Index des revues

  • Index des revues
    ⇓  Autres articles dans la même rubrique  ⇓

    Archéologie d'une informatisation

    La bibliothèque municipale de Bagneux en 1989-1990

    Par Huguette Rigot , Bibliothèque nationale de France

    Soyons rigoureux : pour informati- ser une bibliothèque au pire mo- ment - d'après le constat du di- recteur du Livre et de la Lecture de l'époque - il faut être capable de pré- senter des objectifs, d'abord à soi- même, à des élus et à du personnel. Donc, définition d'objectif pour l'infor- matisation d'une bibliothèque munici- pale en 1989 : accroître la fréquentation de l'établissement en développant une politique d'acquisition dynamique et diversifiée. Le dynamisme et la diversi- fication dont il est question ici peuvent se résumer par :

    • la mise en place d'un plan de recons- titution des collections, proposant le triplement du budget d'acquisition pen- dant trois ans pour rattraper le retard, pour aborder en régime de croisière un budget de 10 millions de francs. De fait, le budget s'est tout de suite stabilisé au- tour du volume de croisière, tout en posant un problème d'organisation du travail comme de ressources humaines. Comment passer brutalement de 400 000 F à un million de francs ? C'est ça le dynamisme !
    • la conception d'un plan d'acquisitions sectorielles visant par grands ensembles documentaires à répondre aux de- mandes des publics fréquentant ou ne fréquentant pas la bibliothèque, en di- versifiant les acquisitions en matière de titres couvrant à la fois la production éditoriale de masse (le para-, l'infra-, celles des hypermarchés, etc.), mais aussi de la production éditoriale la plus légitimée (l'illisible, l'intello, celle des bibliothèques universitaires et d'études, etc.), mais aussi en termes d'exem- plaires pour la production éditoriale correspondant aux meilleures ventes (c'est ça la diversification !).

    Comment mettre en place cette nou- velle politique d'acquisition ? En multi- pliant par deux le personnel ? Non, en informatisant ! En fait, en transformant radicalement le circuit initial du docu- ment dans la bibliothèque !

    Nécessité de reformuler l'objectif ini- tial : informatiser la bibliothèque, donc revoir l'organisation de la bibliothèque pour gérer l'augmentation et la fréquen- tation des usagers, due à l'accroisse- ment des acquisitions, dans le cadre d'une contrainte budgétaire : ne pas toucher au volume global du personnel.

    Comment informatiser un fonds de 50 000 titres, avec une progression de 8 000 titres par an, sans embauche sup- plémentaire ni vacation ? En fermant, dit-on généralement ! Mais une ferme- ture n'est-elle pas le meilleur moyen pour faire baisser la fréquentation de la bibliothèque ?

    La solution a été de proposer un double choix :

    • un logiciel utilisant un format norma- lisé de catalogage, l'UNIMARC (format d'échange et interne) ;
    • une rétroconversion du catalogue par une récupération systématique d'infor- mation bibliographique dans les diffé- rents réservoirs possibles, de façon à ré- duire le catalogage sur site au mini- mum, et n'avoir qu'à localiser les notices bibliographiques.

    Les réservoirs sollicités ont été au nom- bre de trois : BN-OPALE, la base LIBRA et ELECTRE.

    Les difficultés et les désillusions ren- contrées ont été bien nombreuses... Comment faire admettre au chef de pro- jet GEAC - le logiciel choisi étant AD- VANCE dont la commercialisation en France commençait à peine - notre vo- lonté, exprimée pourtant dans le cahier des charges, de récupérer le plus sys- tématiquement possible l'information bibliographique dans les réservoirs dis- ponibles et notamment dans la base LI- BRA, alors que la bibliothèque n'était pas un ancien site LIBRA ? Comment « mouliner les notices LIBRA à niveaux alors que BN-OPALE et GEAC-ADVANCE ne traitaient pas l'information biblio- graphique à niveaux ? Comment hiérar- chiser les accès aux différents réservoirs à la fois pour éviter les doublons, mais surtout pour tirer le meilleur parti de chacun d'entre eux ?

    BN-OPALE : des notices complètes avec des accès soumis à des contrôles (on commençait juste à parler d'autorités !), avec des accès matière pour les ou- vrages catalogués à partir de 1986 (oh ! la découverte de RAMEAU, de son vo- cabulaire et de sa syntaxe !), le catalo- gue des entrées françaises de la BN, quoi ! avec la lenteur des entrées et du traitement du dépôt légal (à l'échelle des entrées d'une bibliothèque publi- que), avec sa non-exhaustivité, avec son incomplétude naturelle (hors-jeu des éditeurs étrangers de langue fran- çaise), avec ses effets rétrospectifs limi- tés à 1975, puis 1970.

    La base LIBRA : reflet fidèle des fonds des bibliothèques de lecture publique (la richesse pour les fonds jeunesse grâce au travail de la Joie par les li- vres !), mais la prolifération de formes auteurs, éditeurs, la relative absence de contrôle bibliographique, l'imagination débridée de l'indexation matière.

    ELECTRE avec son absence, puis sa non- stabilisation du format UNIMARC, son ignorance des contrôles d'autorité, mais avec sa livraison régulière et relative- ment exhaustive d'informations sur la production courante, des notices biblio- graphiques avant les livres... le paradis bibliothéconomique !

    Le parti pris assez rapidement a été de solliciter d'abord BN-OPALE, en travail- lant par requêtes sur CD-ROM, puis en cas d'absence de notices de faire des requêtes par lots sur les bases LIBRA et ELECTRE sur le serveur de l'AC2L qui avait pour objectif de permettre l'accès de manière transparente aux deux bases bibliographiques et même aux trois bases, puisqu'il était question de permettre aux professionnels d'accéder à la base BN-OPALINE pour récupérer l'information bibliographique sur les documents sonores et audiovisuels.

    Les résultats de ces expérimentations sont simples à décrire :

    • le fonds de la bibliothèque saisi en un an, ouverture des prêts informatisés au public un an après être sortis de la base test de catalogage, tenue des ob- jectifs en matière d'acquisition et de fré- quentation de la bibliothèque ;
    • le fonds des documents sonores saisi au plus vite, avec une information bibliographique «light»... Il a fallu at- tendre quatre ans de négociations avec la BN et surtout une démonstration du serveur bibliographique national qui n'a pu être faite au Salon du livre de 1992 pour qu'il devienne évident que la base BN-OPALINE avait une architec- ture très différente de celle de BN- OPALE grâce à une autre « interprétation d'UNIMARC et de la norme ISO 2709 » rendant impossible, pardon ! différant pour quelques années encore la récu- pération d'information bibliographique sur les documents sonores ;
    • des index auteurs, matières assez bi- garrés, rendant immédiatement néces- saire la gestion des autorités, mais par quel moyen ? Par un catalogage autori- tés sur le site, mais à partir de quelle norme UNIMARC ? Par une récupération de notices d'autorité de la Bibliothèque nationale, mais comment ? Pas de CD- ROM autorités, malgré son annonce faite depuis 1990 ou 1991 (la datation pose toujours des problèmes en Préhis- toire). Pas de déchargement à partir du SBN;
    • une organisation fragile, précaire de la bibliothèque liée à la fin de l'autarcie bibliothéconomique : la part laissée au catalogage sur site étant forcément la plus réduite possible, pour faire face au volume de travail nécessaire aux acqui- sitions et au service public. Mais chacun sait que toute structure liant son exis- tence au libre-échange, à une économie de marché devient dépendante de la qualité de ses échanges avec l'extérieur.

    Ces choix d'informatisation, mais aussi ces paris stupides, réussis cependant pour un temps (pourquoi donc vouloir avoir plus de lecteurs ? Pourquoi préten- dre satisfaire la demande des publics par une « politique documentaire dynamique et diversifiée » ? Quel argumentaire et quels objectifs pouvant être entendus par les « politiques », mais quelle prétention bibliothéconomique et surtout quel casse-tête organisationnel) ont lié l'orga- nisation interne de la bibliothèque aux évolutions et aux fluctuations des réser- voirs d'information bibliographique na- tionaux et ainsi l'ont fragilisée principa- lement de deux façons :

    • l'une interne, condamnant la biblio- thèque à une double organisation, celle du circuit du document et celle du cir- cuit de l'information bibliographique, les dissociant dans le temps, mais aussi l'obligeant à son maintien, sous peine de rompre l'équilibre ainsi créé... sous peine de réduire le volume des acqui- sitions... donc de porter atteinte au vo- lume de la fréquentation (mais les effets sont-ils si mécaniques ?) ;
    • l'autre externe, condamnant la biblio- thèque à réagir aux politiques nationales se rapportant à l'information biblio- graphique, donc la positionnant dans un nouveau statut, celui d'usager des réser- voirs bibliographiques..., de consomma- teur ayant à la fois des droits et des de- voirs envers les producteurs qui, pour le moment, semblent toujours fonctionner et s'organiser sans avoir réellement d'obli- gation envers leurs publics.