Anthony Grafton, qui enseigne l'histoire européenne à l'université de Princeton et qui est un spécialiste de cette discipline appelée par les anglo-saxons « scholarship», s'est certainement beaucoup amusé en écrivant l'histoire de la note en bas de page. Il traite son sujet avec humour dès les premières lignes. Qu'on en juge : « Elle (la note en bas de page) fait enfin et surtout du travail de l'historien l'oeuvre d'un professionnel. Comme le crissement de la fraise du dentiste, le sourd murmure de la note en bas de page de l'historien rassure ; l'ennui qu'elle distille, comme la douleur infligée par la fraise, n'est nullement vain : c'est une partie du prix qu'il faut payer pour toucher les dividendes de la science et de la technologies modernes.
Il explore la pratique de la note en bas de page chez les historiens allemands, anglais, français des XVIIeet XVIIIesiècles ; il relève les compliments que Hume adressa à Gibbon pour Le Déclin et la chute de l'Empire romain, ainsi que ses réserves pour la présentation des notes en fin de volume. Ce goût pour la note en bas de page rencontra au XVIIIe siècle « une popularité inattendue comme tour littéraire au point que Pope l'« utilise, non pas pour imiter ses adversaires, mais pour les détruire ». Mais c'est Bayle qui est le champion incontesté de la note en bas de page : « Les vastes pages de l'incomparable best-seller que fut le Dictionnaire historique et critique de Bayle proposaient au lecteur une très mince et fragile croûte de texte pour traverser le marais obscur et profond du commentaire ». Dans cet amas de notes, les enseignements semblent contradictoires entre eux, la futilité se mêle à la pornographie, la note devient une arme subversive et sape toute certitude.
Anthony Grafton, qui jalonne d'anecdotes et d'historiettes cocasses sa quête de l'origine de la note en bas de page, montre, en fait, l'historien dans son travail face à ses sources et aux archives. Pour nous bibliothécaires qui, souvent, «pestons» devant la mention des notes bibliogr. dans la notice d'un ouvrage, la lecture de ce petit livre érudit et savoureux sera notre revanche.