L'histoire du programme portugais de création d'un réseau national de bibliothèques de lecture publique a été résumée très fidèlement, jusqu'en 1990, par un de ses plus actifs militants, Henrique Barreto Nunes qui recensait 86 projets de Bibliothèques publiques et 4 " Bibliopolis », dans des villes plus importantes (Porto, Lisbonne, Coïmbra et Braga). (1)
Peu après, pendant les années 1991 et 1992, ce réseau s'est étendu à 18 municipalités supplémentaires portant le total à 108, soit une couverture de 40% du territoire national en 5 ans. En effet les premiers contrats-programmes ayant été signés en 1987, les chantiers ont commencé au cours des années suivantes.
En décembre 1992, 28 nouvelles bibliothèques municipales ont été mises en service (2) , très peu encore avec des annexes ou des bibliobus. Début 1993, on attend l'ouverture de six autres (3) . Les bibliothèques qui avaient été installées dans des locaux provisoires (nommées bibliothèques municipales en développement) ont vite évolué selon les prévisions, et leurs bâtiments définitifs sont en train de se construire .
En 1992, suite à la restructuration organique, très discutée, du Secrétariat d'Etat à la Culture, placé dans la dépendance du Premier Ministre, la fusion des deux Directions Générales : Bibliothèque Nationale et Institut Portugais du Livre et de la Lecture - a provoqué une vague d'inquiétudes sur la continuité des programmes en cours.
En cette année 1993, l'annonce d'une campagne de la Communauté en faveur des bibliothèques, du livre et de la lecture d'une part et les multiples manifestations d'intérêt de la part des pouvoirs locaux pour le développement de leur réseau de bibliothèques municipales d'autre part, ont permis que ne soit pas remise en cause la politique contractuelle en cours, c'est-à-dire le soutien financier et le support technique fournis par l'Administration centrale. Jusqu'à ce jour les objectifs, le financement et l'équipe même qui l'exécute n'ont pas été atteints, malgré les difficultés accrues de manque de personnel, au niveau central et local, et quelques problèmes survenus dans des situations plus défavorisées.
Il faut noter que ce manque de bibliothécaires est un problème commun à tous les types de bibliothèques. En effet, il résulte de multiples facteurs qui ont beaucoup pénalisé le secteur de l'information, pourtant fondement du développement du pays, de nos jours. Il faut cependant souligner un point très significatif dans le contexte portugais : au milieu des luttes entre partis politiques ou même en périodes électorales, jamais le programme n'a été remis en cause.
Et, parce que je le coordonne depuis le début, je peux ajouter deux remarques personnelles à ce témoignage que m'a demandé l'ABF.
La première est que la sensibilisation des pouvoirs et de l'opinion publique sur la situation alarmante de la lecture publique au Portugal et sur l'inexistence de bibliothèques municipales a été l'oeuvre des bibliothécaires, préoccupés par l'une des bases fondamentales de leur activité professionnelle. En effet, c'était la BAD, Association portugaise des bibliothécaires, archivistes et documentalistes, qui depuis quelques temps mettait l'accent sur l'absence de vraies bibliothèques publiques au Portugal et la totale méconnaissance par la population de cet équipement culturel de base.
Présidente de la BAD, j'ai été chargée par Madame le Secrétaire d'Etat à la Culture, en 1986, de constituer et diriger au sein de son cabinet un petit groupe de travail qui devait présenter un programme et des propositions, à court et moyen terme, pour le mettre en oeuvre. Une fois le programme approuvé par le Gouvernement et soutenu par l'Association des Municipalités portugaises (il faut noter cette circonstance car la régionalisation n'a pas encore été faite dans notre pays), j'ai été moi-même chargée de son exécution, dans le cadre de l'Institut portugais du Livre et de la Lecture (IPLL), et maintenant de l'IBL (Institut de la Bibliothèque et du Livre).
Comme d'ailleurs dans d'autre types de bibliothèques, il est vrai que les bibliothécaires de lecture publique sont en nombre très insuffisant. Mais il est vrai aussi que nous sommes aujourd'hui beaucoup plus nombreux, plus conscients, plus exigeants, plus capables de remporter nos batailles au jour le jour et relever le défi de nouveaux objectifs. Je dois avouer que c'est là le fondement d'une certaine satisfaction et de beaucoup d'espoir professionnel. Soit sur le terrain, dans les bibliothèques municipales, soit dans ma très petite équipe, c'est à ce groupe de jeunes bibliothécaires de lecture publique, travaillant ensemble dans un grand esprit de coopération et de solidarité, qui reviennent tous les mérites.
L'autre témoignage personnel est pour souligner quelque chose que l'on ne pourra jamais oublier au moment de faire l'histoire de ce projet. S'il est vrai qu'il n'a été possible que grâce à la démocratisation de la culture et de la société portugaise après la Révolution du 25 avril 1974, il est vrai également que c'est la conséquence directe d'un séminaire que le bibliothécaire français, Jean Tabet, a orienté, il y a dix ans à Lisbonne. Séminaire au cours duquel tout notre enthousiasme s'est renouvelé... C'est lui en effet qui a déclenché des initiatives très importantes, lesquelles ont influencé le cours des événements et les options prises un peu plus tard - même si cette intervention a été suivie par celle de Jacqueline Gascuel (4) et de plusieurs autres collègues français, experts en matière de lecture publique.
Il est vrai que l'on ne doit pas copier des modèles et que chaque culture, avec ses traditions propres et ses conditions particulières, exige des solutions spécifiques. Cependant l'influence française est très présente dans notre réseau de bibliothèques municipales. Elle n'est pas seulement perceptible dans l'organisation des espaces et des sections, ou dans le mobilier, car on trouve maintenant chez nous des entreprises étrangères d'équipement de bibliothèques. C'est avant tout la philosophie du programme et l'idée d'une politique incitative de la part de l'Administration centrale envers les collectivités locales : l'administration centrale a décidé de subventionner à 50% l'investissement global, à condition que les pouvoirs locaux soient décidés à construire ou installer une bibliothèque municipale qui respecte au minimum les orientations des programmes qui lui sont fournis.
La prise de conscience de nos besoins dans ce domaine s'est approfondie parallèlement à la marche du projet vers l'intérieur du pays et en réponse à l'enthousiasme du public pour ces nouveaux équipements culturels mis à sa disposition, parfois de 10h du matin à lOh du soir.
Comme ils sont les seuls disponibles dans certaines régions, nous essayons de leur ajouter une caractéristique plutôt anglo-saxonne : l'information pour le développement social et économique, en parallèle bien sûr avec la lecture publique, la synergie avec le milieu scolaire et de l'éducation professionnelle, les activités artistiques et de loisirs. Surtout dans les zones défavorisées, nos bibliothèques publiques deviendront encore plus importantes pour la qualité de vie des populations, le développement total de l'individu et la conscience du citoyen.
Ce projet est ambitieux, mais chaque jour plus étendu et partagé par de plus en plus de gens. Malgré la géographie, nous refusons l'isolement, et en parallèle avec la coopération régionale, nous tenons aux relations internationales. Après la France, nous avons commencé aussi avec la Scandinavie. Nous venons de présenter des candidatures aux programmes de la CEE, DG X et DG XIII, avec des partenaires d'autres pays, dans des domaines très variés : diffusion de la poésie à partir des bibliothèques municipales dans l'éducation non formelle, la fonction des bibliothèques municipales comme centres d'information pour le développement, la coopération avec la PORBASE, en tant que base de données de la bibliographie nationale d'un côté, et de l'autre avec les éditeurs afin d'obtenir des notices bibliographiques enrichies et plus proches de la date de publication, etc.
En 1992 l'IPLL a fait approuver le projet RIPL - Réseau informatisé de lecture publique - et nous sommes maintenant engagés dans un concours communautaire pour l'acquisition de systèmes pour une dizaine de bibliothèques municipales. Le projet vise l'installation d'une application intégrée de gestion de bibliothèques, sous un système multi-utilisateur et multi-tâche, l'architecture modèle OSI (Interconnexion des systèmes ouverts) suivant la norme ISO 7498, le format UNIMARC et la norme ISO 2709.