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La législation archivistique pour le développement du système national d'information

1996
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    Par Jean-François Girardot, Archives départementales de la Moselle
    Archives nationales de Tunisie

    La législation archivistique pour le développement du système national d'information

    Tunis, Hôtel Diplomat, 10-13 mai 1994; organisé en collab. avec ACCT-BIEF, UNESCO-PGI, AIAF. - [Ottawa] : Banque internationale d'information sur les pays francophones, 1996. - 2 vol. (197, 300 p.) ; 28 cm. ISBN 2-921420-31-7 (éd. complète).

    Organisé par les Archives nationales de Tunisie avec la Banque internationale sur les états francophones et l'Agence de coopération culturelle et technique, l'Association internationale des archives francophones, et la participation de l'UNESCO, ce colloque réunissait des responsables de services ou d'institutions nationales d'archives de 31 pays de langue française. À un moment où paraît le Rapport Braibant sur les Archives nationales, où le public français s'interroge sur la durée des délais de communication et le fonctionnement des établissements d'archives, le thème traité ne peut manquer d'allécher le lecteur, professionnel de l'information, chercheur ou citoyen averti ; il s'agissait en effet de faire le point sur l'état actuel de la législation archivistique dans les pays francophones, et de cerner le rôle de cette législation dans le développement d'une politique nationale de l'information et dans l'instauration d'un État de droit.

    La publication des actes du colloque risquait de perdre le lecteur dans un discours encyclopédique et dans le dédale de situations nationales très diverses : onze rapports nationaux analysent avec précision l'état de leur législation, et le second volume consacre entièrement ses 300 pages à un exposé détaillé des textes législatifs de 29 pays et provinces. Mais les organisateurs ont su éviter ce risque d'éparpillement, en recentrant constamment le propos sur une vision unitaire et globale des législations francophones. Ils ont été servis par des interventions remarquables, comme la conférence inaugurale du directeur des Archives du Sénégal, extrêmement documentée et synthétique sur l'évolution récente des législations, les conférences consacrées à des thèmes particuliers qui partagent également ce souci d'ouverture internationale, et l'intéressant rapport final de la présidente. Dans un manifeste désir d'efficacité, les actes se terminent par une brève liste de recommandations claires et précises faites par le Colloque aux décideurs des pays francophones.

    Les archives ont toujours eu pour rôle de réglementer les rapports entre l'individu et la collectivité ; le changement consiste en ce qu'elles apparaissent aujourd'hui de moins en moins comme un instrument entre les seules mains du pouvoir et de son administration, mais également comme un moyen de connaître l'histoire récente, d'évaluer le fonctionnement des institutions, voire de défendre son identité et sa vie privée ou de demander aux gouvernants des comptes sur leur gestion des institutions publiques. À ce titre, elles deviennent partie intégrante de la « chose publique » et du patrimoine documentaire national. Pour contribuer à une évolution démocratique de la société, il importe que les différents États élaborent une législation complète et applicable en matière d'archives, en bénéficiant des échanges internationaux et des expériences d'autres pays. Si les participants reconnaissent qu'aucune législation détaillée ne peut être transposée d'un État à un autre, les recommandations attirent l'attention des décideurs sur la nécessité de respecter certains principes fondamentaux, et d'instituer des définitions réglementaires claires en matière d'archives.

    Dans l'espace francophone, nous assistons actuellement à une floraison de textes réglementaires, qui remonte aux années 1960-1970 pour les pays développés ; mais pour les pays africains seulement au tournant des années 1970-1980, sous l'effet des actions menées par les organisations internationales compétentes. Encore beaucoup semblent être toujours prisonniers du « mimétisme constitutionnel à à l'égard de l'ancienne puissance coloniale. Les réglementations apparaissent dans des textes de nature diverse : arrêtés et ordonnances dans un petit nombre de pays, décrets pour plusieurs autres ; cependant la loi semble le type de texte le mieux adapté à une situation politique moderne, démocratique et stable ; elle constitue par ailleurs l'arsenal le plus complet et le plus facile à compléter, à développer et à interpréter par un matériel juridique complémentaire.

    Ces textes abordent les points suivants :

    1. Ils définissent tous les archives de façon large, évoquent la place des nouveaux supports et font entrer dans le fonds national à la fois les archives publiques et les archives privées. Les archives publiques, définies comme l'ensemble des documents produits et reçus par les organismes (publics ou privés) chargés de la gestion d'un service public, doivent être protégées au titre du patrimoine national. Les lois récentes s'intéressent également aux archives privées et prévoient des prérogatives de l'État pour leur contrôle et leur protection. Sous peine d'obsolescence rapide, les textes ont intérêt à ne pas limiter la définition des archives à un type de document ou de support, mais à les envisager de façon fonctionnelle et évolutive ; par contre, il importe de tracer une frontière claire entre archives publiques et privées.

    2. Partout, la direction chargée de la gestion des archives est un organe exclusif de l'État. Mais il existe des pays (comme la France), où certains ministères ne relèvent pas de la Direction nationale pour la gestion de leurs archives propres. Par ailleurs, le niveau du rattachement administratif de cette Direction varie considérablement d'un pays à l'autre ; or il est reconnu que le bénéfice d'une personnalité civile, d'une certaine autonomie financière, et un rattachement à un niveau hiérarchique élevé (présidence de la République, ministères importants, ...) constituent la garantie d'une efficacité accrue. Par ailleurs, la plupart des pays ont prévu un Conseil supérieur des archives à rôle consultatif.

    3. Tous les États définissent les responsabilités respectives de l'administration et des archives à l'égard des documents : la première se charge des documents des deux premiers « âges (archives courantes ou actives, et archives administratives ou semi-actives) ; pour les archives définitives, elles doivent impérativement être versées aux Archives nationales du pays. Il semble tout à fait important de prévoir dans les règlements le sort des documents d'archives, non pas de façon ponctuelle, mais d'un bout à l'autre de leur vie, en termes de « gestion des documents les archives nationales élaborant des programmes de gestion de documents et vérifiant leur réalisation sur le plan local. Mais il reste beaucoup à faire, notamment dans les pays africains, au niveau des applications réglementaires concrètes, et l'on attire l'attention des responsables sur la nécessité d'élaborer des normes et des nomenclatures nationales uniformes.

    4. Des délais de communication réglementent dans chaque pays l'accès au document d'archives en fonction de son âge et de sa nature. En effet, il convient de maintenir un équilibre entre deux tendances opposées : une volonté de secret de la part de l'État ou de l'administration, qui peut conditionner l'efficacité de leurs services, ou de l'individu qui veut protéger sa vie privée et ses libertés fondamentales ; et d'autre part une nécessité de publicité et de transparence, de plus en plus ouvertement réclamée dans les sociétés modernes, et conçue comme la condition d'un exercice réel de la démocratie. Par ailleurs, le respect des délais rassure souvent l'organisme versant et le conforte dans sa démarche de versement (pour les archives publiques) ou de dépôt (pour les archives privées).

    Rappelons que certaines archives sont immédiatement communicables, et que le délai habituel se situe de 25 à 50 ans selon les pays, le plus souvent autour de 30 ans comme en France ; ce délai peut faire l'objet de certains aménagements (délai mobile, dérogations). Pour les documents concernant la sécurité de l'État, ce délai est généralement plus long (40 à 150 ans, 60 ans en France), mais moins long toutefois que lorsqu'il s'agit de protection de la vie privée : jamais moins de 30 ans, souvent 50 à 100 ans, et jusqu'à 150 ans pour la France et Haïti. D'autre part, on protège généralement la communication des archives privées qui restent propriété d'un particulier par un contrat de dépôt répondant aux voeux du déposant.

    5. Les pays développés ont été amenés à élaborer des lois spécifiques dont le contenu intéresse aussi les archives : lois d'accès à l'information, comme en France ou au Canada, et lois sur les fichiers nominatifs. Le Canada semble le pays qui est allé le plus loin dans le domaine législatif, en donnant une valeur de preuve juridique au microfilm, et en codifiant de manière réglementaire extrêmement précise les procédures archivistiques prescrites au niveau national.

    Précisons encore que toutes ces législations envisagent des sanctions pénales à l'encontre de ceux qui détruisent, détériorent, falsifient les documents d'archives, et parfois contre ceux qui refusent de les communiquer. Mais, comme le rappellent opportunément les recommandations finales, ces textes restent peu de chose s'ils ne correspondent pas à une volonté réelle des gouvernements, qui doit se traduire par des dotations suffisantes pour les services en ressources humaines, financières et matérielles, notamment par la formation de personnels appropriés et l'affectation de bâtiments et d'équipements nécessaires ; ce qui, dans de nombreux pays, s'avère encore dramatiquement insuffisant.