Index des revues

  • Index des revues

La Littérature de jeunesse dans tous ses écrits

1999
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓
    Par C. Rives
    Jean-Paul Gourévitch
    Centre de recherches et d'information sur la littérature de jeunesse., collab

    La Littérature de jeunesse dans tous ses écrits

    Anthologie de textes de référence (1529-1970)

    Créteil, CRDP de l'Académie de Créteil, 1998. - (Argos références).

    Raoul Dubois, dans sa préface, retrace la genèse du projet qu'ont mené ensemble Jean-Paul Gourévitch et les membres du Centre de recherches et d'information sur la littérature de jeunesse : élaborer un corpus de sources permettant d'apprécier les évolutions des discours sur ce qu'on appelle aujourd'hui la littérature de jeunesse. L'approche est délibérément historique. Les collecteurs s'arrêtent en 1970, au moment où la légitimation du genre est acquise, et où on voit fleurir sur le sujet des écrits en abondance.

    La démarche est chronologique : onze chapitres nous mènent de 1529, date de la publication de la Declamatio de pueris statim ac liberaliter instituendis d'Érasme, à la profession de foi de François Ruy-Vidal publiée en 1970 dans le Bulletin d'analyses du livre pour enfants (qui deviendra plus tard la Revue des livres pour enfants). Chaque période est annoncée par un chapitre de synthèse rédigé par Jean-Paul Gourévitch, suivi d'une anthologie de textes de l'époque, en général brefs. Ceux-ci ne sont qu'exceptionnellement tirés de livres pour enfants ; ils émanent dans leur grande majorité de pédagogues, d'écrivains, d'éditeurs, de critiques. Ils sont souvent savants et prescriptifs, mais on y trouve aussi, et ce n'est pas le moindre charme de l'ouvrage, beaucoup de textes à caractère publicitaire et de prières d'insérer. Chaque chapitre se termine par quelques pages de reproductions d'illustrations, tant il est vrai que, depuis l'Orbis pictus de Comenius, l'image est un élément fondamental du livre pour enfants. On peut seulement regretter que l'éditeur n'ait pas eu les moyens de les présenter autrement qu'en noir et blanc et sous forme de petites vignettes.

    À l'évidence, le projet est extrêmement intéressant. Les travaux historiques sur la littérature de jeunesse ont été inaugurés dès 1924 par l'oeuvre pionnière de Marie-Thérèse Latzarus La Littérature enfantine en France dans la seconde moitié du XIXe siècle, mais ils ont été rares jusqu'à notre époque : Paul Hazard publie Les Livres, les Enfants et les Hommesen 1949, Jean de Trigon son Histoire de la littérature enfantine de Ma mère /'Oye au Roi Babaren 1950, Isabelle Jan l' Essai sur la littérature enfantine en 1969, Marc Soriano le Guide de littérature pour la jeunesse en 1975, François Caradec son Histoire de la littérature enfantine en France en 1977. On arrive alors dans la période où la littérature de jeunesse devient pleinement légitimée et où se multiplient les travaux des chercheurs français ou francophones : Isabelle Nières, Denise Escarpit, Jean Perrot, Francis Marcoin, Ganna Ottevaere-Van Praag, Ségolène Le Men, Claude-Anne Parmegiani, et bien d'autres aujourd'hui....

    Pourtant, l'histoire de la littérature enfantine a été trop longtemps distillée à des bibliothécaires ou à des enseignants en formation par d'autres professionnels qui vulgarisaient les quelques ouvrages existants et accessibles sans grands moyens de vérifier leurs sources : manque de temps, manque de formation académique. D'où l'intérêt majeur de cette entreprise qui permet de remonter aux textes qui ont alimenté les ouvrages en question.

    Avant le XIXe siècle, personne ne parle de littérature enfantine. Jean-Paul Gourévitch tentera donc de mener en parallèle une histoire du livre, une histoire de l'image, une histoire de l'édition, une histoire de la pédagogie, et surtout une histoire de l'enfance en suivant résolument la ligne des idées développées par Philippe Ariès dans L'Enfantetla vie familiale sous I Ancien Régime. On peut s'étonner de ce qu'il n'évoque pas les nuances apportées aujourd'hui aux thèses d'Ariès, par exemple dans le livre de Pierre Riché et Danièle Alexandre-Bidon L'Enfance au Moyen Âge, qui accompagnait l'exposition qu'avait organisée la Bibliothèque nationale de France en 1994. Les ignore-t-il ?

    Dès l'apparition de textes explicitement adressés aux enfants, on distingue d'emblée une contradiction qui aura la vie dure entre apprentissage et plaisir : aux livres de civilités et aux manuels de lecture des origines répondent déjà le Rôti cochon ou le Voyage dans l'île des plaisirs, où Fénelon célèbre les délices de la gourmandise. Les éducateurs du XVIIIesiècle condamnent la lecture et l'écoute des contes. L'épanouissement de l'édition pour la jeunesse au XIXesiècle permet de susciter une véritable écriture littéraire et de tenter une réconciliation entre éducation et divertissement : L'Histoire d'une bouchée de pain de Jean Macé ou les romans de Jules Verne sont en cela exemplaires.

    La littérature de distraction pure se développe alors, profitant du développement d'une presse populaire qui ne se soucie plus de pédagogie que pour garder les apparences. Les deux grandes guerres du XXesiècle suscitent un effort de propagande en direction des enfants, militariste et anti-allemande pendant la Première Guerre mondiale, maréchaliste, voire antisémite, pendant l'Occupation. L'entre-deux-guerres est une période de modernisation : naissance des bibliothèques pour enfants, recherches esthétiques et psychopédagogiques. L'éternel débat entre pédagogie et plaisir, tartine et confiture resurgit après la Libération, quand les mouvements catholiques et communistes de la fin des années 1940 entrent en lutte contre les lectures faciles (et américaines) pervertissant la jeunesse, avec une virulence qui, si elle peut faire sourire, recouvre des positions toujours d'actualité.

    Parcourir l'ensemble de ces textes, parfois bien connus et parfois surprenants, émanant d'une multiplicité de points de vue, constitue une promenade extrêmement plaisante, même si le parti pris de brièveté des citations laisse parfois le lecteur sur sa faim. On s'amusera de constater que Louis Pergaud parlait déjà de « sauvageons » en évoquant (avec plus d'indulgence que notre actuel ministre de l'Intérieur) les héros impertinents de La Guerre des boutons. Dans un contexte où la polémique sur le droit de prêt se radicalise, on relèvera avec intérêt que Louis Hachette dénonçait déjà en 1862 les dangers des bibliothèques scolaires. Malheureusement, les chapitres introductifs de Jean-Paul Gourévitch sont décevants. Retravailler les sources aurait dû être l'occasion de réévaluer les hypothèses avancées par les différents auteurs qui les ont déjà exploitées. On est surpris de constater que Jean-Paul Gourévitch ne s'éloigne jamais de la vulgate officielle. Il reprend à son compte les analyses des auteurs cités dans sa bibliographie, sans d'ailleurs y renvoyer toujours explicitement dans le corps du chapitre : ainsi des travaux de Stéphane Audouin-Rouzeau sur la Première Guerre mondiale. On peut d'ailleurs s'étonner qu'il passe sous silence ceux de Gilles Ragache sur la littérature de jeunesse pendant l'Occupation. Encore une fois, les ignore-t-il ?

    De façon générale, on aurait aimé plus de rigueur : on s'étonne de voir qualifier Selma Lagerlôf, première femme prix Nobel de littérature, d'« institutrice suédoise » ! On retrouve les mêmes approximations dans la bibliographie : les articles de Jean-Claude Chamboredon et de Jean-Louis Fabiani n'ont rien à voir avec les années 1980, puisqu'ils ont été publiés en 1977. Ces imperfections cependant ne retirent pas à l'ouvrage son intérêt fondamental. C'est un outil indispensable pour tous ceux qui veulent aller plus loin.