulier Paul Otlet et Henri Lafontaine.

    Disons d'emblée qu'il intéressera au moins autant les historiens du pacifisme et des idées internationalistes développées autour de la Première Guerre mondiale que les historiens bibliographes. N'étant pas du tout spécialiste du domaine, je ne me risquerai pas à analyser les différentes contributions. Mais plutôt à dire pourquoi j'ai lu, avec grand intérêt, cet ouvrage de près de 400 pages.

    Replacer l'histoire de la grande aventure bibliographique internationale dans le monde de l'époque, dans les préoccupations pacifistes qui se faisaient jour dans les débuts du siècle, permet une autre lecture de ces entreprises qui, avec les moyens de l'époque - des fiches - nous semblent marquées d'utopie. Les auteurs successifs montrent combien la recherche bibliographique, la création d'une classification universelle (après celle de M. Dewey, et avec son accord »), est un versant sinon accessoire, du moins second par rapport aux préoccupations politiques fondamentales d'Otlet et Lafontaine : ce dernier aura le Prix Nobel de la paix, l'année où R. Tagore obtenait celui de littérature...

    Ainsi, les « contributeurs nous donnent des biographies très complètes de ces deux « génies, fondateurs du Mundaneum où la participation de chacun, à son tour, aux entreprises de création, et d'administration de la Société des Nations, de la Cour suprême de La Haye, du Bureau international de la paix, est décrite en détail.

    Ce qui frappe le lecteur, c'est combien le combat pour la création de divers organes - associations, fédérations, offices internationaux, puis Palais mondial, et last but not least Cité mondiale - est celui incessant d'Otlet en particulier, avant et après la guerre de 1914. Dans un milieu de grands bourgeois pacifistes, persuadés que la paix internationale est la vertu suprême, en forte solidarité avec des industriels (tels SOLVAY qui ne lui ménagera pas ses appuis, financiers et politiques) l'activité militante d'Otlet et Lafontaine est constante, ne se laisse pas rebuter par les échecs successifs d'entreprises qui paraissent un peu folles aujourd'hui, quand on songe aux moyens techniques de l'époque.

    Douze millions de fiches pour le début de la Bibliographie internationale, en 1914 ; l'objectif était de cinquante millions, car il s'agissait de répertorier dans un lieu unique et accessible à tous, la totalité des ouvrages édités depuis le XIXe siècle. L'objectif ne sera jamais atteint, le gouvernement belge ayant cessé son soutien dans les années 1930, et les autres pays n'ayant pas pris le relais.

    Il faut bien dire que, selon les portraits très peu hagiographiques (il est bon de le noter, les rédacteurs des articles ont une admiration critique pour leurs « maîtres ») Otlet et Lafontaine ont ensemble, ou séparément, mené un combat effréné, constant, jamais affaibli, pour leurs idées, leurs projets. L'objectif de création de répertoires mondiaux, de la Bibliographie internationale des ouvrages, d'un Répertoire universel de documentation (dossiers documentaires, brochures, ...) d'un Répertoire iconographique universel, ainsi que d'un Répertoire général de renseignements (annuaires, tables de revues, relevés divers, brevets, ...) n'était pour eux que la traduction d'un idéal de paix universelle qu'ils n'ont jamais occulté pendant leurs tribulations à la recherche d'aides et de financeurs, ou de soutiens à leur cause. Il est intéressant, bien que cet ouvrage n'en fasse pas mention explicite, de faire le rapprochement avec la Fondation pour la paix internationale d'Andrew Carnegie, qui dans ses objectifs fondateurs de mettre fin aux guerres, après 1918, inscrivit dans ses oeuvres de paix la reconstruction de bibliothèques européennes détruites pendant la guerre (dont celle de Reims).

    Si nous revenons au fond, aux moyens bibliographiques, les auteurs par leurs citations, les illustrations remarquablement choisies mettent en valeur la modernité des choix proposés. La définition de la documentation, dans le Traité de documentation d'Otlet est applicable intégralement aujourd'hui. Après tout, ces répertoires - sur fiches - regroupant la totalité de la production éditoriale trouvent leur application grâce aux moyens techniques numériques... Il est tout à fait intéressant de voir que, pour les penseurs les plus avancés de cette époque, la bibliographie, apanage du bibliothécaire « classique était totalement intégrée à la pratique de la documentation la plus moderne, et que la distinction bibliographie / documentation n'existait pas pour ces bibliographes...

    Je ne saurais terminer sans parler du dernier chapitre, « Le projet de création d'une Cité mondiale projet tout autant idéologique qu'intégrateur ; d'aucuns diraient totalitaire, à la manière des phalanstères : musée, bibliothèque, restaurants, stade, et son géométral », une tour en forme de ziggourat en trois espaces (lieu, temps, objet). Otlet a tenté d'y intéresser les plus grands architectes, dont Le Corbusier. Mais il ne trouva jamais les fonds pour la construire. Cela resta une utopie, comme la paix qu'elle était censée servir ou incarner ?

    « La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre "... La bibliographie, ça sert d'abord à faire la paix ?

    Si je peux me permettre un conseil : quelle que soit la classification systématique utilisée, ne classez pas cet ouvrage en « histoire de la bibliographie mais plutôt avec ses inspirateurs, les Fourier, Proudhon, Saint-Simon, auxquels ces bibliographes se réfèrent souvent. N'est-ce pas le meilleur hommage à leur rendre ?