Index des revues

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    Par Monique Lambert
    Gilles Feyel

    La Presse en France des origines à 1944

    Histoire politique et matérielle

    Paris, Ellipses, 1999. - 192p. - (Infocom). - ISBN 2-7298-4973-4.

    Dans cet ouvrage extrêmement dense, Gilles Feyel (qui enseigne l'histoire des médias à l'Institut français de presse de l'université de Paris-ll) met en perspective les grandes étapes de l'évolution qui a conduit des feuilles imprimées de l'Ancien Régime à la grande presse d'information des années 1930.

    Après avoir évoqué les occasionnels publiés lors des guerres d'Italie, les « canards » apparus vers 1529 et les feuilles « volantes » diffusées pendant les querelles religieuses du XVIesiècle, l'auteur souligne le rôle joué par les pays germaniques dans la naissance de la presse. Les premiers vrais périodiques imprimés furent en effet les chronologies parues en 1588 à Francfort à l'occasion des grandes foires. En France, le Mercure François est publié à partir de 1611. Les gazettes se multiplient au XVIIe siècle ; Théophraste Renaudot fonde la célèbre Gazette Paris en 1631.

    Jusque dans les années 1770, la presse d'information française se voit interdire tout commentaire politique tandis que les gazettes étrangères, imprimées en français et diffusées en France, sont plus libres de ton et ne sont jamais neutres sur la politique du roi de France.

    Le premier quotidien français, le Journal de Paris, naît le 1er janvier 1777, soixante-quinze ans après le premier quotidien anglais (1702). L'audience de la presse d'information s'élargit considérablement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle sous l'influence de trois phénomènes concomitants : la diminution du tarif des abonnements postaux, la multiplication des systèmes de lecture collective, enfin l'augmentation des périodiques.

    Pendant les premières années de la Révolution (août 1789-août 1792), la presse va jouir d'une liberté presque illimitée qui entraînera l'explosion du nombre des journaux. Elle sera ensuite victime de la Terreur ; Hébert, Camille Desmoulins ou Danton seront guillotinés en 1794. Puis le Directoire entreprendra de la contrôler sévèrement, suspendant et supprimant de nombreux journaux tant à Paris qu'en province.

    Sous le Consulat, le régime agit contre la presse, qui n'est, à ses yeux, qu'un moyen de gouvernement et de propagande. La période est caractérisée d'abord par une grande remise en ordre dès 1800, puis par un asservissement de plus en plus grand de la presse.

    De 1814 à 1914, la presse connaît pendant un siècle un véritable âge d'or. Son développement continu (le tirage global des quotidiens parisiens passe de 59 000 en 1825 à 5 500 000 en 1914, et celui des quotidiens des départements de 20 000 en 1831 à 4 000 000 en 1914), sa lecture étendue progressivement à toutes les classes de la population en feront un média de masse en 1914. Dans le même temps, les journaux se transforment profondément (industrialisation de l'imprimerie, introduction de la publicité avec la création de l'Agence Havas en 1832).

    Le contenu même des journaux se diversifie peu à peu. Émile de Girardin fait paraître dans La Presse, en 1836, le premier roman publié en tranches successives, ancêtre des romans-feuilletons. Les journaux illustrés d'actualité, notamment L'Illustration lancée en 1843, recueillent un grand succès. La presse spécialisée, la presse populaire de vulgarisation des connaissances et de lecture distractive se développent considérablement. Les premiers grands quotidiens régionaux à nombreuses éditions locales se multiplient. En 1902, Le Matin est le premier quotidien français à adopter la photographie.

    La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est votée par la Ille République. Elle indique des règles d'exercice de la profession, sans vouloir limiter sa liberté d'expression. Parallèlement, le métier de journaliste tente de se professionnaliser. Une Fédération internationale de la presse est fondée en 1894.

    La Grande Guerre de 14-18 entraîne des difficultés matérielles pour les journaux, la censure est instaurée dès le 2 août 1914, la propagande « bourrage de crâne » se développe dans la presse.

    L'entre-deux-guerres (1919-1939) constitue une période de grand désarroi. Du fait des difficultés économiques après 1929, du fait aussi des scandales financiers des années 1930, un véritable antiparlementarisme se développe dans la presse. Le ton et le vocabulaire sont alors très violents et polémiques. Les journaux ont du mal à retrouver leurs tirages d'avant guerre, leur prix de revient ayant presque doublé. La publicité prend de plus en plus de place ; les annonces cessent de se cantonner dans la fin du journal, pour s'insérer dans les pages rédactionnelles susceptibles de les valoriser.

    Face aux quotidiens, la presse magazine commence à s'affirmer. De nouveaux magazines « à l'américaine », tels que Marie-Claire et Match, apparaissent dans les années 1930. Les grands reportages « exotiques ou « humanitaires » font monter la diffusion des journaux (Albert Londres, Henri Béraud, Joseph Kessel...).

    Le Syndicat des journalistes est fondé en mars 1918. Dès décembre 1918, la Charte des devoirs professionnels des journalistes est rédigée elle sera révisée et complétée en 1938. La loi du 29 mars 1935 donne un véritable statut au journaliste. Une Commission de la carte professionnelle est instituée par décret du 17 janvier 1936.

    Les années sombres de la guerre et de l'Occupation vont marquer profondément la presse. Le Commissariat général à l'information est mis en place dès le 15 septembre 1939. Le 10 juin 1940, le gouvernement quitte Paris, déclarée ville ouverte ; les journaux quittent eux aussi la capitale. La Propaganda allemande contrôle la répartition du papier comme la distribution. Plus de 60 °/o des journaux disparaissent en province, soit qu'ils se soient sabordés eux-mêmes, soit qu'ils aient été interdits par l'occupant.

    À Paris la réduction est encore plus sévère, avec une chute de 82 °/o. En zone sud, pour pouvoir diffuser sa propagande, Vichy nationalise l'Agence Havas. Alors, pour être publiée en dehors de la censure allemande ou du contrôle de Vichy, la presse se fait clandestine, mais sa périodicité est très irrégulière, ses chiffres de tirage et de diffusion sont très faibles. En fait, la grande confrontation ne sera pas celle des deux presses (autorisée et de la Résistance) mais celle de deux radios : la radio asservie (Radio-Paris et Radio-Nationale) et la radio de la liberté (Radio-Londres et les radios des Français libres).

    Au lendemain de la Libération, il faudra procéder à une reconstruction totale de la presse après une sévère période d'épuration.

    Complété par une solide bibliographie, cet ouvrage tout à la fois très documenté et très didactique nous entraîne dans une passionnante exploration de l'histoire politique et matérielle de la presse, depuis la découverte de l'imprimerie par Gutenberg jusqu'à la presse clandestine de la Résistance.