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Le Patrimoine. Histoire, pratiques et perspectives

1998
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    Par Jean-Claude Garreta
    Jean-Paul Oddos., dir. de

    Le Patrimoine. Histoire, pratiques et perspectives

    Paris : Éditions du Cercle de la librairie, 1997 442 p. (collection Bibliothèques)

    C'est à une troupe nombreuse, variée mais disciplinée que J.-P. Oddos a fait appel pour composer cet imposant volume dont la pertinence, l'intérêt et l'utilité se développent au fil de 18 chapitres, ordonnés en quatre parties. Tentative prématurée, se demande-t-il en introduction ? Certes non, et bien mieux qu'un tableau de la situation au bout de quinze ans de reconnaissance définitive d'un patrimoine écrit, c'est en fin de compte un traité du patrimoine qui nous est livré, mêlant vues générales et rappels historiques à des présentations précises de structures, de réalisations et de projets.

    Certaines affirmations avancées pourraient sans doute être contestées, mais nous nous contenterons ici de relever les traits qui ont retenu notre attention, pour inciter à la lecture de ce savant ouvrage.

    Le lecteur ne doit pas être décontenancé par une première partie vouée à la « Réception du patrimoine écrit» où les idées générales voisinent avec des vues originales ; on y retiendra une « Histoire des destructions et de l'oubli retracée sans complaisance par Dominique Varry. Notre époque est destructrice, le plus souvent en toute candeur, observe-t-il, et il faut se résoudre à choisir de sauvegarder seulement une partie de l'héritage écrit : le patrimoine est une notion évolutive. Bernard Huchet enchaîne avec l'histoire des vingt dernières années, sous le titre alternatif innocemment ironique de « la politique et le patrimoine, ou les discours du patrimoine «La brillante et peu raisonnée action des FRAB, écrit-il, était-elle préférable à une sérieuse mise en oeuvre réelle du Catalogue Collectif National, annoncé depuis 1990 ? »

    La deuxième partie « Constitution du patrimoine des bibliothèques donne à J.-P. Oddos l'occasion dans « Histoire des collections, collections historiques d'approcher cette notion de « collection » qui a véritablement créé le patrimoine des bibliothèques. Il s'agit bien en effet, non pas d'amasser indistinctement, mais de constituer et de compléter sans relâche des ensembles signifiants, quelle que soit l'aire couverte, et le lien guidant la formation de ces rassemblements trouve un regain d'importance dans la personnalité du collectionneur (pas nécessairement «bibliophile») qui en est à l'origine. Comme le proclame l'auteur, la conscience d'être un héritier est indispensable à la maîtrise de l'entité « bibliothèque » afin de retrouver au-delà de leur étendue, leur véritable «profondeur».

    En contrepartie, Pierre Aquilon, examinant les BM de Loches et d'Orléans, décrit l'éclatement de la bibliothèque des Chartreux du Liget. Malgré cette vocation intrinsèque de circuler (comme s'intitulent peut-être encore des bibliothèques de cercles privés), d'importants noyaux sont bien repérables aujourd'hui à proximité des corporations religieuses qui les abritaient avant la Révolution ; il yainsi une «géographie du patrimoine Avec le chapitre sur «les bibliothèques et leur patrimoine et les deux dernières parties « Pratique » et « Diversité du patrimoine on entre dans un domaine concret, avec de solides synthèses, épaulées par des références bibliographiques et décrivant la situation des bibliothèques françaises et le vaste éventail de l'activité des bibliothécaires sur le terrain.

    Le patrimoine a pu être en blocage dans le développement des bibliothèques, rappelle Jean-François Foucaud en résumant leur histoire, avec le tardif essor de la lecture publique. Il dresse aussi le tableau des formations professionnelles en service et déplore à juste titre la disparition du CAFB, mais estime que « la refonte profonde de la conception même des bibliothèques» n'est pas achevée.

    Agnès Marcetteau revient sur les fonds anciens, en même temps poids et prestige des BM ; il faut s'attacher à découvrir la constitution d'une collection, en retrouver le contexte, les conditions de sa formation et toujours mieux la connaître pour mieux savoir l'enrichir ; c'est à partir de là que peut s'élaborer un projet patrimonial solide, mais il convient parallèlement, selon les préceptes d'Eugène Morel, d'ouvrir les collections patrimoniales pour inscrire les bibliothèques dans la communauté intellectuelle.

    Les étapes de la conception d'une politique de conservation sont analysées par J.-P. Oddos sous un angle pratique et ses recommandations sont frappées au coin du bon sens. Les traitements individuels demandent moins d'investissements que les opérations de masse ; quant à la restauration proprement dite, elle doit s'entourer des plus grandes garanties scientifiques. Il conseille la substitution, qui impose un choix réfléchi du procédé, mais conclut que la reproduction ne peut être exercée que sur une partie des collections ; d'ailleurs les moyens engagés par la conservation ne se justifient que par une politique patrimoniale assurant la gestion matérielle et intellectuelle de l'héritage.

    Pierre Guinard traite ensuite des « politiques d'acquisition », affirmant que les lecteurs comme les bibliothécaires savent qu'une bibliothèque dont les collections ne s'enrichissent pas voit son existence même remise en cause (c'est pourtant, disons-le, ce qui arrive aujourd'hui à une fameuse bibliothèque, par la volonté de sa tutelle). Il souhaite que se renouent les relations entre collectionneurs et bibliothèques (elles n'ont à notre avis jamais faibli en province) et rappelle utilement l'attrait que représentent l'inaliénabilité des collections et la pérennité de l'institution (il n'est pas oiseux, le croirait-on ? de proclamer ces vérités premières). Il donne enfin ces mots d'ordre essentiels : publier, expliquer, communiquer.

    « Le signalement des collections patrimoniales » permet à Gilles Eboli de présenter avec précision un tableau apparemment complet des réalisations de catalogues collectifs en France et à l'étranger. Aussi utile et nourrissant est l'exposé de Françoise Leresche sur les « Normes et thesaurus » avec une subtile distinction de trois approches des collections selon le mode de production : la création d'un document unique (le manuscrit), l'édition multiple (la monographie imprimée), enfin le lot (documents fugaces ne prenant de sens que par leur rassemblement). Elle propose courageusement de renoncer à la distinction notice bibliographique/notes d'exemplaire, au profit d'une notice autonome intégrant des éléments numérisés (page de titre avec mentions de possesseurs, sommaire) et insiste sur l'indexation matières des livres anciens à laquelle la table Brunet-Parguez est la mieux adaptée, avec le souci permanent de pouvoir échanger des notices. Elle se préoccupe aussi de l'audiovisuel, laissant Marie-Claude Thompson placer d'utiles remarques sur l'indexation de l'image, à une époque où la légende d'une photo de presse frise l'antinomie.

    Avec Annie Charon, c'est « l'exploitation scientifique du patrimoine écrit » qui est soigneusement décrite dans ses formes, sa diffusion et particulièrement ses acteurs le premier but à atteindre reste bien entendu le catalogue raisonné. Son tableau général des grandes publications récentes ou en cours en France porte tant sur les imprimés que sur les monnaies, les cartes et plans, la musique, les estampes et les manuscrits ; elle n'omet bien sûr ni les catalogues d'exposition, ni les revues comme les Cahiers Elie-Fleur.

    Dans une étude très neuve sur le public, Marie-Pierre Dion tente de classer les lecteurs et les visiteurs d'exposition. Elle observe qu'un parcours thématique est une forme plus perceptible que le déroulement chronologique habituellement retenu pour une exposition (le succès des manuscrits cisterciens de l'exposition «Trésor des humbles» vient d'en témoigner à Dijon). Nous ne pouvons manquer de souscrire à son affirmation que « le patrimoine écrit réclame un investissement passionnel ».

    Sous le titre de « fonds spéciaux Dominique Bougé traite également des fonds spécialisés, en rappelant les hésitations de la terminologie actuelle. Faut-il rappeler la distinction, bien connue des bibliographes formés par L.ouise-Noëlle Malclès, à propos des « bibliographies spécialisées» (opposé à «générales») quand elles portent sur un sujet particulier et « spéciales » lorsqu'il s'agit de documents d'une nature particulière (thèses, manuscrits, images, compositions musicales et non les ouvrages sur la musique etc.) ? C'est ainsi que les départements de la BNF Richelieu sont « spéciaux » en dépit du nom de la direction qui les rassemble. Les recommandations de Dominique Bougé sont empreintes de prudence : inventorier, certes, les fonds particuliers existants, mais avec quelles méthodes ? En revanche, les enrichir ne peut être une règle absolue, et moins encore l'incitation à en créer de nouveaux. « Il n'est pas question de stigmatiser toute attitude novatrice en ce domaine, mais il n'est pas mauvais de prendre du recul : est-ce vraiment ce dont l'établissement a besoin ? ?» Il faut avoir constamment la préoccupation de la cohérence dans l'équilibre propre à chaque établissement.

    Pour les « fonds locaux Yves Jocteur-Montrozier n'omet pas de traiter de l'image et même de l'audiovisuel, mais le sujet est traditionnellement bien exploré, puisque c'est l'identité première de toute bibliothèque municipale. L'auteur cite à bon droit Albert Ronsin : « La connaissance intime de ces fonds (et qui n'est pas immédiate, ajouterons-nous, pour ceux qui ne sont pas de la région considérée) va de pair avec une sédentarisation qui n'est pas toujours bien perçue et qui va à l'encontre de la mobilité professionnelle (cette remarque vaut autant pour les bibliothèques anciennes en général, où les collections s'accroissent de décennie en décennie tandis que la longévité des bibliothécaires en fonction diminue). Il n'oublie pas que la veille écologique nécessaire ne saurait trouver de meilleur appui que les lecteurs.

    Dans un tableau des bibliothèques spécialisées (au vrai sens du terme), vaste mais qui ne se prétend pas complet, Maud Espérou déplore leur méconnaissance par le public et par ceux-là mêmes qui y trouveraient réponse à leur curiosité. Elle énonce les statuts administratifs variés et les collections, pour conclure avec un certain pessimisme que ces bibliothèques sont marquées par la précarité de certains statuts et souvent victimes de négligence, voire d'éliminations abusives.

    C'est à Albert Poirot que revient la conclusion de cette somme, sous-entendue constamment par l'idée que les collections révèlent le patrimoine. Observant la compétition des compétences, il prend du recul pour émettre d'idée que le partage des rôles n'a rien d'immuable et ose affirmer que les visées professionnelles ne doivent pas prendre le pas sur les visées patrimoniales : il faut éviter « la sacralisation et l'organisationnel Il Il soutient que la lecture publique (après en avoir été longtemps victime) a maintenant sauvé le patrimoine. Son dernier mot revient sur une constante : les bibliothèques sont encombrées de fonds non catalogués ; c'est donc bien le catalogage qui reste et demeure le premier objectif à atteindre, partout.

    Prenant son point de départ dans le fondamental rapport Desgraves de 1982, voilà donc un ouvrage essentiel à connaître et à pratiquer. Nous regretterons seulement à ce propos que l'index se contente de relever les noms des personnes citées (est-ce un effet induit du traitement de texte ?) alors qu'on aimerait retrouver facilement les opérations décrites, notamment par Gilles Eboli, Françoise Leresche et Annie Charon, notions que les titres volontairement « littéraires des chapitres laissent mal repérer. Ces réserves ne diminuent pas la valeur de cette somme que Jean-Paul Oddos a eu le mérite de mener bien.