Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Carrefour II. Les jeunes éditeurs

    Par Germaine Frigot

    Un mot sur le terme ambigu de "Jeunes éditeurs". Cette appellation devait-elle s'appliquer à des maisons d'éditions dirigées par des personnes jeunes ?, à des entreprises récemment fondées? Pas particulièrement.

    L'intérêt de ce colloque résidait surtout dans l'opportunité d'un dialogue avec de petits éditeurs, travaillant d'une manière artisanale et, par conséquent, produisant peu de titres, à tirages assez restreints. Bref, la rencontre avec un type d'éditeur dont on dit qu'il est encore très répandu en France, capable de présenter un autre aspect du métier pratiqué sur une échelle bien différente par MM. Gründ, Bourgois, de Bartillat et Wahl.

    En fait, il semblerait que la situation soit assez complexe puisque, parmi les "Jeunes éditeurs", ils s'en trouvent de parfaitement indépendant alors que d'autres sont des émanations de groupes importants. C'est le cas, par exemple, des Editions Mazarine et d'Olivier d'Orban. Leurs champs d'action se révèlent aussi assez variés. Si, pour des raisons que chacun comprendra aisément, les petites maisons d'édition sont généralement spécialisées, ces spécialisations se trouvent fort diversifiées : politique, bandes dessinées, livres pour la jeunesse et, très souvent (tel était le cas des éditeurs participant au carrefour), régionalisme.

    "Idées-Guide Alsace" était représenté par madame Reinhart; "Edira", également implanté sur le territoire alsacien, par Monsieur Ansel ; quant à M. Huguet, il parlait au nom des Editions du Cercle d'or, maison qu'il a fondé en 1971. Les éditeurs importants, même s'ils consentent (qu'ils en soient remerciés) au dialogue avec les bibliothécaires n'entretiennent guère avec eux des relations permanentes. En revanche, il est réconfortant de constater que deux des éditeurs sur les trois participants de ce carrefour avaient eu des liens particuliers et privilégiés avec les bibliothèques.

    Monsieur Ansel avoue volontiers une dette de reconnaissance envers le Conservateur de Colmar, Francis Gueth, qui l'a soutenu lors de ses premiers projets ; de son côté, Monsieur Huguet a révélé que "Le Cercle d'or" avait vu le jour sous l'égide de la Société des Amis de la Bibliothèque de La Roche-sur-Yon.

    Ces éditeurs ont donc pour point commun une vocation régionale et -accessoirement - un rapport étroit avec des bibliothèques. Ils n'en présentent pas moins des différences notables :

    • - L'un (Idées-Guide Alsace) se veut uniquement éditeur de presse. L'entreprise existe depuis 1979 et a été fondée par trois personnes ayant déjà d'autres occupations professionnelles et un certain capital qu'elles ont investi dans l'affaire. Des recettes provenant de la publicité sont venues s'ajouter à l'apport initial. Pour les articles, les responsables "d'Idées-Guide Alsace" utilisent la collaboration occasionnelle de journalistes rétribués au tarif syndical. Le premier numéro de la revue, consacré au ski dans les Vosges, s'est très bien vendu, les numéros suivants bénéficient de la diffusion de l'agence locale des NMPP.
    • - Le deuxième, Edira, semble encore chercher sa voie et se caractérise par une utilisation assez systématique de créneaux dont l'exploitation se révèle opportune. Donner de la firme une image homogène ne paraît pas entrer dans le cadre de leurs préoccupations. Il y a deux ans, Edira a lancé la revue "Photowork" parce que, face à la grande masse des magazines de photos, il en manquait un qui qui donnât des conseils techniques aux débutants ; ce périodique est maintenant diffusé par le réseau national des NMPP. Sensible à la vogue de la cartophilie, les éditeurs se sont intéressés aux cartes postales avec l'intention d'en tirer un livre; ils ont aussi remarqué qu'un public assez large se passionnait pour la généalogie et ont publié "Le Carnet des ancêtres" (diffusé chez les librairies) en attendant l'édition d'un "Livre d'or de la famille". Autre champ d'activité: un livre en langue allemande sur le Musée de Colmar, vendu sur place (le choix de la langue a été déterminée par la nationalité des visiteurs qui fréquentent massivement le lieu) et, enfin, en vente par correspondance, un ouvrage technique sur le commerce du textile, très important dans la région.
    • - Le dernier, les Editions du Cercle d'or, est devenu une SARL au capital de 125.000 F. La forte personnalité et le passé (carrière de libraire parisien et "militant" depuis 1949) de M. Huguet lui donnent une envergure certaine. Maintenant établi aux Sables-d'Olonnes, ce dynamique éditeur a fondé son entreprise en 1971. Il ne l'a pas fait sans avoir mûrement réfléchi, il a même procédé à une enquête par l'intermédiaire du Bulletin du Livre. Les conclusions que M. Huguet en a tiré sont les suivantes : s'il est exact qu'un vendéen sur deux peut mourir sans avoir lu un livre, cette absence d'intérêt pour la lecture ne doit pas être interprétée comme une fatalité. Jusqu'en 1918, le prévôt (sans jeu de mot) du monde des livres (toujours sans jeu de mot) était l'auteur. Après la Première Guerre Mondiale, vient le règne de l'éditeur, mais celui-ci, à son tour, est supplanté par une nouvelle et très importante puissance économique : le distributeur. Le drame de la non-lecture s'inscrit donc dans l'économie du livre. A partir de Paris, un même ouvrage est imposé à un public très diversifié sans que cette diversification soit le moins du monde prise en considération. Il est donc normal qu'un produit standard soit boudé par un grand nombre de personnes. Pour sa part, M. Huguet préfère "éditer à hauteur d'homme". Pour y parvenir (tout en refusant de se laisser enfermer dans un régionalisme étroit), il s'est mis à la recherche de talents locaux dans les domaines tels que : romans, récits, témoignages, sciences humaines, aménagement du territoire de l'Ouest, le rayon d'action du "Cercle d'Or" s'étend de la Seine à la Gironde.

    La maison reçoit un ou deux manuscrits par jour. Elle a donc été obligée de recourir à un comité de lecture qui comprend des journalistes, des personnalités de la région Ouest, mais aussi des femmes sans profession (représentatives d'un public qui "lit"). Monsieur Huguet, par opposition à l'expression "relations publiques" se veut un éditeur de "relations humaines", un artisan qui ne dispose que de structures légères et publie entre quinze et vingt-quatre titres par an. Son ambition est de transformer le lecteur à travers l'acte de lecture et d'éviter d'en faire un consommateur passif. Attachées aux rapports avec les bibliothèques, les Editions du Cercle d'Or répondent à toutes les invitations des bibliothécaires, possèdent un matériel d'exposition et participent à des animations.

    Editeur apparemment heureux, M. Huguet rencontre toutefois certaines difficultés. Au plan du budget publicitaire, ce qui fait encore de lui "un clandestin" et au plan de la diffusion, ce qui l'a conduit à créer une société de diffusion, la SODIREL dont le siège est à Rennes. Bien que ses goûts et ses options n'aient pas varié, l'éditeur reconnaît qu'il prend aujourd'hui moins de risques qu'à ses débuts. Il se fie surtout à l'auteur et au sujet.

    Le directeur du "Cercle d'Or" ne compte pas beaucoup sur l'appui des libraires qu'il ne connaît que trop bien, puisqu'il a été des leurs. Depuis que la diffusion est concentrée en quelques mains, les libraires régionaux, d'ailleurs peu nombreux, sont devenus comparables à des pompistes! Ils n'ont plus aucune imagination. Les relations avec les autres éditeurs régionaux ne sont guère brillants non plus. Toutefois certains ont pris conscience de l'intérêt d'un regroupement qui leur permettrait de mieux se faire connaître. Ceux-ci envisagent de se doter d'une structure d'information. Un point de départ existe déjà: la formation avec les Editions Privat en 1979, d'un groupe d'éditeurs régionaux au sein du Cercle de la Librairie. Une autre étape est maintenant envisagée : une délégation d'attachés de presse à Paris.

    Car les rapports avec la presse régionale demeurent courtois mais relatifs. Il est vrai que la Vendée dispose d'un quotidien important "Ouest-France"; mais est-il propre à assurer la vente d'un livre ? Ce n'est pas dans l'Ouest mais à Paris qu'un chroniqueur de la renommée de Charles Le Quintrec a fait carrière. Monsieur Huguet qui le connaît parvient à lui faire écrire deux ou trois articles par an.

    C'est pourtant un quotidien de province, "L'Est républicain" de Metz qui permet à une petite entreprise d'édition de livres pour des enfants de vivre. Mais le cas est si rare que, généralement le livre d'enfants est un domaine que les petits éditeurs n'osent aborder; le coût de fabrication est trop élevé. Pour une autre raison, ils ne publient guère non plus de poésie: cela se vend trop mal.

    Ces restrictions ont leur contre-partie; le petit éditeur ne "pilonne" pas systématiquement les ouvrages qui n'ont pas trouvé une audience immédiate. Habitués à subsister, en quelque sorte au jour le jour, ces maisons craignent en fait le gros succès qui se révèlerait inadapté à leurs structures, malgré leurs problèmes les éditeurs présents au carrefour restent optimistes; ils sont totalement convaincus que l'édition de region est devenue un phénomène irréversible.

    Et les bibliothécaires? Ils sentent bien qu'ils pourraient jouer un rôle dans la promotion des jeunes maisons d'éditions mais lorsque celles-ci ont surtout une vocation régionale, il leur est difficile de tout acquérir. C'est pourquoi, ils regrettent sans doute un peu de ne pas avoir rencontré d'éditeurs qui, tout en fonctionnant à peu près de la même manière et en conservant leur indépendance, publient des ouvrages d'un intérêt plus général. Cependant même dans ce cas, ils savent qu'ils se heurteront à un autre obstacle: les petits éditeurs ont besoin de leur argent rapidement pour faire face à leurs échéances et les bibliothèques ne payent que tardivement (45 jours minimum).

    Il n'empêche qu'il existe bien des points communs entre les bibliothécaires et ces artisans qui, comme eux, connaissent leurs lecteurs, se préoccupent de leurs goûts et de leurs besoins sans tomber pour autant dans la facilité et la vulgarité. En outre, ce carrefour a permis aux biblothécaires de mieux mesurer l'importance du diffuseur, ce personnage sur lequel l'accent a été mis à plusieurs reprises et avec insistance. Ils souhaitent maintenant qu'une journée d'étude de l'ABF soit consacrée au problème crucial de la diffusion.