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    Par Hugues Van Bésien
    Olivier Bessard-Banquy

    La révolution du poche

    Faute de pouvoir définir le livre de poche sans équivoque, il est impossible de dater précisément son apparition : aussi l'auteur, après avoir brièvement évoqué certains parallèles avec des formules éditoriales plus anciennes, aborde surtout le poche dans son acception actuelle, celle de l'après-guerre, depuis l'apparition de la collection éponyme en 1953, quand Henri Filipacchi met au point un livre matériellement « dégradé » (papier pas cher, brochage - la reliure est encore la règle), prix de vente au public bas (les premiers poches coûtent 150 francs quand les éditions courantes se vendent entre 600 et 700 francs), appelé à une diffusion large dans les 25 000 points de vente des Messageries Hachette. Le fonds est emprunté aux éditeurs diffusés par Hachette, l'apport de Gallimard constituant jusqu'à un tiers du total et permettant de couvrir la littérature dite classique autant que celle dite populaire. L'entreprise, du reste, est favorisée par le basculement dans le domaine public, au cours des années cinquante, de la plupart des grands romanciers du XIXe siècle. Le succès est phénoménal. Il met à rude épreuve le système de production de l'après-guerre, peu familiarisé avec des tirages à 200 000 exemplaires, et pousse les imprimeurs à se moderniser...

    Il suscite naturellement l'apparition de deux concurrents s'inspirant de la même formule du collectif d'éditeurs et de la collection généraliste : J'ai Lu (1958, distribution Flammarion, d'abord dans les Prisunic et Monoprix) et Presses Pocket (1962, Presses de La Cité) ; puis et d'un troisième plus modeste et plus spécialisé : 10/18 (1962, UGE) qui initie la phase suivante de l'histoire du poche. Une infinie différenciation aboutit à la conquête de tous les genres et à l'ouverture de nouvelles « niches La caractéristique de l'édition de poche est en effet d'avoir ultérieurement investi tous les domaines possibles. Associé à l'origine à la littérature populaire et aux classiques, à la grande diffusion, le poche, tout en restant le vecteur privilégié de celle-ci, en particulier de la science-fiction et du roman policier, qui font tous les deux l'objet d'un historique, ou du roman sentimental (Harlequin), va s'avérer aussi un puissant outil de diffusion de la pensée : les 60 000 exemplaires des Trois essais sur la sexualité de Freud sont épuisés en un an, et c'est un livre de poche, Nouvelle Critique ou nouvelle imposture, de Raymond Picard (1965), qui déclenche la querelle de la nouvelle critique.

    C'est encore le poche, en tirage restreint cette fois, qui permettra à des titres dont les perspectives de vente à court terme sont restreintes ou déclinantes de rester disponibles, par exemple dans des collections comme Biblio (Le Livre de poche, 1982) ou Les Cahiers Rouges (Grasset, 1983). À partir du divorce entre Gallimard et Le Livre de poche en 1971, la multiplication des formules et des collections s'accélère : collections plus ou moins spécialisées, semi-poche, formules illustrées, etc.

    Le livre de poche est devenu un secteur éditorial majeur (9 307 titres publiés en 1993, 96 millions d'exemplaires vendus, 11 °/o des ventes, un chiffre d'affaires d'1,5 milliard de francs) dont la bonne santé ne se dément pas dans la durée. Au cours de cette édifiante histoire, on assiste cependant au brouillage des différences entre l'édition de poche et l'édition courante, de sorte que, mutatis mutandis, le poche est rattrapé par un petit nouveau qui suscite la même horreur chez certains : le livre à 10 francs (1993).

    L'histoire du livre de poche contemporain que propose Olivier Bessard-Banquy est très détaillée et fournit des éléments pour la plupart des éditeurs et des collections. Elle contient par ailleurs des développements sur l'évolution de l'objet livre, en particulier sur l'iconographie des couvertures. Elle incite à se demander si le livre de poche n'a pas entraîné le livre français en général dans une modernisation d'envergure, à la fois intellectuelle, technique et commerciale, celle de la diffusion de masse, en bousculant les acteurs traditionnels du secteur. Et si les éditeurs ont suivi le mouvement lancé par un « commercial », il est à noter que le livre de poche a parmi ses caractéristiques le fait d'avoir emprunté des voies de distribution autres que la librairie...