Index des revues

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    Par Maud Espérou
    Isabelle Olivero. -

    L'Invention de la collection

    De la diffusion de la littérature et des savoirs à la formation du citoyen au XIXe siècle

    Paris, Éditions de l'IMEC/Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 1999. - (In-octavo). - 336 p. - ISBN 2-908295-45-8 (IMEC), 2-73511-0837-6 (MSH). - 220 F

    La notion de collection n'a aujourd'hui, dans le monde des livres, rien d'exceptionnel ; tout un chacun, si peu connaisseur de l'édition qu'il soit, connaît au moins une ou deux collections. Pourtant, cette banalité est relativement récente. Isabelle Olivero étudie ce phénomène des collections, apparu au début du XIXesiècle et qui prend tout son essor dans les décennies suivantes.

    En s'appuyant sur un dépouillement systématique de la Bibliographie de la France et des catalogues d'éditeurs, elle montre la place centrale de ce genre dans la production éditoriale au cours du XIXesiècle. Le nombre des collections (une liste des titres cités est donnée en annexe) ne suffit pas à lui seul à expliquer cette importance. Le choix des textes, leur variété et leur diffusion, le nombre d'éditions et le chiffre des tirages sont autant de facteurs qui en font une donnée fondamentale dans l'histoire du livre au XIXesiècle.

    Isabelle Olivero attribue à Gervais Charpentier la paternité de l'invention de la collection avec sa Bibliothèque Charpentier. Il utilise un format in-18 jésus qui permet un gain de place, en sorte que les contemporains qualifieront les éditions Charpentier d'« éditions compactes ». Pour séduire son public et l'inciter à acheter ses livres, Gervais Charpentier imagine une couverture illustrée, ce qui n'était pas l'usage alors : elle sera jaune serin ou beurre frais, ornée d'une vignette romantique.

    Le choix des textes est lui aussi significatif, car il doit créer un corpus cohérent. Seules les oeuvres durables doivent entrer dans les collections : ce sont « celles qui se recommandent par une solide valeur littéraire et morale, qui nourrissent l'esprit en le portant à la méditation et à l'étude », comme l'écrira un de ses collaborateurs. Il reprend des auteurs contemporains publiés précédemment et va en faire des best-sellers.

    Après six éditions parisiennes de 1816 à 1820 et onze éditions de 1836 à 1840, Corinne de Mme de Staël, le troisième titre de la collection après La Physiologie du goût de Brillat-Savarin et La Physiologie du mariage de Balzac, sera réimprimée neuf fois de 1840 à 1868. La Bibliothèque Charpentier assure ainsi une large diffusion à tous les auteurs romantiques déjà publiés dont les tirages ne dépassent pas 1 000 exemplaires, comme Cinq-Mars d'Alfred de Vigny, qui sera tiré à 17 731 exemplaires entre 1841 et 1858.

    Son catalogue comptera les classiques français des XW, XVIIe et XVIIIe siècles, les auteurs naturalistes, les classiques grecs et latins, les littératures allemande, anglaise, espagnole, italienne, la philosophie. On lui doit la publication en 1860 de la première traduction de Spinoza en français.

    Il fut à la fois un homme d'une vaste culture et un entrepreneur avisé, qui sut innover en ajustant « les chiffres de tirage à la vente et l'écoulement des exemplaires à une durée déterminée d'avance ». Ses choix éditoriaux furent à l'origine de la baisse du prix des livres au cours du siècle, et de la création de bibliothèques privées en France et à l'étranger parmi les aristocraties francophones.

    Isabelle Olivero accorde une large place à Gervais Charpentier et à son oeuvre. Il eut des émules en France et à l'étranger, mais aussi des concurrents : la Bibliothèque nationale, née de deux structures ouvrières, la Bibliothèque internationale universelle, la Bibliothèque des chemins de fer, créée par Louis Hachette qui, comme Michel Lévy, Hetzel et d'autres, et contrairement à G. Charpentier, ne limita pas son activité éditoriale aux « bibliothèques ». La Bibliothèque Charpentier perdurera jusqu'en 1950 après avoir été rachetée à Georges Charpentier, son fils, par Fasquelle, en 1905.

    Isabelle Olivero élargit son propos sur les collections au XIXesiècle en replaçant leur invention dans le contexte idéologique du temps, comme le sous-titre de son livre nous l'indique. Certaines d'entre elles sont bâties sur un modèle encyclopédique hérité des Lumières et traduisent un idéal d'éducation populaire : elles inaugurent la vulgarisation scientifique. D'autres portent une mission de propagande libérale, républicaine ou catholique : les questions politiques, économiques sociales ou morales forment alors l'essentiel des catalogues.

    Une érudition maîtrisée, conjuguée à une réflexion pénétrante, fait de cette étude un travail de qualité. Cette monographie, à la croisée de l'histoire sociale et de l'histoire du livre, devrait trouver un public plus large que les spécialistes de l'une ou de l'autre discipline. On souhaiterait que les « littéraires » puissent s'intéresser, grâce à ce livre, à la matérialité des textes « canoniques ».